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La vérité sur la conversion de saint Augustin

SAINT AUGUSTINE

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Jean Mallein - publié le 29/05/22

Contrairement à la légende, la conversion d’Augustin est moins morale ou intellectuelle que spirituelle. Pour s’en convaincre, conseille Jean Mallein, spécialiste des textes de l’évêque d’Hippone, il faut lire ses "Confessions".

Pourquoi Augustin composa-t-il ses Confessions ? Ce n’est pas la honte de ses fautes passées qui le poussa à écrire, mais le besoin de confesser sa foi en la miséricorde de Dieu envers lui, en vue d’inciter ses lecteurs à se convertir. En effet, quand il écrit ses Confessions, Augustin, devenu évêque d’Hippone, a découvert ce qu’il a nommé le “péché originel”, un “état d’ignorance et de difficulté” par rapport à notre vocation à partager la vie de Dieu — “la vie éternelle” — et qui “ne peut être que le châtiment d’une faute”. Cette découverte ne fait que reprendre ce qu’en dit déjà l’Épître aux Romains, mais elle s’est imposée à lui en rédigeant son traité Sur le Libre arbitre, à propos de la question : “D’où vient le mal que nous commettons ?” Loin d’être un journal intime, ses Confessions sont la relecture des trente-trois premières années de sa vie par Augustin pour mettre en évidence les effets de ce péché dans lequel nous naissons tous, en même temps que la manière prévenante dont Dieu dans sa miséricorde cherche à nous en faire sortir. Et c’est pourquoi ce récit s’arrête à la mort de sa mère, quelques mois après son baptême reçu à Milan dans la nuit de Pâques 387.

Une conversion spirituelle

Cependant, contrairement à la légende dont il convient de se débarrasser au profit du texte des Confessions, sa conversion est moins morale que spirituelle et même philosophique. Certes, jeune homme arrivant à Carthage — Carthago-sartago, “la rôtissoire des honteuses amours” —, loin de la surveillance maternelle, il nous le dit lui-même, “je cherchais quoi aimer, aimant aimer, et je haïssais la sécurité et les chemins sans souricière”. Mais il ne tarda guère à se trouver une compagne et à se retrouver père d’un enfant qu’ils nommèrent Adéodat, “donné par Dieu” : “Dans ces années-là j’avais une femme ; ce n’était pas dans ce qu’on appelle l’union légitime que je l’avais prise, mais je l’avais dépistée dans mes vagabondages passionnés dépourvus de prudence. Toutefois je n’en avais qu’une et je lui gardais aussi la fidélité du lit” (Confessions IV,2). Ce fils qui reçut avec lui le baptême, mourut un ou deux ans plus tard. Dans l’éloge qu’en fait Augustin, on aura du mal à voir en lui le fils d’un débauché ou même celui d’un père absent (Confessions, IX,14) :

Nous nous adjoignîmes également le jeune Adéodat, le fils de ma chair et de mon péché. Tu avais fait de lui une belle œuvre : il avait environ quinze ans et déjà dépassait en intelligence bien des hommes graves et instruits. Je te confesse tes dons, Seigneur mon Dieu, créateur de toutes choses, assez puissant pour donner une forme à ce qui en nous est difforme. Car, dans cet enfant, hormis le péché, il n’y avait rien de moi. Sans doute nous le nourrissions de ton enseignement, mais c’est toi qui nous l’avais inspiré, pas un autre ! […] Nous nous l’associâmes, lui qui avait le même âge que nous dans ta grâce, pour l’élever dans ton enseignement. Et nous reçûmes le baptême, et s’enfuit loin de nous l’inquiétude pour notre vie passée.

