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Puis-je appeler un prêtre « mon père » ?

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Luis Angel Espinosa LC | Cathopic

Benoît Gain - publié le 28/01/23

Pourquoi l’usage d’appeler les prêtres "père" s’est-il répandu dans l’Église, bien que Jésus lui-même se soit apparemment prononcé contre cette formule dans l’Évangile ? À travers cet usage, répondent la tradition et l’enseignement particulier de saint Paul, c’est bien l’unique paternité divine qui est honorée.

Pouvons-nous appeler un prêtre « mon Père » ? L’injonction de Jésus dans l’évangile de Matthieu est a priori claire : « Ne donnez à personne le nom de père, car vous n’avez qu’un père, le [Père] céleste » (23, 9). Il est vrai que le message s’adressait aux scribes et aux pharisiens, le titre de père n’étant alors donné qu’à de grands docteurs. L’appellation « monsieur l’abbé » donnée couramment autrefois, est-elle plus acceptable ? Après tout, « abbé » n’est que le décalque, via le grec et le latin, de l’araméen abbas, père (Rm 8, 15 ; Ga 4, 6), et son emploi a été largement répandu, et pas seulement en Occident, dans les églises copte, arménienne, géorgienne et d’autres encore. Pour autant, son usage s’est peu à peu abandonné… Pourquoi donc cette persistance à appeler nos prêtres « père » ? Comment des générations de chrétiens, clercs et laïcs, de cultures diverses, familiers des Saintes Écritures, ont-ils pu enfreindre une injonction si nette du Seigneur Jésus, la comprenant en un sens qui dépassait largement le contexte d’une controverse avec les pharisiens ? De fait, écrit le père jésuite I. Hausherr dans le Dictionnaire de spiritualité, abba ne se dit « dans le Nouveau Testament que de Dieu Père de Notre-Seigneur et notre Père ; et c’est Notre-Seigneur qui le dit ou l’Esprit qui nous le fait dire. N’y a-t-il pas irrévérence ou outrecuidance en l’homme à permettre que ce nom divin lui soit appliqué ? » (art. « Direction spirituelle en Orient »).

Un hommage à l’unique paternité divine

Loin de considérer nos anciens comme des ignorants, il faut reconnaître que dans cette coutume d’appeler père ou abbé ou père abbé, ils ont introduit consciemment « un hommage à l’unique paternité divine. C’est de Dieu-Père que descend toute paternité ou maternité, et c’est Dieu-Père que glorifie », qu’il en soit conscient ou non « quiconque prononce le nom de père ou de mère à propos d’un bienfait reçu ». En effet, nous dit saint Jacques, « ne vous abusez pas, mes frères bien aimés : tout beau présent, tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières  » (1, 17).  

Cependant cette assimilation est rarement exprimée explicitement, comme si elle s’était faite spontanément. Les spécialistes en relèvent une mention claire dans un texte occidental et déjà tardif, la Règle de saint Benoît († v. 547), c. 2, 1-2 : « L’abbé qui est digne de gouverner le monastère, doit toujours se rappeler le titre qu’on lui donne, et vérifier par ses actes son nom de supérieur. Il apparaît en effet comme le représentant du Christ dans le monastère, puisqu’on l’appelle de son propre nom, selon le mot de l’Apôtre (Rm 8, 15) : “Vous avez reçu l’esprit d’adoption filiale, dans lequel nous crions : abba, père” ! » Notons ici que de l’équivalence des noms abbé et Christ, on déduit qu’il existe une paternité du Christ, ce que corroborent des témoignages du IIe siècle.

Comme le rappelle le P. Hausherr, nous avons de la paternité de l’abbé au moins un témoignage antérieur à saint Benoît : dans les Vies coptes de saint Pachôme († 356) nous lisons de ses disciples : « Après Dieu, Pacôme était leur Père. » Et dans le cours des siècles, certains maîtres, et non des moindres, affirment la nécessité d’avoir un « père spirituel », tel Syméon le Nouveau Théologien († 1022), qui devait beaucoup à Syméon le Pieux . On pourra m’objecter que ces témoignages, certes bien établis, se rapportent au monde monastique au sens large et qu’ils n’emportent pas la conviction quand il s’agit de s’adresser à un prêtre séculier. Cette interrogation est d’autant plus justifiée que dans les premiers siècles, sacerdoce et vie monastique étaient deux voies bien distinctes. On doute même que Benoît fût prêtre. 

La « paternité » de Paul

Il convient donc de reprendre l’enquête plus haut, lors de la formation des premières communautés chrétiennes, c’est-à-dire chez saint Paul, l’Apôtre par excellence. La tâche nous est ici grandement facilitée par la consultation de l’imposante étude de Pedro Gutierrez, La Paternité spirituelle chez saint Paul (Coll. Études bibliques, Paris, 1968). L’auteur se livre d’abord à une vaste enquête dans l’Antiquité portant sur l’appellation de père parmi les courants religieux — officiels ou cultes à mystères — et les écoles philosophiques, ainsi que dans le judaïsme, textes de Qumran inclus.

