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Saviez-vous que la nièce de Montaigne est une sainte ?

JEANNE-DE-LESTONNAC

Sainte Jeanne de Lestonnac.

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Anne Bernet - publié le 01/02/24
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"La nature en avait fait un chef d’œuvre", disait le grand Montaigne de sa nièce Jeanne. L’Église en fit une sainte. Belle et spirituelle, mère de sept enfants, veuve courage, elle fondit une œuvre d’éducation pour jeunes filles qui rayonne encore aujourd’hui. Elle est fêtée le 2 février.

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Il est presque choquant de vouloir réduire une femme remarquable à sa parenté avec un grand homme, s’agirait-il de Michel de Montaigne. Certes, Jeanne de Lestonnac est sa nièce mais elle a existé par elle-même. Et elle a fait rejaillir sur sa famille sa propre gloire qui n’a rien à envier à celle de son oncle et la surpasse au plan spirituel. Venue au monde à Bordeaux, le 27 décembre 1556, elle a six ans lorsque, profitant des difficultés liées à de la minorité du petit Charles IX, huguenots et catholiques, qui attendaient impatiemment l’occasion, trouvent enfin prétexte à s’entretuer, précipitant la France dans un demi-siècle de guerre civile. Vivre dans ce contexte et un Sud-Ouest largement passé à la Réforme expose à mille dangers. Que ce soit au sein d’un couple mixte n’arrange rien.

« Fort pieuse et d’humeur joyeuse »

La mère de Jeanne, Jeanne Eyquem de Montaigne a embrassé le calvinisme dont rien ne la détachera. Aussi une certaine mésentente s’est-elle installée entre elle et Richard de Lestonnac, son époux catholique. Quand celui-ci se rend compte qu’elle élève leur fille dans la foi de Genève, il se fâche et exige que Mlle de Lestonnac soit éduquée dans la fidélité à Rome. En 1572, année de la Saint-Barthélemy, Jeanne épouse Gaston de Montferrand-Landiras. Sa dot est énorme, car, issus du grand commerce puis de la haute magistrature aux charges anoblissantes, Lestonnac et Montaigne sont riches, le marié aussi. Le jeune couple mènera une existence aisée ; Jeanne met sept enfants au monde. Quatre seulement atteindront l’âge adulte mais ce malheur est trop banal pour attendrir. Le décès de Montaigne, en 1592, qui la chérissait, n’hésitant pas à dire, tant il la trouvait intelligente et belle, "fort pieuse et d’humeur joyeuse" que "la nature en avait fait un chef d’œuvre", alors qu’il prenait une influence politique grandissante l’atteint davantage.

Une œuvre d’éducation des filles

En 1597, son mari disparaît à son tour, fin d’une union heureuse, puis son aîné. Ses filles, Madeleine et Marthe, devenues religieuses, son troisième fils entré chez les jésuites, Mme de Montferrand remet le patrimoine au puîné, seul resté dans le monde, et décide de consacrer à Dieu le reste de ses jours. Elle postule chez les feuillantines, une branche cistercienne, de Toulouse et prend le nom de sœur Jeanne de Saint-Bernard. Sa santé ne supporte pas l’austérité de la maison, elle tombe malade, doit sortir et revenir à son existence de riche veuve pieuse, sans renoncer à ses projets de vie religieuse.

Elle se sent appelée à unir apostolat et service du prochain, action et contemplation, en fondant une œuvre d’éducation des filles. En 1605, son confesseur, le père de Bordes, qui croit à ce projet dans la ligne des réformes tridentines, la met en relation avec le cardinal-archevêque de Bordeaux, Mgr de Sourdis, qui approuve et lui permet de fonder, en 1608, la Compagnie de Marie Notre-Dame, la dotant d’une chapelle. Peu après, Marthe et Madeleine de Montferrand obtiennent la permission de quitter, avec plusieurs compagnes, la congrégation des Annonciades bordelaise et de rejoindre leur mère, arrivée qui donne l’impulsion décisive à l’extension de la communauté. Jeanne prononce ses vœux en 1610.

Victime d’une cabale

Ce succès va se payer… Élue Mère Première, équivalent d’une supérieure générale, Jeanne exerce cette charge pendant quinze ans. Au terme de ce mandat, victime d’une cabale parmi les nouvelles religieuses qui la connaissent mal et la trouvent trop vieille, elle n’est pas réélue et celle qui lui succède s’ingénie à l’humilier de mille façons, lui interdisant toute communication avec l’extérieur, peut-être pour l’empêcher de se plaindre… Au vrai, elle n’y songe pas et subit ce traitement injuste jusqu’en 1626, date à laquelle elle est rétablie dans ses fonctions. Sa persécutrice, démise, lui présente des excuses pour ce qu’elle lui a fait subir ; Jeanne ne se contente pas de pardonner mais, pour ne pas ajouter aux difficultés de l’autre, accepte, malgré son âge avancé, de partir à Pau fonder une nouvelle maison. Mgr de Sourdis l’en fait revenir en 1634, pour qu’elle rédige les constitutions de la Compagnie. Obéissante, comme toujours, elle revient, se met à l’œuvre, mariant dans ses vues, non sans audace, la pensée de son oncle Montaigne, quelques souvenirs de sa première éducation calviniste et les méthodes d’Ignace de Loyola. Elle meurt à Bordeaux le 2 février 1640, à 84 ans. Elle a fondé trente maisons d’éducation en France, le reste du monde suivra.

Arraché à son tombeau pendant la Révolution, son corps, rendu à sa famille, doit être pendant la Terreur caché dans un clavecin… Les profanateurs finissent par l’y trouver et, dans une volonté profanatrice, jettent ses restes dans le trou où l’on vient d’ensevelir la carcasse d’un cheval… Cela n’empêchera pas la mémoire de Mme de Lestonnac de survivre. Elle est canonisée en 1949. 

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