Un collègue journaliste au regard affûté a remarqué ce vieux monsieur à la barbichette assis sur un banc du sanctuaire de Marie Auxiliatrice à Port Moresby. Au frais sous les grandes pales du ventilateur plafonnier, le père Boudaud était venu écouter le pape François, et a un peu sursauté quand on lui a adressé la parole dans la langue de Molière, comme s'il ne l'avait pas entendue depuis dix ans. "Désolé, j'ai perdu mon français", s'est excusé ce vieil homme plein de modestie : il s'est pourtant exprimé dans sa langue natale avec une certaine élégance lors de l'ensemble de l'entretien.
Placé dans les premiers rangs, le père Boudaud reçoit les honneurs qu'il convient d'accorder au doyen des missionnaires du pays. Après tout, il est là depuis 1968. Comment a-t-il atterri là, à l'âge de 28 ans ? C'est l'histoire d'un jeune homme de Vendée qui s'ennuie au séminaire diocésain des Herbiers. Il rencontre un missionnaire qui lui fait rêver d'aventure et après deux ans de tergiversations, il rejoint alors les Missionnaires du Sacré-Cœur d'Issoudun et est ordonné en 1967. On l'envoie passer une année pastorale à la Plaine Saint-Denis en banlieue parisienne, un "milieu missionnaire aussi". À l'issue de cette expérience forte, on propose au jeune père Boudaud la Papouasie-Nouvelle-Guinée, un lieu où sa congrégation est une pionnière. Il signe immédiatement, prépare son sac, et prend à peine le temps d'apprendre l'anglais et de partir en vacances avant de gagner le port de Marseille.
Là, il embarque pour un long voyage de 45 jours qui lui fait traverser la Méditerranée, l'Atlantique et enfin le Pacifique par le canal de Panama. Il se souvient d'avoir navigué dans le Pacifique pendant neuf jours sans voir autre chose que de l'eau. Puis lui sont apparues les Marquises, Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie et Sydney. Et de là, il a rejoint Port-Moresby. Le trajet retour, il ne le refera que dix ans plus tard à l'occasion de vacances, mais sans regret. "Je suis venu volontairement, je me suis intégré, j'en ai fait mon pays en vivant auprès des gens", confie-t-il.
Missionnaire polyglotte
Sur le terrain, ce passionné de linguistique trouve chaussure à son pied : la Papouasie compte plus de 800 langues différentes, sans compter les dialectes... Passant de village en village, il en apprend une, puis deux, puis trois... Quand on lui demande combien il en connaît aujourd'hui, il a un peu du mal à faire les comptes, tant la liste est exhaustive. Pour s'intégrer, il a aussi dû chiquer de la noix d'arec, cette drogue naturelle - aussi appelée "noix de bétel" - qui colore de rouge les dents de tant de Papouans-Néo-Guinéens (et provoque des cancers de la bouche). "Quand c'était un peu difficile, on chiquait ensemble et cela permettait de faire des affaires". Les chaussures et sandales s'usent pendant ces années de mission, quand il ne va pas tout simplement pied nu sur les terrains boueux. Il porte l'Évangile et l'Eucharistie lors de "patrouilles" jusqu'à des villages très reculés. Il se souvient d'avoir été mordu par des serpents avant de les chasser à coup de bâton.
Partout, il baptise aussi. "C'est notre travail le plus important", insiste-t-il. Il passe pour cela plusieurs jours dans chaque village, y célébrant chaque jour la messe, délivrant les sacrements. Après une longue vie de service, il a pris sa retraite depuis quelques années, et offre désormais son large sourire et ses histoires aux catholiques de Papouasie-Nouvelle-Guinée. "Le travail est maintenant davantage pour les prêtres autochtones", conclut-il. Son regard bleu perçant se perd alors dans le vague, tandis que les harmonies polyphoniques retentissent dans la nef du sanctuaire.