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Le procès édifiant d’Irénée de Sirmium, l’autre saint Irénée

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Les chrétiens tenant la palme du martyre.

Anne Bernet - publié le 05/04/22

Moins connu que saint Irénée de Lyon, l’évêque Irénée de Sirmium offrit avec son martyre l’un des plus beaux témoignages des premiers temps de l’Église. Il est fêté le 6 avril.

Même si la personnalité du second évêque de Lyon a éclipsé ses homonymes, deux autres Irénée, martyrs, figurent au calendrier. Le premier, diacre de la ville de Sutri en Toscane, est mort en 401 sous la torture en même temps qu’une pieuse chrétienne, Mustiola, pour avoir donné une sépulture à un prêtre supplicié. Le second, évêque de Sirmium, aujourd’hui Sirmiek, en Pannonie, région qui correspond à la Hongrie actuelle, a rendu devant ses juges l’un des plus beaux témoignages des premiers temps de l’Église.

Comme il arrive alors assez fréquemment, la communauté chrétienne et le presbytérat de Sirmium ont choisi, lorsqu’il s’est agi de remplacer l’évêque de la ville, celui qui leur paraît le plus digne de l’épiscopat et du sacerdoce. Irénée, issu d’une famille chrétienne, est en effet un modèle de vertu et de piété. La seule difficulté, mais elle peut se régler aisément, si tous y consentent, est que cet homme, qui atteint la quarantaine, est marié et père de famille. L’Église ne fait pas obstacle à l’ordination des hommes mariés, à la condition absolue, toutefois, qu’ils se séparent de leur épouse ou vivent avec elle comme frère et sœur ; dans quelques décennies, l’on incitera, afin d’éviter toute tentation et toute calomnie, la femme à se retirer au couvent mais il n’en existe pas encore. S’agissant d’Irénée, nul ne doute, cependant, de son honnêteté et qu’il vivra désormais dans la continence absolue. Et c’est bien ce qui se produit. Le jeune évêque, s’il continue, évidemment, de s’occuper de sa famille, n’en vit pas moins le célibat consacré. Reste que cette famille existe, et qu’elle représente le point faible de cet homme, celui par lequel les persécuteurs vont croire, le moment venu, le conduire à l’apostasie.

La chasse aux fidèles du Christ est relancée

En cette fin d’hiver 304, dans un contexte politique très tendu, lié à l’abdication à venir de l’empereur Dioclétien et de son co-empereur Maximien, puis à l’accession à la pourpre de leurs successeurs désignés, les Césars Galère et Constance, les haines et les rivalités sont exacerbées. Galère, gendre de Dioclétien et chef de file du parti païen, ne veut pas avoir à partager le pouvoir avec Constance, soupçonné, en raison de son ancienne liaison avec la chrétienne Hélène, de favoriser l’Église. Déclencher une persécution revient à obliger Constance à révéler ses sympathies envers le christianisme, s’il refuse d’appliquer les édits contre les fidèles, donc à compromettre son accession au trône. Et peu importe le nombre de malheureux auxquels ce calcul va coûter la vie.

Pour la première fois, il est quasiment impossible d’échapper aux persécuteurs, d’autant qu’après des décennies de tranquillité, les chrétiens sont bien connus, identifiés et faciles à arrêter…

Par haine des chrétiens, ou simplement parce qu’ils veulent se faire bien voir en hauts lieux, magistrats et préfets, partout dans l’Empire, appliquent avec zèle les ordres impériaux ; la chasse aux fidèles du Christ, méthodique, prend des proportions jamais vues encore. Pour la première fois, il est quasiment impossible d’échapper aux persécuteurs, d’autant qu’après des décennies de tranquillité, les chrétiens sont bien connus, identifiés et faciles à arrêter…

« Celui qui me reniera… »

C’est ainsi qu’en mars 304, l’évêque de Sirmium est appréhendé et déféré devant le juge. En fait, il existe toujours un moyen de se tirer d’affaire : accepter de sacrifier aux idoles, acte d’apostasie qui réintègre le prévenu dans la communauté civique et le soustrait au sort horrible qui l’attend. Pourtant, bien qu’ils soient quotidiennement témoins des souffrances atroces infligées à leurs frères et sœurs par le bourreau et se sachent promis à une mort souvent longue et douloureuse, très rares sont ceux qui acceptent de renier le Christ. 

Le magistrat de Sirmium, un certain Probus, le sait, mais il pense tenir avec Irénée un sérieux moyen de pression : marié, père de famille, le jeune évêque pourrait bien se laisser fléchir par les larmes et les supplications de ses proches, raison pour laquelle la mère, l’épouse et les enfants du prélat ont été conduits dans la salle d’interrogatoire et conviés à assister à la séance de torture préalable. Encore Probus n’est-il si méchant qu’il y semble puisqu’il ne menace pas Irénée de faire torturer sa famille s’il n’abjure pas. Ailleurs dans l’empire, d’autres juges n’hésitent pas à faire crucifier des enfants sous les yeux des parents, une jeune épouse sous ceux de son mari, à menacer de mort un bébé pour fléchir une mère… Sans, d’ailleurs, venir à bout des confesseurs, ce qui les fait enrager et les pousse à renchérir dans la cruauté. Le dialogue, authentique, ce qui n’est pas toujours le cas des passions des martyrs, entre le juge et le prisonnier, est poignant : 

— Les lois des divins empereurs obligent tous les hommes à sacrifier aux dieux.

