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Désormais, chaque jour est Pâques

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Domaine Public

Christ en majesté, Grunewald, retable d'Isenheim, 1515, huile sur panneau.

Jean-François Thomas, sj - publié le 31/03/24

Se laisser porter par la liturgie de l’Église au cours de l’octave de Pâques, nous permet de traverser la faiblesse de notre foi. Les témoins de la Résurrection nous aident à comprendre que la victoire du Christ est un don de la grâce, que désormais chaque jour qui passe, brille une lumière qui ne faiblit jamais.

L’octave de Pâques est comme une rampe de lancement pour tout le reste de l’année. Nous voilà pris dans un mouvement ascendant qui ne cesse pas de s’accélérer, puisque nous sommes promis à la résurrection. Les apparitions du Christ qui se révèle maintenant dans toute sa gloire demeurent une source d’inspiration et de contemplation jour après jour, sans rien perdre de leur force et de leur capacité à aiguiser notre foi, par ailleurs toujours flageolante. 

Une âme assoiffée de lumière

Le poète Blaise Cendrars — qui se convertira au catholicisme à la fin de sa vie — nous laisse une poignante méditation sur Pâques alors que son âme sans repère est assoiffée de lumière. Ce long poème de Pâques à New York, œuvre de jeunesse, sanglote ainsi : 

J’aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église ; Mais il n’y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville. Je pense aux cloches tues : — où sont les cloches anciennes ? Où sont les litanies et les douces antiennes ? Où sont les longs offices et où les beaux cantiques ? Où sont les liturgies et les musiques ? Où sont tes fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains ? Où l’aube blanche, l’amict des Saintes et des Saints ? La joie du Paradis se noie dans la poussière, Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières. L’aube tarde à venir, et dans le bouge étroit Des ombres crucifiées agonisent aux parois. C’est comme un Golgotha de nuit dans un miroir Que l’on voit trembloter en rouge sur du noir. La fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins. Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue, Comme votre Tête, triste et morte et exsangue. Des reflets insolites palpitent sur les vitres… J’ai peur, — et je suis triste, Seigneur, d’être si triste. “Die nobis, Maria, quid vidisti in via ?” — La lumière frissonner, humble dans le matin. “Die nobis, Maria, quid vidisti in via ?” — Des blancheurs éperdues palpiter comme des mains. “Die nobis, Maria, quid vidisti in via ?” — L’augure du printemps tressaillir dans mon sein (avril 1912). 

Dieu ne se lasse pas

Le monde est un écran hostile, faisant barrage à cette lumière tant désirée. Se laisser porter par la liturgie de l’Église au cours de la sainte huitaine, permet de traverser les brumes et de ne pas éprouver une tristesse semblable à celle du poète. S’égrènent ces extraordinaires récits des rencontres du Ressuscité avec les premiers témoins qu’Il s’est choisis. La Madeleine est l’initiatrice, la figure de proue, grâce à son amour et à sa fidélité. Elle a la caboche moins dure que les Apôtres, pourtant promis à embraser l’univers. Et puis, se déroule devant nous le combat de Thomas, cet incrédule momentané dont le doigt plongé dans les plaies du Christ est “le maître de la terre”, pour reprendre les mots d’Ernest Hello qui nomme cet Apôtre “le trésor de Dieu et la lumière du monde” (Paroles de Dieu, “saint Thomas l’Apôtre”). Cette dextre qui ose s’approcher du divin comble la défaillance de l’esprit humain face à l’incommensurable. Hello précise : “Quand l’homme, ébloui de gloire, est mort quant à la pensée, parce qu’il a vu la face de Dieu, alors il recule, et adore, par ses mains, l’épouvantable majesté dont son esprit n’est pas capable.” L’accablante faiblesse de la foi — fût-elle apostolique comme en ce cas — loin d’être l’occasion du désespoir est la marque que Dieu ne se lasse pas et qu’il continue de distribuer sa grâce malgré l’incapacité des hommes à l’accueillir. Cela rappelle la remarque de Georges Bernanos à son ami le peintre Jean-Georges Cornélius, alors que tous deux se trouvaient au buffet de la gare de Rennes : “Regardez toutes ces sales gueules, ils ne mangent pas, ils bâfrent, ils n’ont pas d’esprit, peut-être pas d’âme, et pourtant Jésus est mort pour eux aussi.”

