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Vladimir Poutine fait le pari de l’autonomie

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Alexey NIKOLSKY / Sputnik / AFP

Vladimir Poutine.

Jean-Baptiste Noé - publié le 23/06/22

Le Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF) qui se tenait du 15 au 18 juin est l’équivalent russe du forum de Davos. Il réunit chaque année des dirigeants de premier plan et des chefs d’entreprises internationales. Le géopoliticien Jean-Baptiste Noé décrypte le discours très attendu que Vladimir Poutine a prononcé. Sans surprise, le président russe n’a ouvert aucune porte de sortie du conflit avec l’Ukraine.

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Vladimir Poutine intervient au SPIEF depuis 2005 pour un discours sur l’état économique du monde, pendant du discours sur l’état politique qu’il prononce lors du forum de Sotchi. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, des sanctions économiques imposées à la Russie, des tensions sur les marchés mondiaux de l’énergie et des céréales, l’intervention du président russe était particulièrement scrutée cette année. Pendant plus de trois-quarts d’heure, il a exprimé sa vision du monde, de la guerre, des tensions économiques. 

Loin de se limiter aux sujets de politiques internationales, il a également donné une longue présentation de la politique intérieure menée en Russie, notamment en ce qui concerne l’aménagement du territoire. Le Président a introduit son propos de façon directe : « Je vous présenterai la vision de la Russie et de nos dirigeants sur la situation actuelle, économique et sur nos perspectives. Je vous présenterai également comment la Russie prévoit d’agir dans des conditions économiques qui changent rapidement. » 

La faute unique de l’Occident

Rejetant sur l’Occident la responsabilité du déclenchement de la guerre en Ukraine ainsi que l’inflation des prix des matières premières et énergétiques, le président russe s’est montré offensif dans ses accusations : 

« Quant à l’Europe, l’échec de la politique énergétique, la dépendance aveugle à l’égard des sources renouvelables et les approvisionnements ponctuels en gaz naturel ont apporté une contribution négative supplémentaire au dérapage des prix, qui a conduit à la forte hausse des coûts énergétiques que nous observons depuis le troisième trimestre de l’année dernière — là encore, bien avant le début de notre opération dans le Donbass. Nous n’avons absolument rien à voir avec cela. Ils ont tout gâché eux-mêmes, les prix ont grimpé en flèche, et ils cherchent à nouveau des coupables. »

À ses yeux, la Russie est donc un bouc émissaire, accusée d’être responsable de la hausse des prix afin de masquer les erreurs de l’Occident. : 

« Les erreurs de calcul de l’Occident ont non seulement augmenté le coût de nombreux biens et services, mais ont également entraîné une baisse de la production d’engrais, en particulier des engrais azotés produits à partir du gaz naturel. Globalement, rien que du milieu de l’année dernière au mois de février de cette année, les prix mondiaux des engrais ont augmenté de plus de 70%. »

S’il est vrai que l’inflation a débuté avant la guerre en Ukraine, notamment en ce qui concerne les céréales, l’intervention militaire l’a accrue et renforcée. Désireux de rejeter la responsabilité de la Russie dans un éventuel drame humanitaire causé par le manque de céréales, Vladimir Poutine a indiqué vouloir travailler avec les pays d’Afrique et du Moyen-Orient afin de leur fournir les grains nécessaires à leur population :

« La Russie, en assurant sa sécurité alimentaire intérieure, son marché intérieur, peut augmenter considérablement ses exportations de denrées alimentaires et d’engrais. Par exemple, le volume de nos approvisionnements en céréales la saison prochaine pourrait atteindre 50 millions de tonnes. En priorité, nous dirigerons nos livraisons vers les pays où les besoins alimentaires sont les plus importants et où il existe un risque d’augmentation de la famine. Tout d’abord, nous parlons de pays africains et du Moyen-Orient. »

C’est une façon à la fois de déjouer les attaques accusant la Russie d’être responsable des tensions sur les grains et de se présenter sous de bons auspices vis-à-vis de ses alliés africains et arabes. 

