Cette semaine, dans la rue, j’ai eu envie d’enlever mon col romain pour qu’on ne me reconnaisse pas comme prêtre, comme disciple de Jésus Christ, comme membre de son Église, j’avais trop honte ! Je pensais qu’il y a un an, nous avions touché le fond, et que nous pouvions commencer le travail de reconstruction, le long travail de reconstruction, que nous pouvions après avoir demandé pardon aux victimes, après les avoir écoutées, après avoir prié, entreprendre le chemin vers la lumière. Mais non ! Jusqu’où devrons-nous tomber ? Seigneur, nous ne sommes pas descendus assez profond ? Seigneur, nous ne sommes pas encore au fond du gouffre ? Seigneur, nous ne sommes pas assez humiliés ? Nous n’avons pas assez demandé pardon ? Et Jésus de répondre : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit » (Lc 21, 6).
Il ne restera qu’une seule pierre : le Christ
Tout sera détruit Seigneur ? Tout ce que nous avons mis des siècles à bâtir ? Oui, tout ! Il n’en restera pas pierre sur pierre, il ne restera qu’une seule pierre, la pierre angulaire, le Christ celui sur lequel tout doit être bâti. Alors Seigneur, que tout ce qui n’est pas bâti sur toi s’écroule, et si des pans entiers de ton Église doivent s’écrouler, Seigneur donne-nous de ne pas nous battre pour les retenir, de ne pas nous épuiser dans une entreprise vouée à l’échec ou pire encore, de ne pas nous battre pour les rafistoler en colmatant les brèches sous un sale enduit de mensonge ou de dissimulation, de secret ou de peur. Ces pans qui s’écroulent, ils ne sont pas ton œuvre, Seigneur.
Ce n’est pas saint Paul que nous suivons, ce n’est pas tel évêque que nous adorons, ce n’est pas le père Simon que nous écoutons, c’est Toi et Toi seul.
Mais donne-nous de ne pas nous focaliser sur l’écroulement parce que c’est désespérant Seigneur, et nous pourrions passer notre vie à contempler l’écroulement, à le commenter, à vitupérer, à accuser ceux qui souillent ces enfants, ceux qui sapent ton Église, ceux qui la salissent par leurs actes immondes, ceux qui ne savent pas la gouverner, nous pourrions chercher des boucs émissaires et nous passerions ainsi notre vie à juger alors que tu nous demandes d’aimer et d’agir, d’agir en aimant.
Un regard lucide
Donne-nous de ne pas nous tromper de « modèle à imiter » comme dit saint Paul, car ce n’est pas saint Paul que nous suivons, ce n’est pas tel évêque que nous adorons, ce n’est pas le père Simon que nous écoutons, c’est Toi et Toi seul. « Ne marchez pas derrière eux ! » lances-tu à tes disciples (Lc 21, 8), ce qui veut dire : « Marchez derrière moi, à ma suite, et ne me lâchez pas d’une semelle, moi le Soleil de justice qui apportera la guérison dans son rayonnement. » Parce que dès que je m’éloigne de toi Seigneur, dès que je te perds de vue, c’est pour me tourner vers une sombre idole.
Alors donne-nous un regard lucide, donne-nous de n’idolâtrer personne et de ne mettre notre foi qu’en Toi. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire confiance aux autres — il serait invivable ce monde de méfiance et de défiance — cela veut dire que nous ne mettons qu’en Toi notre foi, cette confiance absolue que Toi seul peut honorer, « Toi seul qui ne peut ni te tromper ni me tromper ».
Rendre témoignage
Mais alors Seigneur quel est le remède, quel est le chemin que tu nous proposes au cœur de cette crise ? Quel est le chemin que tu veux pour ton Église aujourd’hui ? Ce chemin est le même depuis 2.000 ans : « Rendre témoignage » (Lc 21, 13). Au cœur de la crise c’est tout ce que tu nous demande : rendre témoignage. Parce qu’il y aurait un piège à croire que nous pourrions résoudre cette crise seulement à force de réparations financières, de résolutions, de travail autour de la gouvernance, de procédures juridiques ou d’études sociologiques… Il en faudra bien sûr, et que ceux qui en ont la charge et le talent s’y attellent et y mettent toute leur énergie. Mais à nous, à l’essentiel de ton peuple, Seigneur, tu demandes seulement de « rendre témoignage ».
Vous me direz que ce n’est pas le meilleur moment pour rendre témoignage ? Au contraire, je crois que c’est le bon moment, le seul qui nous soit offert.
Vous me direz que ce n’est pas le meilleur moment pour rendre témoignage ? Au contraire, je crois que c’est le bon moment, le seul qui nous soit offert. Parce qu’il ne s’agit pas de témoigner de nous, de nos œuvres et de nos talents mais de Lui, Jésus, notre sauveur : nous y sommes. Parce que pour rendre témoignage, il faut être pauvre, très pauvre, et ne compter que sur le Christ : nous y sommes. Parce que quand l’Église ne peut plus compter sur son pouvoir, son aura, son influence, elle s’en remet aux pauvres, aux enfants et aux saints : nous y sommes. Parce que dans toutes les périodes de crise, le Seigneur à fait se lever une moisson de saints pour rebâtir son Église : nous y sommes.
Une Église de saints
« Car notre église est l’Église des saints », des saints, pas des infaillibles, pas des parfaits, pas des impeccables, des saints c’est-à-dire des pauvres et des pécheurs, de ceux qui ont éprouvé douloureusement leurs limites, leurs failles, leurs misères. Plutôt que de s’effondrer, plutôt que de désespérer, ceux-là ont choisi de t’accueillir, de s’en remettre à toi qui promet que « pas un cheveu de notre tête ne sera perdu ». Pour ma part, j’ai une joie au cœur, une joie profonde, une espérance que rien ne semble pouvoir déraciner, celle d’être enfant de Dieu, aimé du Père, celle d’avoir été appelé à le servir comme prêtre pour « rendre témoignage » avec vous.