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Le départ d’Elisabeth II : la fin d’une époque

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IVAN SEKRETAREV / POOL / AFP

La reine Elisabeth II et le président russe Vladimir Poutine à Londres, 27 juin 2003.

Jean Duchesne - publié le 09/09/22

Le monde que quitte la Reine n’est plus celui où elle a su tenir sa place, même si elle n’y a pas changé grand-chose. Grand spécialiste des pays anglo-saxons, auteur de "Petite histoire d’Anglo-saxonie" (Presses de la renaissance), l’essayiste Jean Duchesne voit dans Elisabeth II un exemple qui reste inspirant.

La disparition de la reine Elisabeth II suscite des émois prévisibles. C’est le moment de bilans, non seulement d’un règne d’une longévité exceptionnelle — 70 ans — et de la personnalité qui émerge de ces sept décennies, mais encore de toute une époque depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi l’occasion de jeter un coup d’œil sur le monde où Charles III monte sur le trône.

Ce long règne d’une souveraine qui s’éteint doucement presque centenaire, est en un sens assez représentatif de l’augmentation spectaculaire de l’espérance de vie en Occident. C’est bien sûr une conséquence et un reflet d’une sécurité, d’une prospérité et même d’un confort sans précédent. Mais en même temps, des mutations considérables se sont produites : progrès technologiques qui ont permis la croissance économique et bouleversé les modes de vie, avènement de la démocratie, contestée jusqu’en 1990 non plus par le fascisme et le nazisme, mais par le communisme, décolonisation, un métissage du pays et l’émergence de ce qu’on a appelé la mondialisation, sous l’effet d’une explosion démographique et du développement des transports et communications.

Au milieu de ces nouveautés, l’originalité et le mérite de la reine a été de ne pas changer, de ne pas intervenir ni porter de jugement, d’incarner la continuité et la stabilité — en somme, de rassurer par une sérénité bienveillante, alors que le commun des mortels courait éperdument après un “nouveau” prenant perpétuellement de court. Et c’est d’autant plus paradoxal que cette permanence passive mais sans crispation inversait complètement l’image classique du monarque comme hyperactif chef suprême qui contrôle tout. Les frasques de divers membres de la famille royale auraient pu être nuisibles. Elles n’ont fait que rapprocher la souveraine de son peuple au sein duquel de pareilles mésaventures, autrefois privilège d’élites, devenaient banales.

Le pari sur l’intérêt

Le monde où Elisabeth II a tenu le rôle précieux de grand-mère à la fois réconfortante et pas encombrante a sans doute définitivement pris fin quelques mois avant sa mort, avec l’agression militaire de l’Ukraine par la Russie. Il y avait bien eu des signes avant-coureurs, comme l’invasion de la Crimée puis du Donbass. Mais une page a été irréversiblement tournée en février dernier. Fin de l’ère où l’économique avait pris le pas sur le reste : le politique, le symbolique, l’idéologique, l’imaginaire… C’est une ère qu’avaient inauguré les “pères de l’Europe” après la défaite du nazisme, sous la menace du stalinisme et la protection américaine. Il s’agissait d’établir une coopération industrielle et commerciale privant d’intérêt tout conflit armé qui, comme l’expérience l’avait montré, laisserait désormais ruinés et exsangues aussi bien les vainqueurs que les vaincus.

On a donc commencé par la Communauté du Charbon et de l’Acier (CECA). Puis on est passé au Marché commun, et les six pays d’origine sont devenus les vingt-sept de l’Union européenne, après que le système soviétique rival s’est effondré, incapable de produire autant de biens de consommation, de s’enrichir assez pour moderniser sans cesse son arsenal et, plus généralement, de déployer une créativité compétitive. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, on a cru que la Russie, privée de ses satellites, entrerait dans le jeu des échanges. On lui achèterait les matières premières dont elle regorge, et son intégration au système permettrait non seulement son développement, mais encore son ralliement à la démocratie et à des mœurs libérales et « éclairées ».

Crise de la rationalité

Ce pari a échoué, et l’Occident est désemparé. En braquant ses canons sur l’Ukraine et en y envoyant ses chars, Vladimir Poutine s’est comporté d’une manière jugée incompréhensible : il allait, à l’évidence, contre ses intérêts ! Indépendamment du soutien logistique et moral aux Ukrainiens, la réplique a donc consisté surtout en sanctions économiques. Leur effet semble limité, au moins pour l’instant. La crise est donc militaire, humanitaire, économique (financière et soucis d’approvisionnement en nourriture et énergie), mais c’est aussi une crise de la rationalité, de l’intelligence interprétative des événements et des réalités.

Simultanément, la Chine pousse ses pions un peu partout sans que l’on saisisse bien comment ni dans quel but. Il est clair que, bien qu’officiellement toujours marxiste-léniniste, elle ne cherche pas à exporter son idéologie. Mais elle se fait recevoir en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient (sans parler du Sud-Est asiatique çà et là) probablement pour deux raisons : d’une part elle n’impose ni sa culture ni le communisme et ne remet pas en cause les traditions et “valeurs” locales ; d’autre part elle montre que la croissance économique peut très bien se combiner avec une répression efficace de toute opposition et dissidence, ce qui ne manque pas de séduire les régimes autoritaires, majoritaires dans ce qui fut le “Tiers Monde”.

Un nouveau paradigme

La fin du règne d’Elisabeth II coïncide donc — sans que la reine y soit pour grand-chose ! — avec l’avènement d’un nouveau paradigme, où est mis en échec le bon sens commercial qui prévaut sur les marchés et s’honore de répondre aux besoins et désirs des producteurs-consommateurs en les façonnant. Les symboles, les fiertés, les susceptibilités, les peurs, les égoïsmes collectifs et les repliements nationalistes y ont une part déconcertante, de même que l’hubris de personnalités enivrées par le pouvoir qu’elles acquièrent souvent par la séduction et conservent plus souvent encore par l’oppression.

Dans ce paysage, le souvenir de la petite dame qui, à l’ère précédente, a si longtemps régné sur le Royaume-Uni sans le régir peut rester inspirant. Elle a fait ce qu’elle était placée pour faire, sans l’avoir cherché ni conquis, sans avoir à combattre personne. Ce fut, à une époque où la raison froidement calculatrice s’imaginait triompher et se passer de religion, un témoignage rendu à la fécondité de la figure biblique et évangélique du roi-serviteur. Il n’est d’ailleurs pas douteux que la reine a été aidée dans sa mission par sa foi chrétienne. Toujours est-il qu’il y a là un exemple qui peut être utile aussi bien aux gens les plus ordinaires (dont chacun a, lui aussi, une mission, voire une vocation) qu’aux dirigeants et responsables d’aujourd’hui et de demain.

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