« L’opération au Donbass »

La question militaire ukrainienne, pourtant essentielle, n’arrive qu’au milieu de son discours, comme si cela n’était pas pour lui l’élément le plus important. Le terme « Ukraine » est par ailleurs moins prononcé que celui de « Donbass ». Au début de son intervention, Poutine évoque l’opération au Donbass, et non pas en Ukraine, comme si celle-ci avait été revue depuis le 24 février dernier pour ne concerner que la région Est de l’Ukraine et non pas l’intégralité du pays. Un changement sémantique qui n’est pas anodin et qui témoigne d’une inflexion dans la perception de la guerre. Néanmoins, le président russe accuse toujours l’Occident d’être responsable du déclenchement des opérations militaires, présentant « l’opération spéciale » comme une action de légitime défense : 

« Les garanties de sécurité sont dévaluées. L’Occident a fondamentalement refusé d’honorer ses engagements antérieurs. Il s’est avéré impossible de conclure de nouveaux accords avec l’Occident. Dans cette situation, dans un contexte de risques et de menaces croissants pour nous, la décision de la Russie de mener une opération militaire spéciale a été forcée. Difficile, bien sûr, mais nécessaire et indispensable. Il s’agit de la décision d’un pays souverain, qui a le droit inconditionnel, fondé d’ailleurs sur la Charte des Nations unies, de défendre sa sécurité. Une décision qui vise à protéger nos citoyens, les habitants des républiques populaires du Donbass, qui subissent depuis huit ans un génocide de la part du régime de Kiev et des néo-nazis, qui ont reçu le plein patronage de l’Occident. »

Tirer parti de la situation économique 

On retrouve ici la mention des « néo-nazis », constante depuis le déclenchement des opérations, ainsi que l’évocation d’un « génocide », grief récurrent là-aussi, qui est une façon de retourner les accusations que Kiev porte à l’égard de Moscou. Dans ce contexte, les sanctions économiques imposées à la Russie sont, pour le président russe, d’importance minimes :

« Bien sûr, les sanctions ont placé le pays face à de nombreux défis de taille. Certaines entreprises rencontrent encore des problèmes avec les pièces détachées. Toute une série de solutions technologiques sont devenues inaccessibles à nos entreprises. La logistique a été perturbée. Mais, d’un autre côté, tout cela nous ouvre de nouvelles possibilités — nous en parlons souvent, mais c’est la réalité. Tout cela incite à construire une économie dotée d’un potentiel et d’une souveraineté technologiques, manufacturiers, humains et scientifiques complets, plutôt que partiels. »

Toute une partie du discours russe est ainsi consacrée à l’indépendance technologique que le pays cherche à développer. Vladimir Poutine présente les sanctions comme une opportunité permettant au pays d’accroître sa puissance et son autonomie industrielle en se développant dans les nouvelles technologies. Politique volontariste assumée ou esbrouffe destinée à camoufler la réalité des sanctions ? L’avenir dira si son pari a été réussi. 

La Sibérie plutôt que le Donbass ? 

Chose plus surprenante pour un discours que l’on attendait centré uniquement sur les relations extérieures, Poutine consacre la fin de son intervention à ses projets pour le développement intérieur de la Russie. Une manière de faire taire les critiques de ceux qui l’accusent de se préoccuper davantage du Donbass que de la Russie. Il a ainsi annoncé un plan d’investissement pour la rénovation urbaine en Extrême-Orient, une politique nataliste offensive (« L’avenir de la Russie est une famille avec deux, trois enfants ou plus »), le développement d’une politique touristique respectueuse de l’environnement et des sites naturels, ainsi que d’un programme pour la préservation du lac Baïkal. Dans son discours, il n’est quasiment pas fait mention de la Chine et de l’Asie, seulement de façon annexe, marquant par-là que ces régions ne semblent pas essentielles à ses yeux.   

En invitant plusieurs intervenants étrangers, le SPIEF a été l’occasion de démontrer que la Russie n’est pas isolée sur la scène mondiale. En faisant un discours offensif, accusant les seuls Occidentaux d’être responsables de la crise et en rejetant toute voie à la diplomatie et à la négociation, Poutine n’a pas encore ouvert de porte de sortie. Difficile donc de voir une évolution favorable à la guerre et une solution de paix à court terme. Les projets russes de développement et d’investissements, pour ambitieux qu’ils sont dans la bouche du président russe, devront peut-être être revue à l’aune des réalités économiques subies par le pays. Plus inquiétant pour l’Ukraine et pour l’Europe, en s’enfermant dans sa sémantique et sa vision du monde, Vladimir Poutine ne laisse pour l’instant aucune ouverture à une paix future. 

Tags:
Guerre en UkrainePolitiqueVladimir Poutine
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