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Lucifer de Cagliari, un champion de la foi handicapé par son prénom

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lorenza62 | Shutterstock

Anne Bernet - publié le 19/05/23 - mis à jour le 09/08/23

Les catholiques fêtent le 20 mai saint Lucifer. Évêque et défenseur de la foi, Lucifer de Cagliari (+ 370) combattit l’hérésie des ariens avec un zèle jugé excessif par les autorités romaines : s’il avait du mal à pardonner, l’Église lui pardonna son intransigeance…

Voilà quelques mois, un officier d’état-civil a refusé, arguant, comme le droit le prévoit, de l’intérêt de l’enfant, d’inscrire sur les registres municipaux un petit garçon que ses parents voulaient prénommer Lucifer. Un tel prénom se serait avéré en effet difficile à porter. Reste, et c’est l’un des critères pour admettre ou pas le choix parental, qu’il existe bel et bien au calendrier un très authentique saint Lucifer, fêté au martyrologe catholique le 20 mai.

Un très beau prénom

Lucifer, la suite de l’histoire a tendance à nous le faire oublier, est un très beau prénom, qui signifie “Porteur de Lumière”, en l’occurrence la lumière divine que le premier des Séraphins avait pour mission de répandre sur les autres chœurs angéliques puis sur l’humanité, rôle qu’il a refusé, ne voulant pas abaisser sa nature supérieure comblée de dons exceptionnels à servir un Dieu fait homme, prisonnier de la matière. En se rebellant contre le plan divin, en hurlant qu’il ne servira pas, Lucifer brise son alliance d’amour démesuré avec le Très Haut et se voue pour l’éternité à un malheur irréparable, incommensurable, que nous pouvons à peine imaginer. Cela fait, il perd sans retour non seulement les extraordinaires vertus qu’il possédait, désormais abîmées, faussées, mais aussi sa place au sommet de la hiérarchie angélique, passée à saint Michel. Il perd aussi son nom, qu’il ne mérite plus, pour prendre celui de Satan, ou de Diable, qui signifie en grec “Diviseur” car il s’acharnera à séparer l’homme de son Créateur.

Sous la protection de Notre Dame

En latin, Lucifer désigne aussi  “l’étoile matutine”, la dernière à briller tandis que le jour se lève, annonçant le lever du soleil, raison pour laquelle ce nom de Stella Matutina est porté par Marie, qui annonce et enfante le Christ, Soleil de Justice. Cela explique pourquoi, dans les premiers temps de l’Église, il a pu ne pas sembler choquant de baptiser un enfant Lucifer, ce qui revenait à le mettre, non sous la protection du Malin mais, au contraire, sous celle de Notre Dame, et c’est ainsi qu’au début du IVe  siècle un futur évêque a reçu ce prénom au baptême.

Pour être franc, ce que nous savons de lui est limité et sa mémoire s’est obscurcie, non à cause d’un prénom jugé toujours plus importable, mais en raison de prises de position, courageuses mais un peu raides, qui l’ont finalement conduit à provoquer un schisme… 

Contre Arius, le Credo de Nicée

La première trace de Lucifer, dont nous ignorons le lieu de naissance, peut-être l’Italie, et les origines familiales, date de 325, lorsqu’il participe au concile œcuménique de Nicée, dans les faubourgs de Constantinople. Ce concile a été réuni afin d’examiner la doctrine d’un prêtre d’Alexandrie, Arius, ancien universitaire converti au christianisme qui, pétri de philosophie grecque et trouvant les évangiles trop simples, s’est mis en tête de réécrire l’histoire du Christ dans une version plus conforme, selon lui, aux aspirations des intellectuels. Le résultat de ces spéculations, qui empoisonneront la chrétienté pendant des siècles sous diverses formes et résurgences, a été une négation pure et simple de la divinité de Jésus, “Fils de Dieu” de manière honorifique, si l’on peut dire… C’est contre ces délires que les pères conciliaires ont rédigé le Credo de Nicée, que nous disons toujours, proclamant Jésus “Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré et non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait.”

