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Jacques et Raïssa Maritain, l’évangélisation d’âme à âme

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CPP/CRIC

Jacques Maritain.

Xavier Dufour - publié le 27/04/23

Mort il y a cinquante ans, le 28 avril 1973, Jacques Maritain occupe une place de choix parmi les grands convertis du XXe siècle. Il contribua au renouveau de la pensée de saint Thomas d’Aquin en France. Son épouse, Raïssa, poète, connut une vie mystique ardente et douloureuse. Le rayonnement des Maritain, aussi ample que discret, procédait d’une évangélisation d’âme à âme, par le canal de l’amitié spirituelle.

Jacques Maritain et Raïssa Oumançoff se rencontrent en 1901, tandis qu’ils étudient la philosophie et les sciences à la Sorbonne. Enfants meurtris du rationalisme le plus désabusé, ils ignorent tout de Dieu. Le compagnonnage de Charles Péguy, puis la rencontre du philosophe spiritualiste Bergson, les préservent du désespoir en les fortifiant dans leur quête de la vérité. Ils sont déjà époux quand l’impétueux écrivain Léon Bloy leur révèle un christianisme ardent et prophétique. Baptisés en 1906, ils découvrent quelques années plus tard, avec la pensée de saint Thomas d’Aquin, leur propre vocation : témoigner de la vérité du Christ dans tous les secteurs de la culture — philosophie, art, politique… — en unissant la vie de l’intelligence à celle de la charité.

Évangéliser par l’amitié 

À partir de 1923, leur villa de Meudon où vit aussi Véra, la sœur de Raïssa, devient un havre pour toutes les âmes transies de la capitale. On y croise des artistes connus : poètes (Cocteau, Reverdy, Jacob), musiciens (Satie, Lourié), ; des écrivains tels que Julien Green ou François Mauriac ; des savants (Termier), des religieux (le père Lamy, curé des banlieues, le missionnaire Vincent Lebbe, l’abbé Journet, futur cardinal…), aux côtés de cent figures obscures en quête de vérité ou de réconfort spirituel. « Jacques parlait peu, raconte Raïssa, attentif au son des âmes. » Jean Cocteau, qui plus tard s’éloignera de la foi, témoigne également : “Il pouvait retourner l’âme d’un homme en quelques secondes, non par des arguments, mais par la seule flamme de sa charité.” De son côté Raïssa passe de longues heures en oraison pour porter la mission du couple. 

On ne peut dénombrer tous ceux qui, pèlerins d’un jour ou hôtes réguliers, trouvèrent à Meudon lumière et espérance et toutes les conversions que le couple suscita. Le secret de cette fécondité réside dans l’amitié spirituelle qui ne peut se tisser que patiemment, dans le contact d’âme à âme. Les époux Maritain sont aussi exigeants quant à la vérité qu’infiniment respectueux des personnes qui viennent à eux, toujours attentifs aux “germinations invisibles” de la grâce jusque dans les cœurs les plus dévastés. Ainsi savent-ils accompagner des destinées aussi singulières que celle de Julien Green, converti au catholicisme et marquée dans sa chair par l’homosexualité. Les cinquante années de correspondance entre Jacques et Julien témoignent de la délicatesse du philosophe pour son ami blessé et de sa miséricordieuse exigences à son égard.

La menace de la guerre (Raïssa est juive et dès 1938 le couple est insulté par la presse antisémite parisienne) les conduit s à s’exiler à New York. Par ses écrits et ses allocutions radiophoniques, Jacques élève une voix chrétienne très écoutée contre le paganisme nazi. Leur rayonnement s’affermit outre-Atlantique où l’ “humanisme intégral” de Jacques, soucieux d’ensemencer toutes les réalités profane du ferment évangélique, va susciter de nombreux disciples. Après une parenthèse romaine de 1945 à 1948 (De Gaulle a nommé Jacques ambassadeur de France au Vatican), le couple, accompagné par la fidèle Véra, reprend le chemin des États-Unis et s’installe à Princeton où Jacques donne des séminaires et poursuit ses publications philosophiques. Véra meurt en 1959 et Raïssa, dont la santé a toujours été fragile, s’éteint en 1960 après une terrible agonie. Jacques se retire alors à Toulouse chez les petits frères de Jésus dont il prendra l’habit en 1970 à 88 ans. 

La vérité, la charité et la croix 

C’est en découvrant le journal spirituel de Raïssa que Jacques réalise rétrospectivement combien toute leur œuvre d’évangélisation s’était enracinée dans l’offrande radicale de sa femme : “Les baptêmes pleuvaient, les coups aussi… C’est elle qui portait le plus lourd du combat, dans les profondeurs invisibles de sa prière et de son oblation.” S’unir à la passion de Jésus, pour en prolonger la fécondité dans l’histoire, telle fut la vocation “corédemptrice” de Raïssa et à sa suite de Jacques (on sait que le couple alla jusqu’à sacrifier la dimension charnelle de sa vie conjugale par amour fou de Dieu). À l’annonce de la mort de Jacques, le 28 avril 1973, un témoin rapporte que Paul VI pleura d’émotion. Il fut lui aussi ami du couple et disciple de Jacques, dont il avait traduit les œuvres en italien et à qui il remit le message aux intellectuels à l’issue du concile Vatican II. Il salua les Maritain comme “maîtres dans l’art de prier, de penser et de vivre”.

Leur témoignage demeure prophétique aujourd’hui. À trop de chrétiens qui rêvent d’une piété dispensée du travail de l’intelligence, Jacques et Raïssa enseignent qu’ “il faut que l’Amour procède de la vérité et que la connaissance fructifie en Amour”. Aux apôtres impatients, tentés par des stratégies d’évangélisation massive, ils rappellent que chaque âme est unique dans son mystère irréductible. Seule l’amitié spirituelle peut réconcilier l’appel de la charité et celui de la vérité. Les “grandes amitiés” de Jacques et Raïssa ouvrent un chemin de sainteté à tous les “mendiants du ciel” dont ils ont partagé la quête et qu’ils accompagnent encore sur les chemins du Royaume.

Mon Jésus est tellement mon Dieu que je ne puis avoir d’autre Dieu que lui. Je l’ai vraiment choisi de ma jeunesse. Il est ma vie dès maintenant. 

Mon bien-aimé Jacques ! Depuis plus de 20 ans que je le vois vivre le cœur toujours tendu vers Dieu. Toute ma vie est à son service, au service de son œuvre qui est toute pour Dieu.

Je suis dans l’extrémité de la détresse et j’ai besoin d’un secours extérieur puisque Dieu s’est éloigné de moi. J’ai des heures de souffrance si terribles qu’il me semble que je vais perdre la raison. Mais je ne veux pas m’éloigner de la croix. Tous les jours je m’abandonne à la souffrance autant que Dieu le veut. Et la croix de Jésus me porte au-dessus de tous les abîmes.

Journal de Raïssa, 30 août 1925

Pratique : 

Raïssa Maritain, Les Grandes Amitiés, rééd. Parole et Silence, 2000, 365 pages, 21€. Le récit irremplaçable de leur jeunesse, leur conversion et des premières années de leur vie de couple. 
Jean-Luc Barré, Jacques et Raïssa Maritain, Les mendiants du ciel, Stock, 1996, 660 p. Une biographie complète.

Tags:
ConversionLittératurephilosophie
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