Que penser de l’irruption des nouvelles technologies du numérique, après l’usage récent fait par le service public de “deepfakes” (détournement d’images) ? Pour le père Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information (SPI), ce phénomène est plus préoccupant que ce que nous pouvons penser.
Le mot anglais « fake » est maintenant entré dans le langage courant. Si nous ne prenons plus la peine de le traduire, c’est que nous avons dépassé la phase d’accoutumance au « fake ». Fake signifie faux, artificiel. Les « fakenews » ou « fausses nouvelles » participent de la désinformation tandis que les « deepfake » détournent des images, des vidéos, des voix et même du texte, afin de produire des scènes et des discours totalement faux. Est faux ce qui est sans base réelle. Un deepfake est une vraie production numérique, un vrai objet social mais sans fondement réel. De par sa nature, l’homme cherche le vrai, mais étrangement il produit du faux. Nous connaissions les faussaires et leurs parfaites reproductions, nous connaissions les contrefaçons d’objets de luxe notamment, nous découvrons à grande échelle avec les outils numériques une nouvelle espèce de faussaires. Aucun système juridique à ce stade ne s’est sérieusement penché sur les conséquences sociales de cette industrie. Il le faudra pourtant et sans tarder car nous allons vite découvrir les conséquences sociales du faux sur la vie psychique. Mais avant toute décision, le législateur doit comprendre ce qui est en train de se jouer.
Commençons par rappeler qu’un être humain est une créature qui se raconte elle-même. Elle se construit une identité narrative dans un récit à partir de ce qu’elle voit, de ce qu’elle entend et de ce qu’elle vit. L’homme répond d’une obligation de donner du sens à son existence. C’est pourquoi, en toute personne se tient une parole de sens qui la tient en vie. Cette parole qui rend compte du sens que chacun parvient à donner à sa vie, à ses épreuves et peut-être même d’un au-delà de la mort. S’il n’est pas créateur de sa propre vie, l’être humain est mû par la nécessité de s’accomplir. Il est doué d’une inclination naturelle à créer, à accomplir sa vie. Il est habité par un désir de créer du vivant, d’animer des créatures, fussent-elles seulement numériques. On voit poindre ici la tentation démiurgique d’être « comme des dieux », créant un monde artificiel. Ce bref rappel conduit à comprendre combien nos impressions, notre sensibilité conditionnent notre compréhension des choses.