La Croix et Libération. L’actualité récente a lié les deux journaux à cause d’une stratégie de communication du président de la République. Deux quotidiens de deux camps différents pour exposer le même projet de loi sur "l’aide à mourir" : convainquons les gauchos que c’est assez et les cathos que ce n’est pas trop. La présidence d’Emmanuel Macron est celle du choix des journaux. Pour l’annonce de la candidature de 2022, on se souvient du recours à la presse régionale et du message sous-jacent : je ne pense pas qu’à Paris et à Bruxelles. Cette fois-ci, le coup médiatique n’est pas géographique mais idéologique : visant un large consensus, je sais parler à tous.
Libération de la mort ?
La Croix et Libération. À force d’entendre certains titres de journaux, on oublie presque qu’ils sont d’abord des mots. À l’origine, le choix de ces mots n’a pas dû être anodin. Ils devaient proclamer une vision des choses, un angle de vue, un étendard, peut-être une manière d’écrire. En empruntant son nom à un valet de comédie qui s’oppose aux abus de son maître et prend comme philosophie de "se presser de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer", Le Figaro promettait en principe des pages qui banniraient l’esprit de sérieux et la complaisance envers les "puissants de quatre jours". En s’appelant Le Monde, le quotidien fondé par Hubert Beuve-Méry s’imaginait sans doute soit plus sobre, soit plus universel. Le monde entier dans un journal, prétention à l’objectivité ou mégalomanie ?
Même si le débat gagne à n’être situé que sur le terrain de la loi naturelle, on ne peut nier que la contemplation d’un Dieu crucifié permet de croire moins difficilement qu’aucune souffrance n’est vaine.
Avec Libération, l’essentiel est dans l’absence d’article. Le titre est un cri, une revendication, un appel à manifester. C’est un journal qu’on brandit comme on brandit une tête au bout d’une pique. Le message subliminal d’Emmanuel Macron est-il qu’il n’est pas sourd aux révoltes, sept ans après avoir intitulé son programme de campagne "Révolution" ? Suggère-t-il plus souterrainement que son projet de loi entend libérer les hommes de la souffrance, voire de la mort dans ce qu’elle garde de tragique ? Cela conviendrait bien au rêve de toute-puissance étatique et clinique que le traitement du Covid manifesta en son temps. Mourir en bonne santé est désormais l’horizon indépassable du monde de la performance établie par la machine.
Retour du refoulé
Face à cette nouvelle forme de domination, grimée en utopie de libération, le choix conjoint de La Croix pourrait être lu comme un retour du refoulé. De fait, même si le débat gagne à n’être situé que sur le terrain de la loi naturelle — heureux l’athée qui ne se croit pas autorisé par décret à mettre fin à la vie de son frère —, on ne peut nier que la contemplation d’un Dieu crucifié permet de croire moins difficilement qu’aucune souffrance n’est vaine.
Devant les agonies les plus douloureuses, faut-il créer un monde illusoirement libéré de la Croix ou se souvenir que seule la Croix libère ? Telle est bien ultimement l’alternative que nous suggère le nom des quotidiens choisis par Emmanuel Macron. Nul ne nous fera avaler que cette alternative peut se résoudre par un "en même temps".