Sans doute Lucifer est-il alors un tout jeune prêtre, venu assister aux débats en compagnie de son évêque. L’expérience, qui aboutit à la condamnation d’Arius et de ses théories, le marque profondément. Nous le retrouvons presque trente ans après dans l’entourage du pape Libère qui lui a donné rang de légat. C’est à ce titre que Lucifer se rend à Arles où un concile s’est réuni pour arbitrer entre l’archevêque et l’évêque Hilaire de Poitiers. Hélas, dans l’intervalle, et malgré la mort d’Arius, ses idées l’ont emporté, du moins à la cour impériale de Constantinople. L’empereur Constance II est arien militant et entend éradiquer le catholicisme de l’Empire. Par la force. Athanase, qui, en 325, alors assistant du patriarche Alexandre d’Alexandrie, a rédigé le Credo nicéen et n’a cessé depuis de défendre la foi catholique, en a été la principale victime, chassé de son siège épiscopal, exilé à Trêves, rappelé en Égypte, chassé de nouveau, au gré des fluctuations politiques de l’heure. Lucifer et Athanase se connaissent bien et sont probablement amis.

Un compromis déshonorant

Le concile arlésien est voulu pour aboutir à une condamnation des nicéens ; ce sera le cas. Hilaire est exilé en Orient et Athanase, déposé, une fois encore, doit se cacher dans le désert de la Thébaïde. À tout cela, Lucifer, qui vient d’être nommé au siège épiscopal de Caliaris, aujourd’hui Cagliari, en Sardaigne, assiste avec consternation, et, comme il est courageux, il s’insurge contre ces décisions. Sans succès. Il n’en a pas davantage l’année suivante, lors du concile qui se tient à Milan, place forte de l’arianisme en Europe, tenu d’une main de fer par l’évêque hérétique Auxence.

Le pire reste à venir… À Noël 355, le pape Libère, chez qui la vertu de force manque cruellement, afin de s’épargner le sort d’Athanase et Hilaire, sauver sa tiare et échapper à l’exil, accepte un compromis déshonorant avec l’arianisme d’État et remplace la profession de foi nicéenne par un “credo mitigé”, dit credo de Rimini, qui nie, ou peu s’en faut, la divinité du Christ… Comme le dira un jour saint Jérôme, adolescent à l’époque : “L’univers consterné se réveilla arien.”

Les grands défenseurs du catholicisme, emprisonnés, exilés, sont dans l’incapacité de réagir et les prélats catholiques encore en place sont trop lâches pour s’insurger.

Ce scandale n’indigne personne. Les grands défenseurs du catholicisme, emprisonnés, exilés, sont dans l’incapacité de réagir et les prélats catholiques encore en place sont trop lâches pour s’insurger. À une exception près, qui fera sa gloire : Lucifer de Cagliari. L’évêque de Sardaigne a cette formule très digne, qui deviendra un mot d’ordre pour les fidèles : “Il faut mourir pour le Fils de Dieu.” Autrement dit, mieux vaut accepter le martyre que renier la divinité du Christ. Le martyre, à la différence du légitime évêque de Milan, Denys, qui mourra de mauvais traitements en déportation, Lucifer ne l’obtiendra pas mais il est aussitôt déposé, puis exilé en Syrie. À l’instar d’Hilaire, il en profite pour prêcher la saine doctrine aux populations locales abandonnées, ce qui oblige à le déplacer dans l’espoir de limiter les dégâts ; on l’envoie en Palestine, puis en Égypte où il se peut qu’il ait l’occasion de revoir Athanase. Et là, contre toute attente, les deux amis vont se disputer… 

Sanctionner ou pardonner ?

En 361, Constance II meurt, laissant la pourpre à un cousin éloigné, Julien, qui passera à la postérité sous le surnom d’Apostat. Julien, survivant, en raison de son très jeune âge à l’époque, du massacre perpétré par Constance et ses frères afin de se débarrasser de rivaux potentiels, et qui a vu son père et sa mère égorgés devant lui, déteste les ariens. Dans un premier temps, avant d’oser avouer que, baptisé de force, il ne croit pas au Christ et demeure fidèle au paganisme de ses parents, il prend fait et cause pour les catholiques persécutés. Athanase et les autres proscrits sont autorisés à rentrer chez eux. Tout laisse supposer — en fait, les choses seront plus compliquées que prévu … — que l’arianisme a perdu la partie et va disparaître. D’autant plus vite que les autorités impériales y aideront en usant de coercition à l’égard de ses partisans… Déposer évêques et prêtres ariens serait un excellent début. C’est en tout cas l’avis de Lucifer, que ses épreuves n’inclinent pas à une grande mansuétude envers ses tourmenteurs.

Or cette ligne de conduite ne sera pas celle d’Athanase, ni de Damase, qui, en 366, succède à Libère sur le trône de Pierre. Eux préfèrent le pardon et la réconciliation. Pour eux, un arien qui abjure l’hérésie doit être réintégré dans l’Église après un temps de pénitence. Cette question de la réconciliation mine l’Église depuis plus d’un siècle, exactement depuis 251 et la persécution de Dèce qui, si elle a fait très peu de martyrs, a provoqué un nombre record d’apostasies parmi des fidèles, et même un clergé et un épiscopat, mal formés qui n’ont pas eu le sentiment de trahir le Christ en acceptant de sacrifier à la déesse Rome, geste présenté comme une allégeance civique au régime impérial.

