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Rafael Arnáiz, le jeune homme riche qui a dit oui quatre fois

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Rafael Arnáiz

Anne Bernet - publié le 25/04/23

Au début des années trente, en Espagne, un jeune homme fortuné promis à tous les plaisirs de la vie décide de tout abandonner pour suivre Jésus. À quatre reprises, sa santé s’y oppose, mais Rafael ne lâche rien. Il est fêté le 26 avril.

““Il ne te manque qu’une chose : vends tout ce que tu possèdes, puis viens et suis-moi.” Mais le jeune homme s’en alla fort triste car il avait de grands biens” (Mt 19, 21-22). Tout le monde connaît l’histoire de ce fils de bonne famille attiré par le Christ mais incapable d’aller jusqu’au bout de son engagement en renonçant aux avantages de ce monde et qui arrache au Seigneur ce commentaire désolé : “Il sera plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille” (Mt 19, 24). Au début des années trente, en Espagne, un jeune homme fortuné et mondain promis à tous les plaisirs de la vie décidera de tout abandonner pour suivre Jésus, et ce n’est pas une fois mais quatre que le Maître lui redemandera de marcher à sa suite. Jusqu’à la croix. 

Il se rêve architecte

“Ce garçon est fou…” : voilà ce que frère Tescelino, novice du monastère trappiste San Isidro de Duenas, confie à ses proches en ce printemps 1938. Ce garçon qui est fou est son camarade de noviciat, Rafael Arnáiz Barón, et il faut admettre qu’à vues humaines, son attitude est incompréhensible. Ne s’obstine-t-il pas, quand tout semble l’éloigner de la vie cistercienne, à s’accrocher à ce qu’il affirme être sa vocation, alors qu’il ne trouve dans le cloître que souffrances, misères, rebuffades, humiliations et pourrait, chez lui, sans honte ni remords, mener une existence agréable ? Fou ? Non : mais Arnáiz est l’homme de la parabole évangélique qui a découvert une « perle de grand prix » et décide de liquider toute sa fortune afin de l’acheter.

Rafael est né à Burgos le 9 avril 1911 dans une famille de la très haute société. Son père est un juriste de renom, grand propriétaire terrien, très riche ; sa mère appartient à l’aristocratie. Les quatre enfants Arnáiz Barón sont donc nés avec, comme on dit, “une cuillère en argent dans la bouche”. Pourtant, trois d’entre eux renonceront à tout cela au profit de la vie consacrée et Rafael, l’aîné, donnera l’exemple. Adolescent, à Oviedo dans les Asturies où la carrière paternelle a conduit la famille, il découvre la prière. À seize ans, il songe à la vie religieuse mais tant d’autres possibilités s’offrent à lui ! Musicien doué, remarquable peintre et dessinateur, il se rêve architecte et c’est cette voie qu’il choisit. Beau garçon, sportif, élégant, danseur infatigable, il possède d’immenses yeux sombres qui ne laissent pas les filles indifférentes. Quoi de mal à cela ? Rafael est sérieux, pieux, chaste et vertueux.

La Trappe de San Isidro

Pourtant, en 1929, sa vie bascule. Son oncle, le duc de Maqueda, consacre sa fortune à des œuvres d’apostolat, entre autres l’édition religieuse. Il a acheté les droits d’une biographie de Gabriel Mossier, officier français qui, après la “débâcle” de 1870, est entré à la Trappe de Chambarand. Ce livre, succès de la littérature spirituelle, a besoin d’une couverture attrayante pour le lectorat espagnol. Connaissant le talent de son neveu, Maqueda demande à Rafael de s’en charger et lui conseille, pour mieux saisir l’univers des trappistes, de visiter l’une de leurs maisons. C’est ainsi que Rafael arrive à San Isidro. Et n’a plus envie d’en repartir.

