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La fureur du bruit

Madeleine pénitente

HERITAGE IMAGES / AURIMAGES

Madeleine pénitente, Georges de la Tour.

Jean-François Thomas, sj - publié le 16/07/23

La vérité a besoin de distance et de silence, et pourtant le monde vit dans le vacarme organisé. Que faisons-nous pour quitter ce bruit ordinaire qui anesthésie notre esprit ?

Écrasés par un bruit permanent, les habitants des villes ne sont plus les seuls à subir cette agression puisque, désormais, chacun se crée son propre univers bruyant, fût-il dans l’endroit le plus reculé à partir du moment où il peut se “connecter” au monde virtuel. Il est impressionnant, et toujours inquiétant, de voir les transports publics et les rues remplis d’êtres casqués enfermer leur vacarme pour échapper à la fureur qui les entoure. Se réfugier dans le bruit comme antidote du bruit, voilà qui est étrange et qui ne correspond guère à la marche de l’univers dans ses rythmes naturels. L’espace est silencieux. Les films de science-fiction sont trompeurs puisqu’ils mettent en scène des combats intergalactiques aussi assourdissants que nos batailles terrestres. Plotin avait bien vu que la nature est silencieuse car le silence cosmique est signe d’harmonie, d’absence de désordre. “Tout se fait en une marche silencieuse” dans le monde des astres, écrit ce philosophe (Les Ennéades, IV, 4, 4-5). Ce qui est vrai des sphères célestes l’est aussi de la vie qui germe, croît, se développe en silence car le réel, à la suite du bien, ne fait pas de bruit. 

La vérité a besoin de silence

Il en est de même pour notre vie intérieure qui redoute la confusion pour se nourrir et s’enrichir. Elle a besoin de silence. La vérité s’atteint par un chemin intérieur. Encombrer ce dernier par la fureur du bruit est se condamner à ne plus consentir à cette vérité. Aimé Forest, ce philosophe thomiste du XXe siècle qui consacra son œuvre à l’accueil de l’être et à l’intériorité, insiste sur cette attention aux moyens qui favorise l’épanouissement de la vie intérieure : 

“La pensée n’est pas portée en avant vers ses objets ou vers les tâches qu’elle prépare en éclairant le vouloir ; elle se porte en arrière, se retourne et cherche en quelque sorte sa propre source. L’esprit se reprend, essaie de mettre à part l’activité qu’il exerce ; c’est pourquoi la réflexion suppose toujours dans la solitude un effort de purification par laquelle l’esprit se sépare de ce qui lui est étranger” (Consentement et Création). 

Le vacarme organisé partout

Le silence est le compagnon de cette nécessaire solitude. S’en priver est du même coup se couper de la possibilité de réfléchir posément, sainement, de réfléchir tout court. Il est probable que le vacarme désormais organisé partout soit une arme entre les mains de ceux qui désirent asservir les esprits, utilisant pour ce faire des moyens multiples et parfois très sophistiqués. Lorsque l’esprit n’est plus capable d’être attentif, car sollicité et perturbé par tous les bruits du monde, il ne s’établit plus dans une attente qui est la condition de la possession d’un savoir et, à plus forte raison, de l’accueil d’une grâce. Sans détachement par rapport à tout ce qui le pollue, l’esprit en demeure à l’immédiat, aux urgences du concret ou à ce qui lui est assigné faussement comme urgent.

Toute vie ordonnée est silencieuse.

Sans cet effort, l’intelligence ne peut plus aboutir à affirmer l’existence objective des choses indépendantes de la manière dont elles nous apparaissent au premier abord lorsque nous les regardons et les saisissons trop rapidement et superficiellement. Nous nous contentons de la surface des choses et des êtres si nous ne prenons pas le temps de la solitude et du silence. Aimé Forest dit encore à ce propos : “L’attention n’est pas seulement direction de l’esprit, détermination du vouloir, ou, pour employer le langage de la psychologie actuelle, acte intentionnel. Elle est encore au sens propre du mot ce recueillement par lequel l’esprit revient à soi, se concentre, s’unifie et peut par là même se saisir en tant qu’il est orienté vers l’objet.” Nous ne pouvons pas nous tromper nous-mêmes très longtemps lorsque nous nous perdons dans le bruit, souvent pour fuir justement la réalité et la réflexion qui s’impose. Nous savons bien que toute vie ordonnée est silencieuse. 