Reconnaissons volontiers d’une part que l’appellation de père, comme toute formule humaine, pouvait devenir courante et perdre son sens profond

Il en ressort que la tâche pédagogique d’un maître par rapport à ses disciples était communément comparée à celle d’un père à l’égard de ses enfants. Le rapprochement, sous cet aspect, entre des textes de Platon et du judaïsme avait été relevé par Clément d’Alexandrie († v. 220) dans son ouvrage intitulé les Stromates (V, ii, 15, 4). Dans le judaïsme, du vivant de Paul, la littérature sapientielle illustre avec insistance la transmission de la sagesse par celle qu’un père accomplit auprès de son fils. Il n’est pas exclu, admet Pedro Gutierrez, que la réflexion des Grecs (relation analogique, pédagogique) ait influencé Paul, mais on ne peut le prouver. Et surtout, l’affirmation de Paul va beaucoup plus loin. Car il ne s’agit pas seulement de la transmission d’une sagesse, mais pour les fils (et filles, bien entendu) de Paul d’être véritablement engendrés par lui à une vie nouvelle, la vie dans le Christ — au sens que possède l’expression dans l’entretien avec Nicodème (Jn3, 1-8).

Les textes des épîtres pauliniennes sont nombreux et explicites, mettant en lumière soit la qualité de père de l’apôtre, soit celle de fils des fidèles. Citons : « Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n’avez pas plusieurs pères : car c’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus » (1Co 4, 15). Et dans la Première lettre aux Thessaloniciens: « Vous le savez : tel un père avec ses enfants, nous vous avons, chacun de vous, exhortés, encouragés, adjurés de mener une vie digne du Dieu qui vous appelle à son Royaume et à sa gloire » (2, 11-12). Les textes pauliniens les plus explicites mentionnent non des communautés, mais des individus. En premier lieu Timothée : « Tel un enfant (teknon, ainsi que dans les citations suivantes) auprès de son père, il a servi avec moi la cause de l’Évangile » (Ph 2, 22) ; « Je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant bien-aimé et fidèle dans le Seigneur » (1Co 4, 17) ; Tite ensuite, « mon véritable enfant selon la foi qui nous est commune » (Tt, 1, 4). L’esclave Onésime enfin, « mon enfant que j’ai engendré dans les chaînes (Phm, 10) » : entendons par là que Paul l’a baptisé de ses mains.

Reconnaissons volontiers d’une part que l’appellation de père, comme toute formule humaine, pouvait devenir courante et perdre son sens profond, d’autre part que Paul ne dit pas qu’il est père mais que son comportement à Thessalonique a été comparable à celui d’un père envers ses enfants (l’observation est a fortiori valable pour le passage où Paul se compare à une « femme qui nourrit », 1Th 2, 7). J’ajouterais que nous ignorons au juste si les communautés ou tel de ses disciples appelaient Paul du nom de père. 

Le « pouvoir » du père

L’injonction de Matthieu23, 9 ne visant que les spécialistes reconnus de la Loi, les chrétiens, engendrés à une vie nouvelle par le baptême, sont donc tout à fait fondés, à l’instar de Paul, à appeler pères ceux qui ont servi de canaux à cette Source, du moment qu’ils ne confondent pas les canaux — les transmetteurs — et la Source. Que certains aient fait cette confusion et qu’à partir de là, ils en aient tiré ou cherché à tirer quelque pouvoir, c’est un fait, dont l’actualité nous donne des exemples lamentables. Mais qu’un risque se mue en rejet catégorique, voilà ce qui nous semble imprudent. Assurément, tout comportement humain peut faire l’objet d’une déviation. À la limite, ne faudrait-il renoncer à évangéliser pour ne pas verser dans le prosélytisme ?

Les violences psychologiques, les turpitudes dans l’Église, parfois même dans la hiérarchie, que dernièrement l’actualité a révélées brutalement, incitent certains à repousser avec énergie tout ce qui pourrait manifester quelque apparence de cléricalisme.

Le Malin peut s’immiscer partout, il n’existe pas de gilet pare-balles dont il ne puisse pas venir à bout. Nous savons bien qu’il peut se servir même de paroles de l’Écriture pour nous égarer — c’est l’une des leçons de l’épisode de la Tentation au désert. Il peut aussi « se transformer en ange de lumière » (S. Ignace de Loyola, Exercices spirituels) et nous tenter sous apparence de bien (sub specie boni). Les violences psychologiques, les turpitudes dans l’Église, parfois même dans la hiérarchie, que dernièrement l’actualité a révélées brutalement, incitent certains à repousser avec énergie tout ce qui pourrait manifester quelque apparence de cléricalisme. On comprend jusqu’à un certain point les prêtres qui demandent à être appelés Monsieur, mais suffit-il de changer une appellation pour éviter un abus de pouvoir ? 

Plusieurs des textes néo-testamentaires font plus que suggérer que l’apôtre, et donc ses successeurs, engendre des fidèles dans le Christ par les sacrements. Le prêtre n’est pas un fonctionnaire comme l’étaient les « pontifes » des principaux collèges romains. Devrais-je dire alors que « MonsieurX » m’a baptisé, ou m’a donné le sacrement du pardon ? D’autre part, même si une revendication, un changement dans les usages ecclésiastiques paraissait fondé, voire indispensable pour rester fidèle à l’Évangile stricto sensu, cela ne justifierait nullement un véritable détournement des textes scripturaires. L’un des plus caractéristiques de ceux-ci paraît consister à ne retenir que les textes qui appuient ou semblent appuyer la thèse que l’on défend, selon la méthode sélective. Forme d’abus de pouvoir moins manifeste peut-être, mais non moins redoutable en ses conséquences que celle que l’on prétend combattre. 

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