Reste que ni son père ni les supérieurs ne laissent ce garçon de 19 ans prendre ce genre d’engagements ; ils lui conseillent de finir ses études. Rafael accepte. Jusqu’à ce soir, trois ans après, où, à Madrid, l’une de ses amies, le trouvant décidément trop timide et réservé, décide de le déniaiser et se glisse dans son lit à son insu. Rafael doit à une invocation désespérée à Notre-Dame d’échapper à la tentatrice. Il décide d’abandonner ses études et de rejoindre la Trappe, ce qu’il fait le 15 janvier 1934, prenant le nom de frère Maria Rafael. À sa mère, il a dit en désignant le Christ : “Je Lui donne tout !” L’édifiante histoire devrait s’achever, ou presque, à cet instant, et le novice se lancer, au cœur du silence claustral, dans sa quête de Dieu loin du monde. Il n’en sera rien… 

Au plus mauvais moment de l’année

Les premiers mois de Rafael dans le cloître donnent entièrement satisfaction, même s’il se juge “un novice très dissipé”, son exubérance naturelle et sa joie de vivre exigeant d’être réfrénées pour obéir à la règle. En fait, dans son ardent désir de se sanctifier, ou plutôt de se laisser sanctifier par le Christ, disant : “Je veux devenir un saint et ne même pas m’en rendre compte”, cela afin d’éviter toute tentation d’orgueil, Rafael lutte, victorieusement, contre “le vieil homme”, et triomphe de toutes les répugnances naturelles qu’un jeune homme de la haute société peut rencontrer dans les privations monastiques, surtout dans le domaine de la nourriture. Ce sera la cause du drame… 

Il est entré au plus mauvais moment de l’année : le carême dont les rigueurs à la Trappe sont extrêmes, ne s’est permis aucune entorse au régime et voilà qu’après Pâques, il tombe malade. En huit jours, il perd vingt-quatre kilos, ne tient plus debout, ne voit plus. Le médecin diagnostique un début de coma diabétique. Si l’on commence à bien connaître le diabète, et à employer l’insuline pour le soigner, l’on ne sait pas encore le contrôler et son évolution, à ce stade, est toujours fatale. Plus question de garder Rafael au monastère… Laconique, le père abbé lui dit : “Allez dehors”, ce qui revient à le chasser. En mai 1934, il rentre chez lui, agonisant.

Les mérites du saint abandon

Les Arnáiz ont les moyens d’offrir à leur fils les meilleurs soins. Quelques semaines de traitement le remettent sur pieds, laissant espérer une guérison totale, à condition d’accepter un aménagement du régime monastique. La maladie aura-t-elle été une alerte un peu chaude, qui lui a permis de mesurer le prix de sa vocation ? Il avoue dans ses notes intimes, révélatrices d’une spiritualité qui s’élèvera vers les sommets tandis que les difficultés s’accumuleront combien l’épreuve est dure et qu’elle “contrarie ses projets” mais il est déjà capable de différencier la volonté de Dieu de la sienne, et si la volonté divine est de l’éprouver, il l’accepte, découvrant les mérites du “saint abandon”. Au début de l’été, sa santé semble s’être assez bonne pour envisager un retour à San Isidro à l’automne.

La révolution qui éclate en octobre dans les Asturies, prélude à la guerre civile espagnole, en décide autrement. Les “Rouges” s’acharnent contre les riches, les nantis, les catholiques. Les Arnáiz sont tout cela ; or, ils passent à travers les violences comme si une main puissante s’étendait sur eux. Cette protection divine, Rafael la paie : il rechute. Plus question de retour au monastère. Le médecin est formel, il ne guérira jamais, restera un perpétuel valétudinaire ; il ne fera jamais un vrai moine, encore moins un prêtre. Informés, les supérieurs lui suggèrent d’accepter le statut inférieur d’oblat, humiliant et qui ne correspond en rien à ses aspirations. Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux considérer que Dieu ne le veut pas chez les cisterciens, et peut-être même pas religieux ? Cette vocation dont il était si sûr devient sa croix, le conduit à un début de dépression. La maladie qui frappe alors sa jeune sœur, Mercedes, et manque l’emporter, l’arrache à cette crise. À en croire les siens, ce sont ses prières qui ont obtenu la guérison miraculeuse de l’adolescente. Rafael a trop d’humilité pour le penser mais, au chevet de sa cadette tordue de douleur, il a eu la révélation de ce que Dieu attend de lui ; il écrit : “Donnez-moi les souffrances qui m’entourent. […] Si, pour Vous aimer, la croix est nécessaire, envoyez-la-moi car, plus je la porte, plus je Vous aime !” et d’ajouter, revenant sur les difficultés qui l’ont accablé : “Je me cherchais moi-même.” 

