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Erdoğan, encore et malgré tout

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Adem ALTAN / AFP

Recep Tayyip Erdogan.

Tancrède Josseran - publié le 05/06/23

Attaché de recherche à l’Institut de stratégie comparée, spécialiste de la Turquie, Tancrède Josseran explique les raisons politiques et structurelles de la réélection difficile du président Erdoğan à la tête de la Turquie.

Samedi 3 juin, Recep Tayyip Erdoğan a prêté serment devant le Parlement, une semaine après sa réélection. Une nouvelle fois, l’homme a fait mentir toutes les prévisions qui le donnaient battu. Pour la troisième fois consécutive, le reis [chef] présidera au destin de la Turquie. Au bout de vingt ans d’exercice de l’État, sa longévité dépasse celle du fondateur de la Turquie moderne Mustapha Kemal. Pourtant, sa réélection avec 52% des voix n’allait pas de soi. Conspué à cause de son autoritarisme, le président turc est aussi jugé coupable de la chute de la monnaie nationale. La gestion discutable du séisme de février 2023 n’a fait qu’accentuer ces critiques. Dès lors, comment Erdoğan a-t-il pu triompher ?

Faire ce que l’on dit

Outre la mainmise évidente sur l’appareil médiatique, deux raisons essentielles expliquent ce succès. Tout d’abord, Erdoğan considère que toute promesse équivaut à un engagement. Le reis sait qu’en Turquie les électeurs jugent sur la capacité à rendre des services (hizmet). C’est ce souci de résultats que résume son clip de campagne : “Nous avons fait ce que nous avons dit” (Söz Verdik Yaptık). L’homme de la rue ne juge pas obligatoirement Erdoğan sur la crise qui secoue le pays aujourd’hui mais bien plutôt sur les acquis de ces deux dernières décennies. Beaucoup de Turcs conservent un souvenir cauchemardesque des années quatre-vingt-dix. Une décennie perdue scandée de crises interminables. Ils se rappellent les guichets bondés, les infrastructures surchargées, l’air irrespirable chargé de miasme de charbon. Vingt ans après, Erdoğan a fait surgir de terre ponts, autoroutes, trains rapides, aéroport géant. 

Des usines, est sortie une armée nouvelle. La Turquie ne quémande plus son matériel à l’étranger. Chars, hélicoptères, porte-aéronefs, drones, elle fabrique tout elle-même. À l’inverse d’Erdoğan, le candidat de l’opposition Kemal Kılıçdaroğlu n’a pas de bilan. Surtout, il incarne aux yeux de nombreux Turcs la Turquie d’hier, rudimentaire à l’intérieur et peu sûre d’elle à l’internationale. 

Le triomphe de la majorité

La deuxième raison est structurelle. Le centre de gravité de la vie politique turque s’épanche nettement à droite. Il existe en Turquie une majorité conservatrice turque, sunnite, à laquelle s’agrègent les Kurdes dévots. Elle rassemble 60% de la population. Or ces électeurs plébiscitent de manière quasi mécanique Erdoğan. Ni la corruption endémique, ni la dérive liberticide, ni l’inflation exponentielle ne semblent avoir de prise. En vérité, ces électeurs estiment qu’ils ont été dépossédés de leurs pays. Que la République laïque a brimé leur mode de vie, leur croyance durant quasiment un siècle. Que désormais avec Erdoğan, ce pays est redevenu leur pays. Pourquoi dès lors, en confierait-ils les clés à Kemal Kılıçdaroğlu, un laïc ? Un homme qui, de surcroît, revendique son appartenance alévie (minorité chiite hétérodoxe). 

Cependant, sur la question des minorités, les islamo-conservateurs font preuve parfois de plus d’ouverture que leurs opposants laïcs. Les Kurdes sous Erdoğan ont bénéficié d’avancées en matière d’éducation, impensables au siècle dernier. De même, l’accueil des réfugiés syriens au nom de la fraternité musulmane tranche avec la hargne anti-migrants de l’opposition. Par ailleurs, le parti islamo-conservateur vante dans ses clips électoraux d’avoir remis à l’honneur le patrimoine chrétien d’Anatolie : des églises, des monastères ont été restaurés. 

La situation des chrétiens

Si la situation des chrétiens n’a pas connu d’amélioration sensible, elle n’a pas subi non plus de dégradation. En sus, Erdoğan a compris tout le parti qu’il pouvait tirer d’institutions comme le patriarcat de Constantinople. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, c’est un atout majeur. En effet, le patriarche de Constantinople héritier de Byzance assume une primauté honorifique sur l’ensemble de l’Orthodoxie. Or, le patriarche de Constantinople a reconnu l’autocéphalie de l’Église orthodoxe d’Ukraine. En clair, Kiev s’est émancipé de Moscou. Désormais, l’Ukraine poursuit sa propre voie orthodoxe. Il est évident que la Turquie a laissé faire. De la sorte, Ankara qui n’applique pas les sanctions internationales contre la Russie, donne à peu de frais des gages à Washington. 

Ces électeurs en sont convaincus, Erdoğan est l’envoyé de la providence. En 20 ans, il est passé à travers tout : il a brisé l’establishment militaro-kémaliste, purgé l’État de la confrérie Gülen, triomphé d’un putsch, tenu tête aux grands de ce monde. Dorénavant, il lui reste à accomplir un ultime mandat, un mandat qu’il a lui-même annoncé être le dernier…

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