Sur une île paradisiaque au large de la Croatie, Julija, 17 ans, passe le plus clair de son temps à l’eau, et donc en maillot de bain. Ce corps solide et sensuel, et aussi mouvant qu’une murène une fois à l’eau, dérange le machisme traditionnel de la culture croate. Son père l’élève à la fois comme un garçon et comme une fille soumise. Mais quand un de ses vieux amis — ancien soupirant de sa femme — arrive sur l’île pour éventuellement lui acheter un terrain, l’équilibre de la famille dévit et grandit en tension.
La mer est ici partout, autour d’une nature austère. À la fois refuge et lieu de confrontation, elle est aussi le domaine du père, auquel il initie sa fille de manière plutôt masculine. Elle l’accompagne ainsi pêcher tôt le matin, apprend à harponner et à diriger un bateau. Toujours loin du reste du monde, celui de Julija se consume dans ce triangle entre ses parents et la mer. Elle est même devenue championne de plongée et d’apnée. Quand Javier, bel homme en proie à une vie privée en miettes — il est en instance de divorce — arrive sur l’île, le trio se plie en quatre pour lui plaire. La mère, le soir, s’habille pour lui, la fille doit réciter un poème composé par son père — dont elle omet à dessein le passage le concernant — et toujours aller se coucher quand son père le décide. La force du père se réduit quasiment à celle qu’il exerce sur les deux femmes qui partagent sa vie, si ce n’est quand il pêche ou navigue.
Alors que Javier apporte un peu de fantaisie à leur quotidien, Julija voit en lui le père qu’elle voudrait avoir, lui qui lui donne confiance en elle et la pousse à faire des études, et tente de pousser sa mère dans ses bras. Un léger jeu de séduction s’opère aussi de son côté quand elle découvre qu’elle peut lui plaire. Beaucoup d’ambiguïtés, donc, qui ne trouvent jamais de résolution. Ce jeu que l’on pourrait trouver malsain, ou mal à propos, ne l’est aucunement dans le film. Il apparaît plutôt comme la naissance du désir, au sens large, celui qui pousse à sortir des sentiers battus, du connu de la famille, pour prendre son envol. Javier représente en quelque sorte l’homme qui pourra l’ouvrir à l’aventure, comme toutes les jeunes filles en rêvent.
En parallèle, le père tente, sans remords, de vendre un terrain sur lequel des personnes sont mortes brûlées et dont les ossements jonchent la terre. Face à son père violent et directif, Julija s’échappe vers la mer et prend de plus en plus de libertés. Jusqu’à se faire enfermer, un soir, la veille du départ de Javier, sous le cri castrateur du père : “Tu n’iras nulle part !”. Ce à quoi la mère n’émet pas d’objection. Cela donne une scène magnifique où l’on voit Julija, livrée à elle-même, attendant d’être sauvée par Javier — qu’elle prend à la fois pour un prince charmant et un père — lever une trappe au sol qui donne directement sur l’eau au beau milieu d’une grotte.
Confrontée à la possibilité de la mort, elle plonge et tente, seule, de trouver le chemin de sa liberté. Cette fable sur la condition féminine en Croatie, mais pas que, se déploie avec brio autour de la thématique de la mer, source de vie, et de l’ambivalence du mâle, joueur et destructeur, parfois protecteur. C’est aussi un film intéressant sur la complexité de la liberté, toujours prise en filet entre le réel et les rêves.
Pratique :