Réduit aux emplois les plus humbles

Dépouillé de ce qui restait en lui d’amour propre, Rafael accepte ce statut d’oblat humiliant mais qui lui permet de rejoindre sa communauté et s’intégrer à la famille cistercienne. En janvier 1935, il regagne San Isidro. Et les épreuves reprennent. Son confesseur tente de le convaincre que sa place n’est pas à la Trappe, puis la guerre civile vide le monastère de ses jeunes hommes, mobilisés pour servir dans les troupes franquistes. Nouvelle humiliation, Rafael est jugé en trop mauvaise santé pour l’enrôlement. Pas question pour autant de regagner San Isidro, trop proche de la ligne de front et dont la communauté doit partir. Pour la seconde fois, il rentre chez lui. L’appel divin est toujours là, pourtant, lancinant. En 1936, les moines peuvent revenir, et Rafael les rejoint mais réduit aux emplois les plus humbles, cantonné à l’infirmerie, interdit de participer à la plupart des offices, trop fatigants pour lui, soumis à un régime amélioré qui lui vaut les brimades d’un frère scandalisé de “ce traitement de faveur”. Alors, il se prive de cette nourriture dont il a un besoin vital, jusqu’à rechuter. Il doit ressortir pour la troisième fois. Cette période hors du monastère, il la passe à peindre, réalisant des œuvres magnifiques, inspirées, tel le Saint Bernard qui sera un jour exposé dans sa cellule. 

Cette existence en apparence heureuse, qui lui assure les soins dont il a besoin, Rafael n’en veut pas. Certes, la vie à San Isidro est devenue pour lui un calvaire mais, le calvaire, c’est précisément là que le Christ l’attend. Il le crie : “Je ne peux pas fuir cette croix. Je viens, Seigneur !” Malgré toutes les rebuffades, le “jeune homme riche a décidé de suivre”. Peu importe le statut qui sera le sien. Il l’accepte : “Ni religieux, ni laïc, je ne suis rien.” “Je ne veux qu’aimer.” En décembre 1937, frère Rafael regagne le cloître, sans illusion : “Je reviens mourir ici.”

Il s’offre tout entier

Il n’est plus le même, tous s’en rendent compte. Une force, une lumière émanent de ce garçon épuisé, malade, humilié de mille façons. Contrairement à l’usage et à son statut d’oblat, les supérieurs lui accordent de prendre l’habit de chœur, celui des “vrais” moines, lui laissant entendre que l’oblature ne pourrait être qu’un passage. Rafael n’en est plus là. Désormais engagé dans un silencieux colloque avec le Christ crucifié, il va vivre le carême dans une intime union avec le Maître. Il confie à son carnet : “En contemplant Ta croix, qui osera dire qu’il souffre ?” “J’en ai demandé un petit bout.” Désormais, il offre tout, il s’offre tout entier, “afin de recevoir”. Comme s’il estimait qu’il n’est plus temps de se ménager, il refuse les adoucissements, déclarant avec un sourire : “Je sais ce que je fais.” Il se garde d’avouer que son diabète le torture, qu’il a faim et soif à hurler. Sur la croix, Jésus n’a-t-Il pas dit : “J’ai soif” ? Pour apaiser les divines tortures, Rafael se prive de boire. Ses proches parleront plus tard d’une “flamme d’amour ardent qui le consumait “. 

Le Jeudi saint 1938, le père abbé l’autorise à revêtir la coule, lui donnant l’apparence du moine qu’il a tant voulu être. À une semaine de là, le 26 avril, c’est revêtu de l’habit monastique qu’il rend le dernier soupir à l’infirmerie.

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