Face à cet effondrement massif, et en l’absence de pape, car Fabien a été exécuté en 250 sans que l’on puisse, dans la panique générale, élire son successeur, deux courants se sont dessinés au sein des communautés : certains, entraînés par un prêtre nommé Novatien, qui se verrait bien sur le trône de Pierre, ont décrété que la lâcheté des apostats ne mérite aucun pardon et que les réintégrer dans la communion ecclésiale serait une intolérable insulte aux martyrs et confesseurs qui ont enduré tous les tourments sans faiblir. Ceux qui ont renié leur foi méritent le feu éternel qu’aucun remords, aucune pénitence ne sauraient leur épargner…

Lucifer est partisan de la ligne dure

Face à cette position drastique, qui risque de désespérer des milliers de fidèles, faibles certes mais réellement repentants, se dresse l’archevêque de Carthage, Cyprien, dont l’autorité morale est incontestée. Cyprien ne minimise nullement la terrible gravité de la faute commise mais appelle à examiner les dossiers cas par cas, refusant de condamner avec la même sévérité l’évêque, conscient de la portée de ses actes qui a non seulement abjuré mais incité clergé et troupeau à l’imiter, et le chrétien illettré qui n’a pas saisi les enjeux, l’épouse que son mari a forcé à sacrifier malgré elle et le mari en question, les jeunes enfants conduits au temple et mêlés aux pratiques païennes et les adultes qui les y ont emmenés. Les uns sont coupables, les autres pas, ou à peine. Et puis, il y a ceux qui ont humainement cédé à la peur, et en pleurent de honte et de regret.

On peut d’autant moins damner d’office tous ces gens que, dans certains diocèses d’Afrique du Nord, d’Espagne, d’Italie, cela reviendrait à excommunier des communautés entières… Pour concilier justice et miséricorde, Cyprien a conseillé des peines légères, voire pas de peine du tout pour ceux qui semblent peu coupables, des pénitences longues, sévères, au pain sec et à l’eau, à vie parfois pour les autres, avec seulement la possibilité d’être réconciliés, pour les plus grands fautifs, in articulo mortis… L’Église s’est rangée à son avis, ce qui a d’ailleurs provoqué un schisme avec Novatien, furieux de n’avoir pas été élu pape, et ses amis qui se sont modestement baptisés “les Purs”… 

Cette histoire, Lucifer la connaît, il sait donc qu’Athanase et Damase suivent une ligne de conduite établie et éprouvée. Ils estiment mauvaise l’utilisation de la force publique dans les affaires ecclésiastiques, au point que Damase ne voudra même pas faire déposer les prêtres et prélats hérétiques, disant que la mort se chargera un jour d’en débarrasser l’Église. Il faut dire, en faveur de Lucifer de Cagliari, que sa position, si elle n’est pas charitable, est lucide. Il connaît assez les ariens pour savoir qu’ils verront dans l’attitude catholique non de la clémence et de la mansuétude, mais de la faiblesse et s’en serviront ; il n’a pas tort, l’avenir le prouvera. Et puis, ne pas déposer ces gens, c’est abandonner leurs ouailles exposées à leur mauvaise doctrine.

Un confesseur pardonné ?

Athanase pourra toujours objecter qu’il s’agit de réconcilier ceux qui acceptent d’abjurer l’hérésie, mais Lucifer doute en bloc de leur sincérité… À l’en croire, un hérétique reste un hérétique et mieux vaut ne pas s’entendre avec lui. En 362, la rupture entre l’évêque de Cagliari et Rome tourne au schisme. En fait, ce schisme “luciférien” impressionne plus par son appellation, bien qu’elle n’ait rien de démoniaque, que par sa gravité. Il touchera très peu de fidèles et disparaîtra après la mort de l’évêque, le 20 mai 371. 

D’ailleurs, la communion ecclésiale a-t-elle jamais été vraiment rompue ? Lucifer est enterré dans sa cathédrale, selon l’usage, et des fouilles archéologiques, au XVIIe siècle, permettront de retrouver sa sépulture et son épitaphe, qui ne fait pas mention de ses démêlés avec la papauté. Ainsi saint Lucifer de Cagliari figure-t-il au martyrologe catholique avec le titre de confesseur. Personne ne saurait le lui contester !

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