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Une mauvaise note française

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FITCH RATINGS

Jakub Porzycki / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Henri Quantin - publié le 17/05/23

Un monde où tout est soumis à la calculette, à l’audience et aux agences de statistiques a-t-il encore quelque chose de grand à transmettre ? s’interroge l’écrivain.

Peut-on parler d’événement quand une information tient en deux lettres ? Pas même un mot de deux lettres, ni même deux lettres différentes, mais une même lettre doublée, en majuscule : AA. Ajoutons tout de même un signe, négatif, puisque c’est un événement qu’on nous annonce malheureux : AA-, donc. Le vendredi 28 avril, Fitch, l’une des quatre principales agences qui évaluent la solvabilité de l’État français, a baissé la note de la France de AA à AA-. Drame. Peu de Français sont capables d’expliquer exactement de quoi il s’agit, mais tous ceux dont la scolarité a dépassé la maternelle comprennent que AA-, c’est une moins bonne note que AA. 

Tous notés

François-Xavier Bellamy remarquait dans Demeure (Grasset, 2018)un évident paradoxe de notre temps : les notes que beaucoup veulent supprimer à l’école sont devenues omniprésentes dans tous les autres domaines. Chauffeur d’un covoiturage, personnel d’un hôtel, réparateur de chaudière, caissière de supermarché, tous sont immédiatement soumis à une notation. Lettres ou têtes de Toto plus ou moins souriantes, le but est le même : avoir le plus possible de “contents” et le moins possible de “pas contents”.

On disait autrefois d’un professeur supposé partial qu’il notait à la tête du client ; c’est désormais le client qui note la tête du vendeur. Progrès ? Cela permet sans doute de mettre en garde contre quelques arnaques et de formuler quelques éloges mérités, mais la logique du “sitôt vu, sitôt noté” n’en entretient pas moins la surveillance de tous par tous et l’encouragement à la réaction compulsive par écran interposé. 

Le pessimisme est donc considéré comme coupable même pour une évaluation comptable : curieux mélange entre la prétention contemporaine à une vérité mesurable en toute chose, qui nous demande de vénérer un taux de croissance, et une obligation affective à croire en un avenir meilleur.

Tous notés, donc, y compris l’État français. Terrible humiliation pour le ministre de l’Économie, habitué des meilleures notes au cours d’études brillantes. Être obligé, en outre, de commenter un énoncé aussi pauvre que “AA-” doit être un peu frustrant, pour celui qui s’est penché autrefois sur La Recherche du temps perdu. Le plus simple pour Bruno Le Maire, comme pour tout élève déçu, a été de contester la notation : “Cette décision résulte notamment d’une appréciation pessimiste de Fitch quant aux perspectives de croissance[…]et de dette.”

Le pessimisme est donc considéré comme coupable même pour une évaluation comptable : curieux mélange entre la prétention contemporaine à une vérité mesurable en toute chose, qui nous demande de vénérer un taux de croissance, et une obligation affective à croire en un avenir meilleur. Le Progrès ayant imposé les chiffres partout, les chiffres sont tenus d’être eux-mêmes progressistes…

Au théâtre, aussi

Une réaction plus littéraire du ministre sur les deux lettres de la note infamante aurait-elle été plus adaptée ? Devant ce AA-, fallait-il qu’il réponde par le « ah, ah ! » d’un rire de comédie ou par le “ah ! ah !” d’un lamento tragique? Devait-il se voir plutôt en Titus (“ah dieux ! Dans quel moment son injuste rigueur/De ce cruel soupçon vient affliger mon coeur !”) ou en Orgon, dupe fanfaron refusant de se soumettre à plus lucide que lui (“Ah! Je vous brave tous, et vous ferai connaître/ Qu’il faut qu’on m’obéisse et que je suis le maître”).

Reste qu’un monde où la notation d’une solvabilité est devenue une manière décisive d’évaluer une nation n’a probablement plus rien à transmettre de grand.

Pour qui regarde moins le premier de la classe se sentant soudain mauvais élève que les faits que l’agence résume par un signe moins, la notation ne prête évidemment pas à rire, puisqu’elle pointe “l’impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents)”. Bien des commentateurs, avec une satisfaction plus ou moins visible, y ont vu un camouflet économique et politique pour le président de la République, quand ce n’est pas le signe d’un déclassement de la France.

Le déclassement est-il aussi culturel ? Trois jours avant le fatal AA- avait lieu la cérémonie des Molières. Au journaliste qui lui demandait s’il l’avait regardée, le comédien Michel Vuillermoz répondait sans s’embarrasser de diplomatie :

“Sûrement pas ! Je déteste les Molières, je déteste Alexis Michalik [le comédien et metteur en scène a présenté la dernière cérémonie en avril sur France 3, Ndlr]. Il est représentatif de notre époque, rapide, intelligent, mais pas du tout dans l’émotion. Il fait vite comme on fait pour la télé. Son Edmond que j’ai vu au théâtre du Palais royal à Paris est un cauchemar absolu, mais les gens adorent. Michalik est une star, un empereur, en tout cas dans le théâtre privé. On tire les gens vers le bas. On les flatte dans le sens qu’ils aiment. Ce n’est pas compliqué à comprendre et plutôt bien fait. On est passé d’un Giorgio Strehler ou d’Ariane Mnouchkine à Michalik. Waouh, la chute !”

Taux de remplissage

On trouvera peut-être le jugement sévère et on ajoutera sans doute que chacun ne voit la dégringolade qu’à sa porte, celle de la Bourse ou celle de la Comédie Française. On pourrait d’ailleurs objecter à Michel Vuillermoz que, même aux yeux de Molière, le taux de remplissage d’une salle n’est pas un si mauvais critère pour juger un spectacle.

Reste qu’un monde où la notation d’une solvabilité est devenue une manière décisive d’évaluer une nation n’a probablement plus rien à transmettre de grand. C’est un monde où tout est soumis à la calculette, à l’audience et aux agences de statistiques. Ce monde-là ne peut applaudir qu’un théâtre à son image, rentable et bien noté par des spectateurs devenus consommateurs. Que l’agence Fitch quitte son pessimisme ! Ce théâtre-là devrait faire venir des touristes en foule, du moins si “les mouvements sociaux (parfois violents)” ne leur font pas peur.

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Bien communFranceLittérature
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