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Dysmas, le voleur du Ciel

Le pardon du bon Larron

Brooklyn Museum.

Le pardon du bon Larron, par James Tissot

Anne Bernet - publié le 24/03/23

On l’appelle le Bon Larron, et c’est le seul saint du calendrier authentifié et canonisé par Jésus lui-même ! L’Église le fête le 25 mars.

“Voici ta mère.” En entendant ces mots, en dépit des souffrances atroces que lui occasionne le moindre mouvement, et de la vague léthargie provoquée par le breuvage opiacé qu’on lui a fait boire tout à l’heure — histoire de simplifier la tâche des bourreaux, non d’adoucir son agonie — l’homme s’est péniblement redressé sur sa croix. Il essaie de regarder autour de lui et de comprendre ce dont il s’agit. “Ta mère…” Pas la sienne, en tout cas. Heureusement pour elle, la pauvre femme, à qui l’on aura au moins épargné de voir ce qu’est devenu son fils… Est-elle même encore en vie ?

En fait, il n’en sait rien. Depuis longtemps, pris au piège de ses grands rêves politiques et patriotiques, la libération d’Israël du joug romain, ce n’est pas une petite affaire, il n’a plus eu de temps pour s’occuper de ses proches. Cela leur aura épargné pas mal d’ennuis… Parce que l’occupant, ce chien destiné à la géhenne de feu pour l’éternité, ne fait pas la différence, bien entendu, entre un héros de son espèce, un authentique patriote, et un vulgaire bandit.

Il l’a trouvé saumâtre

Quoique… Bizarrement, le crucifié, cloué sur ce gibet de honte — “il est maudit de Yahvé, celui qui pend au bois” dit l’Écriture — ne se sent plus très sûr, maintenant, de la justesse de sa cause et de sa propre innocence. La postérité, et ses contemporains déjà, le traite de bandit, de brigand. En réalité, il est vraisemblablement un sicaire, un résistant à la présence romaine en Judée, un homme de coups de main et de guet-apens nocturnes.

Pas toujours glorieux, sans doute. Aller poignarder dans le dos un légionnaire isolé au coin d’une ruelle de Jérusalem, déclencher une émeute comme celle de la Pâque de l’an dernier, ce n’est pas l’aspect le plus noble de la guerre… Et puis, Barrabas, son chef, n’est pas vraiment un modèle de probité et, derrière les grands idéaux défendus, se cachent, son affidé le sait d’expérience, des activités qui relèvent du banditisme pur et simple, voire du crime de droit commun.

Cela n’empêche pas la foule de Jérusalem de tenir le chef pour celui qui brisera ses fers. C’est même la raison pour laquelle, ce matin, selon l’usage, quand il s’est agi de choisir, parmi les condamnés à mort, celui qui serait libéré en ce jour de fête, les gens se sont donné le mot, ou on le leur a soufflé, pour réclamer la libération de Barrabas, et l’obtenir, et envoyer à la croix le jeune rabbi de Nazareth…

Autant le dire, lui, le sous-fifre, sur l’instant, il a trouvé la plaisanterie saumâtre, à l’idée que le chef s’en tirait, alors que son copain et lui allaient finir, tétanisés, exsangues, sur cet abominable bois du châtiment. En compagnie de ce Jésus dont tout le monde chantait les louanges voilà cinq jours à peine, l’acclamant comme le roi d’Israël et son libérateur. Drôle de roi, drôle de libérateur… C’est sûr que Barrabas a plus d’allure. Pourtant, tout à l’heure, quand il a croisé le regard de son compagnon de supplice, il a eu l’intuition qu’il se trompait depuis le début, que le seul Chef qu’il aurait dû suivre, c’était ce jeune homme maintenant couronné d’épines et défiguré.

Une prière désespérée

“Voici ta mère.” C’est la sienne que le Nazaréen vient de désigner au garçon debout au pied de la croix, l’un de ses amis. C’est certain qu’il doit s’en faire pour elle, puisqu’il est fils unique et qu’elle n’aura plus personne tantôt pour s’occuper d’elle. Pauvre femme… Il baisse les yeux vers elle, apitoyé, envieux aussi, un peu, parce que ce serait mieux si la sienne, de mère, était près de lui. La femme inconnue le regarde.

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Marie au pied de la croix.

Et le crucifié lit dans son regard noyé de larmes un amour immense, qu’il n’a jamais lu dans les yeux maternels, un regard qui le transperce et l’oblige, dans sa pureté et sa lumière hors du monde, à se voir tel qu’il est, dans un retour absolu sur lui-même. D’un coup, il n’a plus envie de se plaindre et de se lamenter sur son sort, parce que, maintenant, il le sait, il l’a bien mérité, et qu’il est un assassin voué aux ténèbres éternelles. 

Cela, son copain ne l’a pas compris. Peut-être parce que, dans les vapeurs de la piquette droguée qu’il a bue, il n’a rien entendu, et qu’il ne regarde pas la Mère de l’Autre. Elle le regarde aussi pourtant, et il y a dans ses yeux une compassion désolée. Est-ce qu’il s’en rend compte ? Le fait est qu’il se met à crier : “Sauve-toi toi-même ! Et nous avec, si tu es le Christ !” D’une certaine façon, ce n’est pas tout à fait une insulte de plus s’ajoutant aux autres, qui fusent de toutes parts, plutôt une prière désespérée, mal formulée, qui reconnaît obscurément la possibilité d’un pareil miracle.

Le seul saint authentifié par Jésus

Le crucifié de droite tourne péniblement la tête vers son camarade, et, au passage, croise le regard du rabbi, cloué entre eux. À quoi servirait-il de descendre de cette croix maintenant ? Une autre possibilité s’impose soudain au supplicié, infiniment plus belle. Alors que le moindre mot devient douleur indicible, parce que pour parler, il faut se remplir les poumons, et, pour respirer, prendre appui sur les pieds déchirés, il se tend dans cet effort inhumain et dit : “N’éprouves-tu aucune crainte de Dieu ?

Pour nous, c’est justice car nous recevons le salaire de nos actes mais lui, il n’a rien fait de mal.” Puis, au prix d’une seconde goulée d’air qui lui arrache ses dernières forces, il ajoute : “Jésus, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume !”

Alors, Jésus se tourne vers lui et dit, s’infligeant pareillement la torture de parler :

Je te le dis, en vérité, ce soir même, tu seras avec moi dans le Paradis.

Ainsi un militant dévoyé devenu bandit de grand chemin et assassin, par la grâce du regard de Marie, s’offre le luxe unique, insensé, d’être le seul saint du calendrier authentifié et canonisé par le Fils de Dieu en Personne.

Parce que l’évangile n’a pas cité son nom, la Tradition lui en a donné un : Dysmas. Le Bon Larron qui a volé son ciel au dernier instant, misant tout sur l’acceptation réparatrice de ses souffrances et un acte de foi insensé. Une partie de sa croix est vénérée, à côté de celle du Sauveur, à Santa Croce di Gerusalemme à Rome. Le Moyen Âge a fait de lui le patron des condamnés à mort, mais aussi, parce qu’il est toujours utile de s’adresser aux spécialistes, le saint qui protège vos biens et votre domicile contre les voleurs.

Tags:
crucifixionPassion du christSaints
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