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[HOMÉLIE] Ces saines objections aux miracles de Jésus

La multiplication des pains, aquarelle de James Tissot.

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Christian Lancrey-Javal - publié le 27/07/24
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Curé de la paroisse Notre-Dame de Compassion à Paris, le père Christian Lancrey-Javal commente l’évangile du 17e dimanche du temps ordinaire. Les miracles dans l’Ancien Testament et dans l’Évangile ont toujours suscité des objections : celles-ci sont un travail de la raison, et signes d’une foi vivante qui progresse et s’affermit.

Les miracles de Jésus, comme celui de la multiplication des pains (Jn 6, 1-15) appellent des questions et des objections légitimes. Il y a en effet des miracles avec lesquels nous avons du mal : déjà, croire aux miracles de Jésus, croire qu’ils ont vraiment eu lieu, que Jésus est Dieu… Croyons-nous vraiment que Dieu est avec lui comme dit Nicodème au début de l’évangile de saint Jean : "Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui" (Jn 3, 2) ? Saint Jean parle en effet de "signes" et non pas de "miracles", à la différence des autres évangélistes.

Les miracles que nous préférons

Et quels sont les miracles de Jésus que nous préférons ? Les guérisons d’un aveugle, d’un lépreux, d’un paralytique, d’un possédé ? Est-ce que vous mettez sur le même plan la multiplication des pains qu’on vient d’entendre et la marche sur les eaux qui suit dans l’évangile de saint Jean ? Ou vous contentez-vous de sa résurrection qu’il avait lui-même annoncée, tant en paroles qu’en ayant rendu la vie à des morts, la fille de Jaïre, le fils d’une veuve de Naïm, son ami Lazare ? Il en avait confié le pouvoir à ses Apôtres lors de leur envoi en mission : "Proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche : guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons" (Mt 10, 7).

Le plus grand miracle de l’Ancien Testament est le Buisson ardent : un feu qui brûle sans rien consumer, le symbole de l’amour de Dieu.

Les Actes des Apôtres rapportent deux résurrections opérées par les Apôtres, l’une par Pierre à Joppé (l’ancien nom de Jaffa, à 70 km au nord de Gaza) d’une femme nommée Tabitha (Ac 9, 36), la seconde par Paul d’un adolescent du nom d'Eutyque (en français Prospère) (Ac 20, 9), de même que l’Ancien Testament relate deux résurrections opérées par les prophètes Elie et Elisée, Élie du fils de la veuve de Sarepta (1 R 17, 17) et Élisée du fils d’une Sunnamite qui lui avait fait construire une petite chambre quand il passait chez elle, ce qui lui avait valu d’avoir enfin un enfant (2 R 4, 17). Élisée avait guéri miraculeusement un lépreux, le général Naaman : presque tous les miracles de Jésus étaient déjà présents dans l’Ancien Testament. Il y a une grande continuité des signes dans la Bible. 

Quel est le plus grand des miracles ?

D’autres questions se posent à propos des miracles : quel est le plus grand miracle de l’Ancien Testament ? Est-ce que c’est la manne au désert ? Est-ce que c’est la sortie d’Égypte, la traversée à pied sec de la Mer rouge, dans laquelle se noient Pharaon et toute son armée ? Est-ce l’une des résurrections que j’ai évoquées ? Autre question : où trouve-t-on dans l’Ancien Testament les objections que les miracles ont suscitées pour notre raison ? S’ils ne sont pas "possibles", par définition, certains pensent également qu’ils ne sont pas "utiles" : à quoi bon avoir nourri des foules quand tant de gens meurent encore aujourd’hui de faim ? Avoir guéri des aveugles, et d’autres malades, alors que la santé n’a progressé que pour les plus privilégiés, etc. Quelle était l’utilité de marcher sur la mer ou de changer l’eau en vin à Cana ?

C’est face au malheur que la raison défaille, cherche des explications ou des coupables (...) C’est la différence entre une célébration d’obsèques et une messe de mariage : devant la mort, on attend des explications alors que l’amour ne nous étonne pas.

