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La Pologne, comme d’autres pays gangrenés par le communisme, a profondément été marquée par la terreur dirigée contre les opposants au Parti. Mais il ne suffisait pas d’être d’un côté ou de l’autre. La machinerie totalitaire écrasait tout ce qui pouvait lui résister, la fin justifiant les moyens. De fin 1981 à l’été 1983, la loi martiale enclenchée par le général Jaruzelski fait des ravages. Le pouvoir a peur de l’ampleur du mouvement Solidarnosc, il craint de perdre le contrôle. Les citoyens, eux, sont soumis à plus de restrictions encore. Et surtout à une surveillance rapprochée.
Quarante ans après, le cinéaste polonais Jan P. Matuszynski s’empare de la bavure policière documentée par le journaliste Cezary Lazarewicz, en 2016, dans l’ouvrage Leave no Traces, The Case of Grzegorz Przemyk. Le décès de l’étudiant Grzegorz Przemyk, battu à mort par la police chargée de la répression politique (la Milice citoyenne). Fils de la poète Barbara Sadowska, ils sont tous deux proches de Solidarnosc, fondé par Lech Walesa en 1980, et de son aumônier le père Popieluszko. Le Parti fait tout pour éviter le procès et espère le tronquer. À l’époque, l’affaire fait le tour du monde, tant elle illustre le vice sordide de l’oppression soviétique. Le suspens est glacial, le dénuement face au pouvoir révoltant et la mécanique du mensonge redoutable. Sélectionné dans plusieurs catégories à la Mostra de Venise et des Aigles du cinéma polonais, le scénario, le jeu des acteurs, la mise en scène et la photographie sont en effet de taille. Un film magistral sur la mécanique du mensonge d’État et ses répercussions psychologiques, coproduit par la France.
La traque de l’innocent au nom du Mensonge
Le 12 mai 1983, dans les rues de Varsovie, Grzegorz fête avec son ami Jurek la fin des premières épreuves de bac. Il est brusquement interpellé par la police et emmené au commissariat. Les coups se déchaînent sur lui, Jurek est impuissant, empêché d’intervenir. "Frappez dans le ventre pour ne pas laisser de traces", entend-il de la bouche d’un des tortionnaires. Il est le seul témoin. Laissé dans un état critique, Grzegorz gémit de douleur sur une chaise. On l’envoie à l’hôpital psychiatrique, encadré par deux infirmiers, suspecté d’ébriété sur la voie publique. Il meurt le 14 mai. Sa mère, agressée quelques jours plus tôt par la police, sait bien qui est derrière. Elle n’aura de cesse d’encourager Jurek à se cacher jusqu’à la tenue du procès, au nom de la vérité sur la mort de son fils. L’engrenage est lancé. Et le pouvoir met tout en œuvre pour disculper les meurtriers, traquant les innocents pour qu’ils avouent à leur place.
Face à cette tragédie, le père Popieluszko appelle au silence, afin de ne pas riposter par la violence. Il organise une marche silencieuse à laquelle des dizaines de milliers de personnes participent : hors de question de taire la vérité. Grâce à lui, Jurek trouve refuge chez des particuliers. Durant 2h40 de film, la traque se déploie de partout. Mais cela ne paraît pas long, tant ce qu’il dénonce est un choc, aussi brutal que la mort du jeune homme. On découvre l’action redoutable de la police, prête à faire chanter n’importe qui pourvu d’arriver à ses fins. Quitte à détruire des vies. Pour cela, il suffit de vous menacer de perdre travail et honneur.
La réalité de l’ère soviétique surgit à nouveau, terrible et menaçante. L’on sort de ce film remonté contre le mensonge, la délation, la petitesse humaine.
Les scènes sont très judicieusement construites pour rendre compte du poison qui finit même par s’immiscer dans la famille de Jurek. Pendant ce temps, la juge chargée du procès est considérée trop proche de la démocratie. Une autre la remplace, de mèche avec les autorités. Le jour du jugement arrive, dont l’issue est réglée d’avance. Aucune arme, ici. Aucune guerre visuelle. Et pourtant, ce cancer du communisme totalitaire y ressemble bien. Deux silences se font face, celui de Solidarnosc, pourtant en résistance, et celui de ceux qu’on fait taire. La réalité de l’ère soviétique surgit à nouveau, terrible et menaçante. L’on sort de ce film remonté contre le mensonge, la délation, la petitesse humaine.
L’on a envie de se joindre à Solidarnosc, de se protéger sous la soutane vibrante de courage de Popieluszko, et de suivre son exemple. Lui qui déclamait durant ses messes pour la Patrie : "Malheur aux gouvernants qui veulent conquérir le citoyen au prix de la peur et de la frayeur de l’esclave. Alors ce ne sont plus des hommes qu’ils gouvernent, mais, excusez le mot, des choses." Ou encore : "La contrainte n’est pas une preuve de force, mais de faiblesse. Celui qui n’arrive pas à vaincre par le cœur ou la raison, essaye de vaincre par la contrainte. L’idée qui a besoin d’armes pour durer, meurt d’elle-même. L’idée qui ne peut se maintenir que par la contrainte est une idée dévoyée. L’idée capable de vie l’emporte par elle-même." La preuve, les valeurs portées par Solidarnosc donnaient la force aux détenus de résister, aux citoyens menacés d’être déchus de leur nationalité et expatriés, la force de résister. Le film n’a fait que 27.151 entrées en France, du 4 mai au 15 juin, supplanté par les sorties américaines, telles Doctor Strange et Top Gun, ou bien les comédies françaises. Mais il est encore temps d’aller le voir, pour ressortir plein de courage.
Pratique :