À la suite des témoins de la Résurrection

Voilà ce qui peut modeler notre joie et notre paix, à force de se répéter, à l’aube de chaque jour de la Résurrection, que nous ne méritons rien, sauf d’être condamnés, et que, malgré tout, nous pouvons être aspirés vers le Royaume de Dieu comme le Bon Larron qui se contente de demander au Sauveur qu’il reconnaît d’être emmené avec Lui en Paradis. Cela réduit considérablement nos prétentions intellectuelles et nos chaleurs pseudo-mystiques en nous faisant lécher une poussière qui est celle du tombeau. Jean-Georges Cornélius écrivait justement dans ce sens : “La seule chose qui compte c’est d’arriver à force d’amour et de pitié à entendre tous les râles de la Sainte Agonie, et puis d’aller attendre que la formidable clarté de la Résurrection se glisse entre les pierres du tombeau” (Lettres à une carmélite).

En ce temps pascal, chacun peut vérifier combien la définition de la Révélation selon saint Thomas d’Aquin dans la Somme contre les Gentils est juste : la communication d’une lumière spirituelle intérieure, grâce à laquelle la connaissance humaine est rendue capable de percevoir ce qui ne lui pas accessible par ses lumières propres. Ainsi pouvons-nous rendre grâces, à la suite des témoins de la Résurrection, sinon nous ne serions capables de rien, sauf de nous enfoncer dans notre silence et notre tristesse au fond du caveau. Paul Claudel, écoutant les cloches qui sonnent à toute volée dans la nuit de Pâques, écrit : 

Ce n’est point une parole humaine, c’est le triomphe, la vendange énorme de toutes les étoiles dans le ciel ! / C’est la terre délivrée vers Dieu coup sur coup qui pousse cet aboiement solennel ! / C’est l’âme à moitié déshabillée déjà qui pousse cette acclamation délirante ! / C’est les morts de tous les cimetières à moitié vivants qui se mêlent à ces cloches énormes et bredouillantes ! / C’est le chaos du monde avec le péché dans une étreinte inextricable / Qui sur son visage tout à coup a ressenti l’impression de ces lèvres ineffables ! / Vous qui dormez, ne craignez point, parce que c’est vrai que J’ai vaincu la mort ! (Visages radieux, « La nuit de Pâques ».) 

Ce mécontentement du néant

Le poète dit ailleurs que les hommes pécheurs qui ont condamné le Christ n’ont pas pu L’empêcher de les empêcher de mourir. Sans doute aurions-nous préféré, à cause de l’habitude de la pesanteur, demeurer terrer dans les ténèbres pour l’éternité. L’homme, contrairement à ce qu’il prétend, n’est guère aventureux et il n’aime pas que ses habitudes soient soudain ébranlées et retournées. Paul Claudel parle de cette conversion, de cette nouvelle naissance lorsque le dégoût prend enfin le pas sur la peur et le néant : 

Apprends cette vertu en toi retrouvée qui se dilate et qui attaque lentement et qui mord. / Il n’y a rien en toi que Je n’aie fait et tout bas qui ne demande à M’obéir. / Il n’est que temps que Je Me mêle de ce bègue en toi ridicule qui ne sait pas où commencer et par quoi finir. / Ce lépreux que J’ai rincé à fond, ce ramolli que J’ai traversé comme du fer. / Ce sourd que J’ai débouché, cet aveugle que J’ai ouvert, / Ce tordu que J’ai rendu droit, ce démon que J’ai fait vomir aux possédés, / Ce pétrifié tout à coup qui bondit, et ce mort que J’ai ressuscité, / Tout cela ne serait point arrivé en eux, sans une certaine complaisance, / Ce mécontentement du néant en eux qui épouse Ma toute-puissance ! (Visages radieux, « Ne timeas, Maria ».)

Chaque jour qui passe doit entretenir ce mécontentement envers la médiocrité et les ténèbres. Telle est la lumière qui ne faiblit jamais. La foule de tous les estropiés se revêt alors de blancheur, miracle de Pâques, à jamais recommencé.

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Georges BernanosPâquesPaul ClaudelRésurrection du Christ
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