Dernière question, en prolongement des précédentes : quel est le miracle que nous devrions tous demander dans la prière, le miracle qui ferait le plus de bien au monde ? Cela ressemble au Songe de Gabaon, quand le Seigneur apparut à Salomon et lui dit : "Demande ce que je dois te donner" (1 R 3, 5). Salomon ne demande ni de longs jours, ni la richesse, ni la mort de ses ennemis, mais le discernement, un cœur intelligent et sage. Ah ! si Dieu pouvait donner la sagesse à nos gouvernants… ça, serait un miracle.

Le plus grand miracle

Voici les réponses que nous pouvons apporter à ces questions. Le plus grand miracle de l’Ancien Testament est le Buisson ardent : un feu qui brûle sans rien consumer, le symbole de l’amour de Dieu. Souvenez-vous, dans le Livre du prophète Daniel, de l’histoire des trois enfants jetés dans la fournaise. Le roi Nabuchodonosor stupéfait dit à ses conseillers : "Nous avons bien jeté trois hommes, ligotés, au milieu du feu ?" Ils répondirent : "Assurément, ô roi." Il reprit : "Eh bien moi, je vois quatre hommes qui se promènent librement au milieu du feu, ils sont parfaitement indemnes, et le quatrième ressemble à un être divin " (Dn 3, 92). Le Buisson ardent est le miracle qui se reproduit à chaque messe quand, sans rien changer aux apparences du pain et du vin, l’amour divin fait qu’ils deviennent le Corps et le Sang du Christ. C’est du Buisson en feu que Dieu s’est révélé comme Celui qui est : Je suis qui je suis. Je suis le Pain de Vie, entendrons-nous dans le discours du Pain de Vie.

Le grand livre des objections de la Bible

Le grand livre d’objections de la Bible est le livre de Job. C’est face au malheur que la raison défaille, cherche des explications ou des coupables : ainsi raisonnent les amis de Job, il a dû faire quelque chose de mal pour qu’il lui arrive pareille misère, comme les disciples le diront à propos de l’aveugle-né : "Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?" (Jn 9, 2). C’est la différence entre une célébration d’obsèques et une messe de mariage : devant la mort, on attend des explications alors que l’amour ne nous étonne pas. La joie ne perturbe pas la raison. Le Livre de Job se déroule comme une longue litanie d’objections que Dieu accueille patiemment pour dire à la fin à Job : regarde la beauté de la Création, adore ma puissance, fais-moi confiance. Et quel quel est le miracle qui ferait le plus de bien au monde ? La réconciliation. Avec Dieu bien sûr —"laissez-vous réconcilier avec Dieu"(2 Co 5, 20) — et entre nous, toutes les familles divisées, ces fratries et ces amis brouillés, ces peuples en guerres sans fin. 

Des objections nécessaires

Les exégètes disent que la plupart des récits de vocation dans la Bible sont construits sur le même schéma : quand Dieu appelle, la personne répond par une objection, qu’elle est trop jeune, qu’elle ne sait pas parler, etc. Philippe dans l’évangile de ce dimanche a raison : la foule a faim, mais ils n’ont rien à donner (Jn 6, 7). Ces objections ne sont pas contraires à la foi, au contraire, elles sont indispensables pour s’affermir et progresser, elles sont le sain travail de la raison, le signe que notre foi est vivante. Elles font partie de la prière et du dialogue avec Dieu. Ce n’est pas lui manquer de respect, mais au contraire, se mettre à son écoute.

À chaque messe, nous célébrons la Résurrection du Christ avec ce miracle de sa présence réelle, miracle de la transsubstantiation, promesse de notre propre résurrection. Si Dieu peut changer du pain et du vin en son Corps et son Sang, combien plus changera-t-il nos corps mortels pour vivre de sa Vie ! "Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement" (Jn 6, 51). À Dieu, dites vos objections.

Lectures du 17e dimanche du temps ordinaire :

2R 4, 42-44
Ps 144
Eph 4, 1-6
Jn 6, 1-15
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