“Le fils de ma chair et de mon péché” est à comprendre par référence au péché originel et non par le fait que ce serait “l’enfant du péché”, car, outre la bonne éducation de ce fils, Augustin évoque la séparation de ses parents, quand on lui fit comprendre, devenu professeur de rhétorique dans la capitale impériale, qu’il devait contracter un riche mariage pour asseoir sa situation : “Et l’on insistait sans se lasser pour me faire prendre épouse. Déjà, je faisais ma demande, déjà j’obtenais une promesse, grâce surtout aux efforts de ma mère : elle espérait par là qu’une fois marié, je recevrais l’ablution salutaire du baptême” (Confessions, VI,23). On mesurera ici la liberté d’esprit d’Augustin devant sacrifier l’amour à l’ambition (Confessions VI,25) :

Parce que je n’étais pas épris du mariage mais esclave de la passion, je me procurai une autre femme ; ce n’était pas bien sûr à titre d’épouse, mais comme pour entretenir par là et faire durer, entière ou même accrue, la maladie de mon âme, sous la garde d’une habitude prolongée jusqu’à l’avènement de l’épouse. Et ma blessure ne guérissait pas, celle qui s’était faite à l’arrachement de ma première compagne ; mais après un accès d’inflammation et de douleur très aiguë, elle se gangrenait ; la douleur était pour ainsi dire plus froide, mais plus désespérée.

Il était devenu manichéen

Cependant le tragique de cette histoire d’amour dont le fruit fut pourtant si exceptionnel et dont Augustin mit quelques temps à faire son deuil, ne doit pas masquer un autre péché, autrement plus grave, puisque c’est lui qui causa les fameuses larmes de Monique quand, certainement avec femme et enfant, son fils revint dans sa ville natale, durant un an, comme maître d’école… Dans les Confessions, la chose occupe la seconde partie du livre III, avant donc la très brève évocation de sa vie de couple, marquée par une naissance non désirée. Dans sa dix-neuvième année, après une lecture enthousiaste de l’Hortensius de Cicéron — une exhortation à philosopher en vue de la vie heureuse — qu’il relira plus tard comme le début de son retour vers Dieu, puis après une lecture en solitaire et malheureuse de la Bible, Augustin était devenu “auditeur manichéen”. Il le resta durant neuf ans avant de pouvoir s’en dégager et de poursuivre à Milan son retour au christianisme auquel, enfant, il avait été initié par sa mère :

Elle voyait bien que j’étais mort, elle, en se fondant sur la foi et sur l’esprit qu’elle tenait de toi. Et tu l’as exaucée, Seigneur ! […] Autrement, d’où serait venu le songe par lequel tu l’as réconfortée, au point qu’elle accepta de vivre avec moi et d’avoir avec moi table commune dans la maison ? C’était une chose pourtant qu’elle avait d’abord refusée, dans son aversion et son horreur pour les blasphèmes où me jetait mon erreur. Eh bien ! elle se vit debout sur une règle de bois ; un jeune homme venait à elle, resplendissant, épanoui et il lui souriait, tandis qu’elle était triste et triste jusqu’à l’accablement…

À la suite de ce rêve, que son fils interpréta alors comme si c’était elle qui devait venir vers lui, elle alla consulter un évêque “nourri dans l’Église” et connaissant bien les Écritures, et lui demanda de “s’entretenir avec moi, pour réfuter mes erreurs, me désapprendre le mal et m’apprendre le bien” (Confessions, III,21.) :

Il refusa, sagement en vérité, je le compris plus tard. Il répondit en effet que j’étais encore incapable d’être éclairé, du moment que j’étais tout enflé par la nouveauté de cette hérésie […]. “Mais, dit-il, laisse-le là, prie seulement le Seigneur pour lui. De lui-même, par ses lectures, il découvrira la nature de cette erreur et la grandeur de son impiété.”

