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Arles, on le sait, était une ville importante dans l’Antiquité, depuis qu’elle a bénéficié de l’intérêt particulier de Jules César, qui a offert à la ville l’un des plus beaux portraits que le monde romain nous ait laissés. Octave Auguste a maintenu cette attention particulière, et on peut dire qu’Arles a été une ville particulièrement florissante sous l’Empire romain. Ce que l’on sait moins, c’est qu’Arles recèle un patrimoine chrétien très riche, remontant principalement au IVe siècle de notre ère.
Un important concile
Une communauté chrétienne y est attestée depuis le milieu du IIIe siècle, et Arles a été un foyer très fécond de christianisme. Une extraordinaire découverte, au début des années 2000, l’a prouvé, si besoin était : une église paléochrétienne, sans doute du Ve siècle, de grandes dimensions et pavée de mosaïques, peut-être le lieu où s’est tenu, dès 314, c’est-à-dire à peine un an après la libéralisation de la pratique du christianisme par Constantin, un important concile rassemblant les évêques de la Gaule. Si cette fouille n’est pas accessible au visiteur, il peut en revanche découvrir la vie et la foi de ces anciennes communautés sur les parois des sarcophages paléochrétiens présentés au Musée, qui en conserve une exceptionnelle collection — pratiquement aussi importante que celle du Musée du Vatican —, une quarantaine de pièces, la plupart complètes, quelques-unes fragmentaires, quelques-unes hélas mutilées du fait de dégradations antichrétiennes à l’époque révolutionnaire. Ce fonds à visiter peut être encore complété par les deux beaux sarcophages — intacts — de l’église Saint-Trophime.
Ces images ne sont pas seulement l’expression de la culture chrétienne des riches défunts qui y étaient inhumés, mais elles exprimaient d’abord leur foi dans le salut apporté par Jésus Sauveur, par son action directe et à travers les sacrements qui la prolongent dans l’Église. En ce sens, on peut distinguer deux types de décors : un décor plus complet et plus global, c’est-à-dire correspondant pratiquement à une catéchèse complète, et d’autres plus centrés sur certaines scènes majeures, les plus importantes aux yeux des fidèles de l’époque.
Une catéchèse complète : le sarcophage « dogmatique »
Le Musée d’Arles a la chance, qu’il partage avec celui du Vatican, de posséder un sarcophage dit "dogmatique", en fait une large catéchèse biblique, allant de la création de l’homme à la vie de l’Église, en passant par des scènes de l’Ancien Testament et des évangiles. Les deux bandes historiées superposées — celle du haut entourant le portrait des époux défunts — surmontées du couvercle ne présentent pas moins de seize scènes sur la longueur de la cuve (dix principales et six petites sur le couvercle) (fig 1). On y voit la Trinité créatrice, Adam et Ève près de l’arbre, Caïn et Abel, le sacrifice d’Abraham et le don de la loi à Moïse, l’adoration des mages.
Le reste des deux registres de la paroi sont occupées par des miracles de Jésus : la guérison du paralytique, celle de l’aveugle-né et de l’hémorroïsse en haut, les deux miracles jumeaux de la multiplication des pains et de l’eau changée en vin à Cana (fig. 2), le tout prolongé par quelques scènes de la vie de saint Pierre.
Les plus anciennes images chrétiennes
Contrairement au sarcophage "dogmatique" à trois étages, la plupart des sarcophages d’Arles sont à une seule bande, éventuellement surmontée d’un couvercle sculpté, ce qui limite le nombre des scènes susceptibles d’être montrées. Sur deux pièces, toute la longueur est occupée par une vaste représentation du passage de la Mer rouge, la lecture phare de la vigile pascale, image du baptême vécu comme une traversée des eaux de la mort (fig. 3).
Sur les autres cuves, le petit nombre d’images permet de mettre en valeur chacune d’elles, en particulier lorsque l’une des scènes occupe tout ou moitié des parois latérales. C’est ainsi que la collection présente un certain nombre de "premières fois", au moins pour la France. C'est le cas des plus anciennes images de la nativité avec déjà le bœuf et l’âne ! (fig. 4)
Mais aussi de l’adoration des mages, le baptême de Jésus par Jean-Baptiste — avec une magnifique colombe qui ressemble à un aigle — ; Jésus et la Samaritaine auprès du puits, Zachée perché dans son arbre (fig. 5), le dessèchement du figuier sur la parole de Jésus, ou encore l’entrée du Messie à Jérusalem.
On retrouve également les miracles dont il a été question ci-dessus : les pains et Cana pointant vers l’eucharistie, les guérisons pointant vers le salut apporté par le baptême, auxquelles s’ajoutent deux représentations importantes de retour à la vie : la résurrection de la fille de Jaïre et surtout celle de Lazare, en signe de la foi qui animait les défunts et de leur attente de la résurrection. Sur ces images, le Christ, représenté jeune et imberbe, tenant souvent en main le rouleau de la parole, guérit par le toucher de sa main, souvent grossie (ou par une baguette qui prolonge la main si besoin) des personnages figurés plus petits, en signe aussi de leur enfance spirituelle. Dans la représentation de la multiplication des pains et des poissons, le geste de bénédiction des deux mains de Jésus est presque sacramentel (fig. 8).
Ces premières images des Évangiles sont accompagnées de quelques moments de l’Ancien Testament, qui étaient devenus « classiques » dans la culture de l’Église ancienne, ceux où des amis de Dieu ont traversé indemnes la menace de la mort : le prophète Daniel jeté dans la fosse aux lions, les trois jeunes Hébreux dans la fournaise babylonienne, et surtout Jonas sorti vivant du monstre marin, lui que Jésus a choisi dans les Évangiles comme prototype de son mystère pascal. Ils incarnent l’espérance judéo-chrétienne.
Toute l’histoire du Salut
En bref, c’est toute l’histoire du Salut, la vie de l’Église avec ses livres saints, ses grands personnages et ses sacrements, qui se trouve exposée sur quelques mètres carrés du Musée d’Arles. Il n’y manque que la croix, peu représentée encore à l’époque, mais elle s’y trouve en quelque sorte déjà, sous la forme d’un poteau surmonté de la couronne du vainqueur et encadré par des soldats effarés devant la résurrection ainsi suggérée (fig. 9). Ainsi, au-delà de l’intérêt des collections païennes et civiques du musée, le visiteur ne regrettera pas cette plongée dans le monde des communautés chrétiennes des premiers siècles et de leurs images, qui constituent une sorte de catéchèse biblique des premiers temps.