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Le prix Nobel, le fils handicapé et les oies sauvages

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Shutterstock I LABETAA Andre

Henri Quantin - publié le 22/03/23

L’écrivain Henri Quantin rend hommage au prix Nobel de littérature Kenzaburo Oé, décédé au début du mois de mars. Le Japonais avait un fils handicapé mental dont l’extrême sensibilité artistique l’inspira pour transmettre une belle leçon d’humanisme vrai.

À l’occasion de la mort, au début du mois, de Kenzaburo Oé, Japonais prix Nobel de littérature 1994, certains se plongeront ou se replongeront dans son œuvre. Les plus pressés pourront se contenter de son discours de Stockholm, dans lequel il essaya, un peu à tâtons sans doute, de rendre compte de ce qui animait l’écrivain et l’homme qu’il était, venant de ce pays moins reconnu dans le monde pour sa littérature que pour “sa technologie électronique ou sa production de voitures”. 

Le chant des oiseaux

Dans son discours de réception du Nobel, Oé, certes, évoque son pays, sortant coupable de la Seconde Guerre mondiale. Il parle d’humanisme, de réconciliation, des qualités qui font un homme aux yeux de Georges Orwell : decent, humane, sane (sain d’esprit) et comely (avenant). Il rend hommage à son maître en littérature, spécialiste de la Renaissance française et premier traducteur de Rabelais en japonais. Pourtant, cette profession d’humanisme et de tolérance semblerait un peu formelle et même très convenue, si Oé ne l’incarnait pas dans dimension personnelle. Comme pour s’excuser de ce qui sera finalement le plus beau du propos, il déclarait : “Je suppose que nombre d’entre vous pensent que raconter des anecdotes personnelles ne convient pas aux circonstances présentes.” Il est heureux qu’Oé ne soit pas plié à ces fausses convenances de remise de prix. 

La part personnelle qu’Oé met en avant est l’évocation de son fils handicapé mental, Hikari, nom qui signifie “lumière”. De manière touchante, l’anecdote fait de la littérature le pont, aérien, qui relie l’enfance du père à celle de son fils, au-delà de l’apparent fossé intellectuel qui les sépare. Enfant pendant la Seconde Guerre mondiale — il est né en 1935 —, Kenzaburo Oé raconte son émerveillement à la lecture du Merveilleux voyage de Nils Holgersson, dont il tira notamment une “prophétie” enfantine : il parlerait un jour aux oiseaux. Joliment, il rapporte alors que c’est son fils, et non lui, qui a réalisé la prophétie. Enfant, en effet, Hikari ne semblait entendre que le chant des oiseaux sauvages, ne montrant aucune réaction devant une voix humaine. Pourtant, à peu près à l’âge où son père lisait Nils Holgersson, il s’exprima soudain pour la première fois en langage humain : “Dans un chalet de montagne, lorsqu’il entendit le chant de deux marouettes venant d’un lac au-dessus d’un bosquet, il dit, en prenant l’accent du commentateur d’un disque d’enregistrements de chants d’oiseaux sauvages : “Voici le chant de la marouette.”” À cette occasion s’établie enfin la communication entre ses parents et lui. 

Éloge de l’acte artistique

En grandissant, l’enfant handicapé est passé du chant des oiseaux à la musique de Bach et de Mozart. Il s’est mis lui-même à composer, et même à faire de la composition “son habitude d’être”. Dans la musique de son fils, Kenzaburo Oé a perçu une profondeur de plus en plus grande, ainsi qu’une “masse de tristesse assombrie que les mots avaient été incapables de sonder jusqu’alors”. 

Dans cet univers, on ne peut dire si c’est le prix Nobel qui élève le handicapé mental ou le handicapé mental qui élève le prix Nobel.

De cette anecdote personnelle, Oé tire un éloge de l’acte artistique, capable à la fois d’adoucir et guérir, sans la nier, “la masse de tristesse assombrie” de son fils, mais aussi les maux de ceux qui l’écoutaient jouer. On plaint celui qui n’aura perçu dans l’anecdote du prix Nobel que le pathos hors de propos d’un vieillard qui raconte sa vie. À travers ce récit qui entremêle les lectures enfantines, les épreuves de l’existence et l’enrichissement mutuel du chant des oiseaux, de la musique des hommes et des mots des écrivains, c’est un univers entier que fait apparaître Oé. Dans cet univers, on ne peut dire si c’est le prix Nobel qui élève le handicapé mental ou le handicapé mental qui élève le prix Nobel. Élever, c’est bien le mot pour celui qui perçoit que les oies sauvages peuvent avoir bien des visages. Oé, au risque de continuer à faire ricaner ou bâiller les habiles, attribuait à l’une d’entre elles le visage de sa femme. 

Fidèle à l’enfant

Éloge de ses maîtres, éloge de ses lectures enfantines, éloge de sa femme, éloge de son fils handicapé…, ainsi se transmet “l’humanisme”, quand il n’est pas qu’un mot usé ou le paravent d’intentions douteuses. Oé ne parle pas de sa famille et de son enfance pour “venger sa race”, comme le fait Annie Ernaux, mais pour y puiser de l’universel. Il y a des manières plus fécondes que d’autres de rester fidèle à l’enfant qu’on a été… 

Tags:
HandicapLittératurePrix Nobel
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