separateurCreated with Sketch.

Ni faible, ni mièvre, la force des doux

mains
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
La rédaction d'Aleteia - publié le 10/10/24
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
La douceur chrétienne n’est peut-être pas ce que vous croyez. Dans son dernier livre « Hardi les doux », le frère Jean-Thomas de Beauregard fait l’éloge de la véritable douceur, cette vertu qui se reçoit ou qui s’acquiert pour vaincre la violence du monde.

"La douceur est la vertu des forts", ne craint pas d’affirmer le frère Jean-Thomas de Beauregard, dont les lecteurs d’Aleteia connaissent bien les homélies dominicales. Si la douceur apparaît parfois comme une faiblesse de la charité chrétienne, là où la société d’aujourd’hui exige de la dureté pour survivre, elle est aussi confondue à tort avec une compassion aveugle qui tolère tout et le contraire de tout. Dans son dernier ouvrage intitulé Hardi les doux, le religieux dominicain rappelle que "la douceur enseignée par le Christ n’est ni faible, ni mièvre : c’est une force qui peut vaincre le mal et conquérir le monde".

Aleteia : Vous parlez de la douceur comme une vertu, pas comme d’un trait de caractère. Que voulez-vous dire ?
Frère Jean-Thomas de Beauregard : Beaucoup pensent que la douceur relève du tempérament. En matière de douceur, chacun serait tributaire de la loterie génétique ou bien de la loterie que constitue la première éducation familiale. Mais si la douceur est bien une vertu, elle ne peut être un capital qu’on possède par chance ou par hasard. Fénelon, qui est un des docteurs de la douceur chrétienne, affirme sans barguigner : "Il n’y a point de douceur véritablement vertueuse par tempérament : ce n’est que mollesse, indolence et artifice." C’est un peu rude, mais ça me semble très vrai : si la douceur est une vertu, elle est ou bien reçue de Dieu — par grâce — ou bien acquise — par l’effort. Le plus souvent, la douceur est d’ailleurs à la fois reçue de Dieu et cultivée par l’effort humain. Autrement dit, la douceur s’acquiert par la prière et par nos actes. 

Lorsque la douceur perd sa boussole morale, elle se dévoie en mièvrerie ou en violence.

Est-il permis de penser que parfois, ou souvent, la douceur chrétienne devient folle ?
Grand converti au catholicisme, le romancier britannique Chesterton écrit, à propos de la modernité, qu’elle est le règne des "vertus chrétiennes devenues folles". C’est presque devenu un lieu commun, mais cela dit quelque chose de vrai. Lorsqu’une vertu chrétienne se détache de l’Évangile et de la loi naturelle, et qu’elle n’est donc plus ordonnée à un bien objectif, elle dérive lentement jusqu’à n’être plus du tout une vertu. La douceur n’y échappe pas. Par exemple, au nom de la douceur, plus personne n’ose un jugement de vérité ou une affirmation morale, qui risquerait de heurter ou d’offenser. Ou encore, au nom de la douceur, on répond à la détresse d’une jeune femme enceinte ou d’un vieillard perclus de souffrance par une autorisation à donner la mort conçue comme une miséricorde et un geste de fraternelle douceur. Lorsque la douceur perd sa boussole morale, elle se dévoie en mièvrerie ou en violence.

Dans l’Évangile, Jésus sait se mettre en colère, il chasse les marchands du temple avec force. Ses mots sont parfois brutaux. Matthieu nous dit que si le royaume des Cieux subit la violence, ce sont des « violents qui cherchent à s’en emparer » (Mt 11, 12). La douce violence, cela existe ?
Jésus, lorsqu’il exprime sa colère par une certaine violence, se place dans le sillage du psalmiste, qui ose cette affirmation audacieuse : "Mettez-vous en colère et ne péchez pas" (Ps 4, 5). On peut donc se mettre en colère, voire même être violent, sans pécher. À la suite d’Aristote, saint Thomas d’Aquin considère que les passions sont moralement neutres : selon l’usage qu’on en fait, elles peuvent être mobilisées en vue du bien ou en vue du mal. La passion de colère est donc comme un réservoir d’énergie. Ce réservoir d’énergie peut être utilisé pour combattre l’injustice et défendre la vérité, ou bien pour défouler mon agressivité et tomber dans une violence injuste. En réalité, la douceur consiste à accompagner l’action — la mienne et celle d’autrui — vers le bien, à laisser l’autre être ce qu’il est sans se désintéresser de son bien, et à ajuster la colère pour qu’elle serve au bien de la situation et des personnes. Il y a donc tout un discernement à opérer, et à refaire en chaque situation, pour savoir où on est de l’usage de la force, de la violence et de la colère, qui peuvent servir le bien comme le détruire. Dans la douceur à l’égard de soi-même comme dans la douceur à l’égard d’autrui, ce discernement est indispensable.

La prière du chapelet, qui est une école d’évangélisation du cœur par les douceurs conjuguées du Christ et de Marie.

Le monde d’aujourd’hui baigne dans la violence et fabrique des violents : comment retrouver la douceur perdue ?
Le diagnostic d’un monde violent est de tous les temps, il est aussi vieux que le péché originel et le meurtre d’Abel par son frère Caïn. Mais c’est vrai que la destruction de la cellule familiale et l’emprise du paradigme technique, pour ne mentionner que deux facteurs, génèrent de la violence et de l’agressivité au quotidien, dans l’intimité des personnes, en sus des violences de toujours que sont les guerres, les vols, les assassinats. Il n’y a pas de recette magique ni de technique infaillible pour retrouver la vertu de douceur. Mais on peut donner quelques moyens traditionnels. D’abord la fréquentation de la Parole de Dieu et des sacrements sont indispensables, notamment parce qu’on peut y méditer les mystères de la vie du Christ, modèle de douceur, et en recevoir la grâce. Ensuite la prière du chapelet, qui est une école d’évangélisation du cœur par les douceurs conjuguées du Christ et de Marie. Enfin par une certaine discipline corporelle — exercices d’étirement, de respiration, etc. La vogue contemporaine pour le yoga et la méditation orientale est mortifère, parce qu’on oublie que ces pratiques sont solidaires d’une métaphysique et d’une religion radicalement incompatibles avec le christianisme, mais elle doit nous alerter : la vertu de douceur s’acquiert aussi par notre rapport au corps, qui rejaillit ensuite sur notre âme. En ce domaine, il y a toute une sagesse traditionnelle, bien connue des moines, à retrouver, pour que la personne, indissolublement âme et corps, ne soit plus soumise à la violence et s’enracine dans la douceur qui vient du Christ.

Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.

Pratique :

Hardi les doux - Petit éloge de la douceur, Fr. Jean-Thomas de Beauregard, op, Cerf, 2024, 166 pages, 18 euros
Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)