— Celui qui sacrifiera aux dieux aura pour partage le feu de l’enfer.

— L’édit des saints empereurs ordonne de sacrifier ou de subir les peines promises à ceux qui s’y refusent.

— Mais les édits de mon Dieu veulent que je subisse tous les tourments plutôt que de sacrifier aux idoles.

Mis à la torture, Irénée ne cesse de confesser le nom du Christ. Il est fréquent, en pareil cas, que le prévenu meurt sur le chevalet des souffrances infligées. Le sachant, sa mère, sa femme, ses enfants, en larmes, le conjurent de sacrifier. Irénée rétorque : “Celui qui me reniera à la face des hommes, je le renierai à la face des anges et de mon Père.”

« Je ne sacrifierai pas »

Les sanglots de sa famille n’ébranlent pas sa détermination et Probus, peut-être pas si fier que cela de son idée, met un terme à la séance et renvoie le prisonnier en prison, lui laissant un délai de réflexion. Preuve, d’ailleurs, que le magistrat regrette son procédé, à l’interrogatoire suivant, la famille d’Irénée n’est pas présente. L’interrogatoire reprend : 

— Es-tu marié ? As-tu des enfants ? 

Imperturbable, l’évêque rétorque : — Non, je ne suis pas marié et je n’ai pas d’enfants.

— Mais explique-moi, alors, qui étaient ces gens si affligés de tes malheurs lors de la première audience ?

— Mon Seigneur Jésus-Christ a dit : “Celui qui aime son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères ou ses sœurs plus que moi n’est pas digne de moi.” Aussi, quand je lève les yeux vers le Dieu que j’adore et pense à la félicité promise à ses fidèles, je ne suis plus ni fils, ni époux, ni père.

— Certes, mais il n’empêche que tu l’es et que tout cela doit t’engager à sacrifier. Il n’y a rien d’indigne, ayant fait la preuve de ton grand courage, à te laisser attendrir.

— Non, car les miens ne perdront rien à ma mort et je laisse en héritage à mes enfants le Dieu que j’adore et que je leur ai appris à adorer. Je ne sacrifierai pas. Dès lors, que rien ne t’empêche d’obéir aux ordres impériaux.

— Tu sais que, si tu n’obéis pas, je serai contraint de te condamner.

— Je l’ai déjà dit, condamne-moi. Tu ne saurais me faire plus grand plaisir.

Une peine aggravée

Tel est, dans nombre d’actes des martyrs de l’époque, la conclusion tranquille de ces dialogues entre des magistrats, dépassés par l’attitude des prévenus, et des chrétiens qui ne fléchiront pas. Probus prononce alors une sentence de mort, mais la plus douce de l’arsenal romain : la décapitation par le glaive, preuve de la compassion éprouvée envers ce prévenu déconcertant. Or, cette modération exaspère Irénée, qui proteste haut et fort, fâché d’être privé des tourments espérés : “Après toutes ces menaces, je m’attendais à un supplice extraordinaire. Pourquoi me faites-vous cela ? Pourquoi en user ainsi avec moi ? Tu me prives de l’occasion de prouver au monde que les chrétiens, pleins d’une foi vive, ne craignent pas la mort et la méprisent autant que les tourments qui l’entourent !” Probus, pour ne pas perdre la face, se résout à une aggravation de peine, mais bien modérée, là encore. Irénée sera conduit au pont de Diane qui franchit la rivière locale et décapité, puis son corps sera jeté à l’eau. Ce qui sera fait.

Il existe cependant une autre version de la fin du martyr. Exaspérés par son attitude, les soldats chargés de l’exécution auraient pris sur eux de jeter l’évêque vivant, non dans le cours d’eau, mais dans une fosse d’aisance où il serait mort lentement étouffé et noyé… De telles initiatives se rencontrent parfois de la part de forces de l’ordre bien conscientes que les chrétiens sont définitivement hors-la-loi, et hors les cadres de protection juridique de l’Empire ; par conséquent, tout est permis s’agissant d’eux, même le pire puisque aucune sanction ne sera prise. L’affaire n’a donc rien d’invraisemblable, et seule son « indignité » a sans doute fait privilégier la décapitation dans les martyrologes. Ce qui est certain, en revanche, c’est que saint Irénée de Sirmium est le patron des vidangeurs, honneur qu’il partage avec un autre martyr, Quirinus, mort dans les mêmes conditions. Ce qui est certain, aussi, c’est que, sous la terreur stalinienne, en Europe de l’Est, où Irénée de Sirmium est plus connu que chez nous, des bourreaux, jadis chrétiens connaissant son histoire, s’en sont inspirés et ont infligé à des chrétiens, catholiques, orthodoxes ou protestants, le triste supplice de l’évêque pannonien.

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