Le bruit est toujours le signe d’un désordre

Aucun chemin vers Dieu ne passe par le vacarme. Toute vie contemplative germe sur le terrain du silence, ceci d’ailleurs dans toutes religions. Louis Lavelle (1883-1951), ce philosophe oublié, notait très justement : “Il n’y a de bruit que par les résistances d’une matière dont il nous fait entendre le gémissement” (La Parole et l’Écriture). Le bruit est toujours le signe d’un désaccord, d’une rupture, d’un désordre, sauf s’il est une suite de sons qui créent une harmonie, comme dans certains types de musique. Maurice Pradines écrivait à ce sujet : 

“Le son n’est pas un état naturel aux choses, du moins à la plupart d’entre elles ; quand il leur devient naturel, il tend à devenir harmonieux ; mais normalement, c’est en elles un discord, un phénomène de rupture, d’effraction, de scission intime ; et à l’égard du milieu le bruit est laid parce qu’il le mérite ; s’il déchire nos oreilles, c’est qu’il est un déchirement dans les choses ; en répandant la dissonance, il nous dit ce qu’il est” (Traité de psychologie générale).

Anesthésiés par le bruit ordinaire

Si tant de bruits nous effraient c’est parce qu’ils sont le signe d’une catastrophe en cours, d’une brisure dans l’ordre habituel. Le problème est que nous ne sommes pas tous les jours confrontés à un tremblement de terre, une avalanche, un ouragan, tous éléments de fureur envers lesquels nos sens réagissent et sont en éveil. Nous sommes plutôt endormis, anesthésiés par le bruit ordinaire qui nous pénètre peu à peu, s’installe comme s’il était chez lui et nous empêche d’entendre ce que nous devrions écouter : ce qui vient d’en haut et qui s’inscrit à l’intérieur de notre esprit et de notre âme.

Une inquiétude médicale actuelle et récente provient du fait que le canal auditif d’une majorité est prématurément abîmé à cause du bruit. Le système nerveux est lui aussi touché. Mais ce ne sont là que “dommages collatéraux” comme on aime à le dire aujourd’hui. La pire destruction est impalpable puisqu’elle s’attaque à l’homme intérieur. Les stoïciens comme Sénèque avaient bien tort de croire qu’aucun bruit extérieur ne pouvait affecter le philosophe. Cette relativisation de la disjonction ne tient pas compte de la dépendance qui s’instaure par le bruit dans notre être. Blaise Pascal avait bien flairé le danger : 

“L’esprit de ce souverain juge du monde n’est pas si indépendant, qu’il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le bruit d’un canon pour empêcher ses pensées : il ne faut que le bruit d’une girouette ou d’une poulie. Ne vous étonnez pas s’il ne raisonne pas bien à présent : une mouche bourdonne à ses oreilles ; c’en est assez pour le rendre incapable de bon conseil. Si vous voulez qu’il puisse trouver la vérité, chassez cet animal qui tient sa raison en échec et trouble cette intelligence qui gouverne les villes et les royaumes. Le plaisant dieu que voilà ! O ridicolosisimo eror !” (Pensées, 336 Brunschvicg).

Le repos de l’été

Alors que les corps et les esprits se reposent en été, au moins pour certains, il n’est pas sûr que les moyens utilisés soient appropriés si, bien loin de rompre avec le bruit habituel, nous en cultivons d’autres, si nous nous étourdissons dans la “fête”, celle qui est mise en place par des cochers autour desquels bourdonnent des mouches qui ne nous veulent pas du bien.

Tags:
silence
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