Un cheminement bien difficile pour redevenir catéchumène

Et c’est parce que Monique insistait, qu’elle reçut de l’évêque cette réponse : “Va-t’en, laisse-moi ; aussi vrai que tu vis, il ne peut se faire que le fils de ces larmes périsse.” Et de fait, avant même de partir pour l’Italie où il logea chez des “frères” manichéens, à l’automne 383, Augustin ne pouvait déjà plus se satisfaire des réponses faites par eux aux questions qu’il se posait, que ce soit sur la nature de Dieu ou sur l’origine du mal, deux problèmes qui le préoccupèrent longtemps. En effet, confondant Dieu avec la lumière visible à laquelle le Royaume des ténèbres faisait la guerre depuis l’apparition de l’homme, mélange de matière et d’esprit, les manichéens étaient matérialistes, comme la grande majorité de leurs contemporains, et d’autre part, faute de reconnaître le rôle de son libre-arbitre, l’homme, à leurs yeux, n’était pas vraiment responsable de ses actes, mais le jouet d’un combat incertain entre la puissance du Bien et celle du Mal. C’est préoccupé par ces questions que, durant son séjour en Italie, Augustin devint de plus en plus sceptique. Cependant la Providence veillait et il obtint une chaire de rhétorique à Milan, “la ville de l’évêque Ambroise(V,23) dont il désirait vérifier par lui-même l’art oratoire. C’est en l’écoutant qu’il réalisa que le christianisme, à condition de savoir lire la Bible, était autrement plus crédible que les fables mensongères des manichéens et il décida de redevenir ce qu’il était depuis son enfance “catéchumène dans l’Église catholique, qui se recommandait de mes parents, aussi longtemps qu’une certitude ne me montrerait pas dans sa lumière où diriger ma course” (V,25).

Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair dans les convoitises” (Rm 13,13-14)

Car son esprit était encore bien loin de la vérité qu’il recherchait, en philosophe, depuis sa lecture de l’Hortensius, et, comme nous l’avons compris, le riche mariage qu’on lui proposa au prix d’une rupture qui lui brisa le cœur, n’était pas vraiment son affaire. En revanche, plusieurs rencontres allaient décider de son avenir ainsi que de celui de son fidèle ami Alypius : entre autres, celle du prêtre Simplicien qui avait baptisé Ambroise et qui lui raconta ce qu’avait été la conversion du rhéteur Marius Victorinus. Mais il y eut surtout la lecture des “livres des platoniciens” (VII,13), que nous dirions aujourd’hui néoplatoniciens, grâce auxquels il se débarrassa définitivement du matérialisme dans lequel l’avaient emprisonné les manichéens : il existait une réalité invisible, à rechercher non pas à l’extérieur mais en soi-même, par la pensée. Quant au mal, il n’était pas une “substance”, mais l’effet bien réel d’une liberté refusant l’ordre voulu par Dieu. 

“Une lumière de sécurité déversée dans mon cœur”

Enfin survint la scène du jardin avec cette voix enfantine chantant : Tolle, lege, “Prends et lis”, qui lui fit découvrir, comme si elle avait été écrite pour lui, cette phrase de saint Paul dans la page du livre qu’il ouvrit alors au hasard, comme l’avait fait avant lui saint Antoine (Confessions, VIII, 29-30):

“Non, pas de ripailles ni de soûleries ; non, pas de coucheries ni d’impudicités ; non, pas de disputes ni de jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair dans les convoitises” (Rm 13,13-14). Je ne voulus pas en lire plus, ce n’était pas nécessaire. À l’instant même, en effet, avec les derniers mots de cette pensée, ce fut comme une lumière de sécurité déversée dans mon cœur et toutes les ténèbres de l’hésitation se dissipèrent. […] Nous allons chez ma mère, nous entrons, nous l’informons, elle est en joie. […] Tu me convertis, en effet, si bien à toi que je ne recherchais plus ni épouse ni rien de ce qu’on espère dans ce siècle ; j’étais debout sur la règle de la foi, comme tu le lui avais révélé tant d’années auparavant. Et “tu convertis son deuil en joie(Ps 29,12), une joie beaucoup plus abondante qu’elle ne l’avait désirée, beaucoup plus attachante et plus chaste que celle qu’elle attendait de petits enfants nés de ma chair.

Une beauté, “à partir du dedans”

Augustin était alors devenu capable de penser “une beauté que ne perçoit pas l’œil de la chair, mais qui est vue à partir du dedans” (VI,26) et de rendre grâce (Confessions X, 38) :

Bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors et c’est là que je te cherchais, et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais ! Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi ; elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant, si elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas.

Et, après avoir renoncé à son mariage et à sa carrière de professeur dans “la chaire du mensonge” (IX, 4), pour vivre, comme son ami Alypius, en “serviteur de Dieu”, il demanda le baptême, qu’il reçut donc, quelques mois plus tard. Il n’était pas encore à la moitié de sa vie terrestre puisqu’elle ne s’acheva qu’en 430 dans sa ville d’Hippone, assiégée par les Vandales.

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