Il y a un peu plus de vingt ans une poignée de jeunes gens, gonflés par l’enthousiasme des JMJ de Rome, proposait à Paris un projet pour annoncer à la ville et à ses habitants la bonne nouvelle de cette sainteté que l’on célèbre le 1er novembre. La veille, le 31 octobre, devant une église Saint-Sulpice éclairée de centaines de bougies, une grande scène permettait à des jeunes groupes de se lancer et de, peut-être, rencontrer un public sensible à la louange et à une rythmique plus enlevée que lors des messes dominicales. Holyween, le nom de cette fête, a permis à des milliers de jeunes de venir se réjouir, de prier, de chanter et de témoigner, de cette Toussaint ordinairement d’avantage perçue comme une fête de morts.
Le témoignage d’une foi souriante
Bien sûr, le clin d’œil à la citrouille existait. Il est même honnête de dire qu’il était à l’origine du projet. Mais ni les participants à la soirée, ni ceux qui distribuaient le journal gratuit au nom éponyme tiré à 15.000 exemplaires, ne s’y attardaient. Pour tous, l’important était dans le témoignage d’une foi jeune, vivante, souriante et profonde. Il n’y avait pas de guerre à faire, sinon celle pour tendre la main et dialoguer avec ceux que l’on rencontrait ou que les notes jouées sur le parvis poussaient à entrer dans l’immense église pour s’y recueillir ou rencontrer un prêtre.
Je pensais à ce lointain passé en tombant sur la énième invitation postée sur les réseaux sociaux, à lutter contre, je cite, "ces crétins d’athées qui veulent détruire la vraie religion en important le démoniaque Halloween". Pauvre "vraie religion" si elle nous pousse à la haine devant l’agitation de quelques cucurbitacées... Il y a dans cette colère des accents d’impuissance qui seraient touchants s’ils n’étaient tant répétitifs et sommaires.
Les temps changent
J’en parlais à un ami, qui revendique son incroyance ou en tout cas ses doutes sérieux, et qui me fit remarquer que lui-même ne voyait jamais ce genre de messages alors qu’il est bien plus friand que moi des réseaux sociaux.
Il y a vingt ans, un évêque qui se rend coupable d’abus sexuels et commet pour cela des sacrilèges graves, aurait fait la une de tous les médias.
C’est, me dit-il, que la sphère où s’expriment ceux que je lis parfois, est de plus en plus étroite et qu’elle ne se diffuse quasiment plus. Et c’est vrai que les temps changent sur ce point aussi. Il y a vingt ans, un évêque qui se rend coupable d’abus sexuels et commet pour cela des sacrilèges graves, aurait fait la une de tous les médias. Il n’occupe tristement la "une" que des titres de presse catholiques, et il y a fort à parier que la plupart de nos concitoyens en ignorent tout. "Tant mieux" diront ceux qui redoutent le scandale. "Ouf" soupirera l’intéressé qui peut du coup sortir dans la rue relativement tranquillement. Mais on est aussi en droit d’y voir un pas de plus dans le désintérêt total de nombre des Français pour l’Église, ses pompes comme ses frasques.
Le risque pour l’Église, dans cette situation de dédain ressenti et constaté, serait de ne plus chercher qu’à se conforter en elle-même. "Après tout, qu’importe les vicissitudes des uns si dans ma communauté tout se passe bien ?" Et, pour que cela continue à se passer au mieux, qu’importe si les mécontents, les dégoûtés, les fâcheux — pour tout dire — prennent la porte ? Autant rester avec des gens qui partagent les mêmes sentiments, et vogue le navire !
Délivrer un message
Devant les scandales et les défaillances, certains se replient, rentrent la tête dans les épaules et attendent la fin de l’averse. Mais il n’y aura pas de fin : un malade atteint d’un cancer peut-il imaginer que "ça passera" en mangeant de la soupe le soir et en faisant du sport le matin ? Il pourra ressentir un léger mieux, trompeur, qui n’empêchera rien. S’il veut vivre, il lui faut se soigner. Et le soin ne consiste pas à rentrer chez soi, tirer les verrous et tirer à vue sur tout ce qui semblerait remettre en cause ce précieux confort. Il y a quelque chose d’immense qui se profile, dont nul ne connaît les étapes à venir. Depuis vingt siècles, l’Église n’a cessé de réfléchir sur elle-même, sur le monde, sur ce lien qui les unit. Ce lien, c’est la Parole qui fait de l’Église bien plus qu’une religion au sens administratif et structurel du terme. Elle en fait, comme le dit le cardinal Aveline, un Message. L’Église ne peut être que si elle accepte l’immense fragilité de cette vocation. Car un message est une parole qui se communique, se reçoit, attend réponse, se discute, s’analyse, débat, mais toujours, oui toujours, s’offre.
C’est un peu de cela, il y a plus de vingt ans, qui mobilisaient les jeunes autour de Saint-Sulpice : délivrer un message dont ils n’étaient ni les auteurs ni les propriétaires, mais les porteurs. Plutôt que des énièmes réformes de structure, espérons que les discussions qu’auront les pasteurs de notre Église, réunis à Lourdes, sauront laisser résonner cet appel dont la Bible se fait l’écho puissant : "Qui enverrais-je ?" Et qu’ils ne se risquent pas à mettre trop hâtivement des barrières à tous ceux qui aspirent encore à répondre : "Moi, Seigneur !"