Devant les jeunes agriculteurs, le président Macron a tenu début septembre des propos qui n’auraient pas déplu à Jules Méline, père du protectionnisme de la fin du XIXe siècle : "Achetez français pour défendre notre souveraineté agricole" a-t-il dit. Et il a précisé sa pensée : la souveraineté agricole est "la mère des batailles […], c’est la clef pour ne pas se réveiller demain avec la gueule de bois". La plupart des Français qui n’ont pas attendu une injonction présidentielle pour acheter de préférence des produits alimentaires français, même quand ils sont plus chers, même quand ils ne sont pas de meilleure qualité, ne désavoueront pas ce morceau de bravoure.
Mais peut être remarqueront-ils que ce n’est pas la peur de la "gueule de bois" qui les motive, mais des sentiments autrement positifs, hommage au travail bien fait, choix des circuits courts, respect des traditions, goût des terroirs, amour du pays. Bref, ce qui motive les Français quand ils achètent français, ce sont leurs racines culturelles.
La culture et l’agriculture
C’est pourquoi le propos du propos d'Emmanuel Macron sonne de manière étrange dans la bouche d’un mondialiste revendiqué qui expliquait naguère qu’"il n’y a pas de culture française", et affirmait devant des Londoniens interloqués qu’il n’avait "jamais vu l’art français". Les produits de notre agriculture, nos vins par exemple, ne sont-ils pas des œuvres d’art ? Six ans après avoir décrété qu’il n’y a pas de culture française, le président Macron s’avise donc qu’il y a une agriculture française. C’est un début. Comme en d’autre domaines, l’énergie nucléaire par exemple, le chef de l’État finit par trouver la bonne solution après avoir persévéré trop longtemps dans la mauvaise. Mais est-il réellement converti ?
Un vin français est un produit agroalimentaire, certes, mais aussi une histoire, un art et une géographie.
Jacques Chirac disait souvent : "La France, c’est la culture et l’agriculture." Il disait même précisément : "L’identité de la France, c’est la culture et l’agriculture", car le mot identité n’effrayait pas les bonnes consciences à l’époque de Jacques Chirac. La production, le travail, l’art, la politique, la cuisine, il existe une manière française séculaire de les conduire ensemble : cela s’appelle l’identité de la France, selon l’expression lancée par Fernand Braudel en 1986. Un vin français est un produit agroalimentaire, certes, mais aussi une histoire, un art et une géographie. Il existe d’excellents sauvignons sud-africains. Délicieuses boissons. Mais un sancerre ou un chablis ne sont pas seulement des boissons : ce sont des morceaux de notre identité.
Le consommateur infantilisé
En agitant la menace d’une gueule de bois pour nous inciter à acheter les produits agroalimentaires français (au lieu d’aider tout simplement nos agriculteurs à être plus compétitifs et mieux payés de leur travail comme Méline l’avait fait avec ses tarifs), le Président ne fait pas qu’infantiliser le consommateur : il invente le mondialisme casanier. La IIIe République, malgré tous ses défauts, n’avait pas succombé à ce travers. En même temps qu’elle votait les tarifs Méline, elle créait à la Sorbonne une chaire de Civilisation française. Il y avait une cohérence, car il y avait un projet. À l’opposé du mondialisme casanier qu’on nous sert aujourd’hui à tort et à travers, son projet était un patriotisme universel. Nous ne sommes toujours pas sortis du malentendu.