La jeune génération, nous dit-on, peine à s’engager. On incrimine, pêle-mêle, l’avenir incertain, le relativisme, la crise des valeurs de la République, le manque d’idéal, etc. Chez bien des jeunes catholiques, toutefois, la difficulté à tenir un engagement, même provisoire, ne semble pas se jouer par défaut, mais par excès. Engagements multiples, fin de l’engagement. Il y a, bien sûr, des jeunes gens dévoués et réellement désintéressés, qui répondent sans compter à des appels divers, sans jamais transformer leur service ni en pouvoir ni en prétexte pour n’avoir de comptes à rendre à personne. C’est d’ailleurs un paradoxe frappant : à tout âge, plus quelqu’un donne de son temps, plus il trouve du temps à donner, alors que moins il donne et plus il se trouve débordé sans rien faire. Chacun connaît des mères de famille nombreuses qui travaillent, président des associations, aident à la paroisse et réussissent encore à écouter les autres, tandis que de jeunes mères au foyer, dont l’unique enfant est à l’école toute la journée, jurent leurs grands dieux qu’elles n’ont pas une minute pour coller des timbres sur une poignée d’enveloppes.
Engagements infidèles
Ce n’est pas cela dont il s’agit ici, mais plutôt d’une infidélité à un engagement qui se pare des habits avantageux d’un autre engagement irréprochable. L’un abandonne sa patrouille scoute au milieu du camp, mais, dit-il, c’est pour aller aux JMJ. Tel autre, qui s’était inscrit pour porter des cartons, fait faux-bond à la dernière minute, mais c’est pour aller à une soirée pop-louange. On n’est pas loin de celui qui prétend voir "la volonté de Dieu" dans tout ce qu’il fait, afin de faire taire plus sûrement toute objection. Tout cela relève de ce qu’il faut bien appeler l’alibi spirituel, qui consiste à tenter de rendre inattaquable ce qui n’est ni plus ni moins qu’une infidélité à une promesse.
Prendre l’habitude de maquiller l’infidélité en dévouement n’augure pourtant rien de bon pour une vie de chrétien adulte.
Parfois dupes eux-mêmes, hélas, les parents, pleins de fierté attendrie, diront à leurs amis à la sortie de la messe : "C’est formidable, il est très engagé et très dévoué." Qu’en pensent ceux qui ont été dédaignés, au profit de denrées spirituelles jugées plus alléchantes ? Prendre l’habitude de maquiller l’infidélité en dévouement n’augure pourtant rien de bon pour une vie de chrétien adulte : un mari présentera-t-il ensuite l’adultère en soutien généreux à une femme qui se sentait seule ?
Sans rien demander à personne
La même perplexité peut venir en recevant, de la part d’un jeune catholique enthousiaste, une demande de soutien financier pour une année de formation à la mission. En échange de votre chèque, c’est juré, vous serez informé des moments forts de l’année ; vous pourrez suivre la progression de votre filleule ; vous pourrez l’admirer avec un sweat shirt "Jésus t’aime" sur la plage, grâce à des reportages-photos plus ou moins narcissiques. Que vous financiez ou non, vous êtes à l’évidence tenu de vous enthousiasmer pour cette jeunesse missionnaire, pleine de ferveur apostolique. Pourtant, il est difficile de ne pas penser, en comparaison, aux étudiants qui, sans rien demander à personne, passent leurs deux mois d’été à travailler pour financer comme ils peuvent leurs études, tout en essayant de garder l’esprit frais pour commencer à étudier le programme du concours de l’année suivante. Nul ne leur accordera par avance l’auréole du missionnaire ou la palme du martyre. Reste qu’ils n’entameront pas leur vie d’adulte avec la tranquille certitude que l’alibi spirituel donne tous les droits.