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Ce que nous apprend le silence de la Passion

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Dupont & Associés

"La Mise au tombeau", de Jacques de Létin.

Jean-François Thomas, sj - publié le 05/04/22

C’est dans le silence du samedi saint que va éclater la gloire de la Résurrection du Christ. C’est toujours dans le silence, rappelle le père jésuite Jean-François Thomas, que Dieu parle et se fait connaître.

Si le carême est comme une longue et lente ascension vers la Passion du Sauveur, il nous introduit aussi, comme lors d’une expédition vers les sommets, au cœur d’un silence qui s’impose de façon de plus en plus prégnante au fur et à mesure des étapes qui sont franchies. Le Triduum sacré sera le point culminant. Le silence du Vendredi et du Samedi saints s’impose naturellement à qui veut bien l’accueillir et l’entendre. Tel devrait être d’ailleurs notre manière d’être habituelle, mais nous nous laissons tellement perturber par les rumeurs du monde que nous ne laissons guère la place au silence de la contemplation, à la rumination intérieure de la Parole de Dieu. 

Le conseil que donnait Bossuet à des religieuses (Sonus verborum percutit, magister intus est, “Sermon sur la parole de Dieu”, Œuvres oratoires, T. III) est valable pour nous tous :

Pour bien entendre, mes sœurs, quelle doit être votre attention à la divine Parole, il faut s’imprimer bien avant cette vérité chrétienne qu’outre le son qui frappe l’oreille, il y a une voix secrète qui parle intérieurement, et que ce discours spirituel et intérieur c’est la véritable prédication sans laquelle tout ce que disent les hommes ne serait qu’un bruit inutile… C’est ce qui fait dire à saint Augustin : voici, mes frères, un grand secret, sacramentum magnum, le son de la parole frappe les oreilles, le maître est au-dedans ; on parle dans la chaire, la prédication se fait dans le cœur.

Rien de plus vrai au temps de la Passion : les mots que nous écoutons ou que nous lisons doivent résonner dans le silence intérieur, sinon nous demeurons étrangers au mystère et nous entendons sans comprendre un récit qui appartient du coup seulement au passé et risque de nous laisser relativement indifférents. Joseph Rassam précise que le maître intérieur parle toujours dans le silence qui informe et anime la parole. Pour saisir la vérité extérieure, doit se produire un acte intérieur qui n’est pas parole mais silence : “[…] C’est par le silence et dans le silence que se réalise l’accord de la parole et de la vérité. La parole se trouve accordée à la vérité lorsqu’elle répond à cette attente que la vérité suscite dans l’esprit” (Le Silence, comme introduction à la métaphysique). Lorsque le Christ se tient devant Pilate, et durant tout son procès mouvementé et plein de rage, Il est ce silence qui remplace toute parole. Les quelques phrases qu’Il prononcera durant sa Passion, toutes plus lourdes que l’or, ne peuvent être entendues que par celui qui entre d’abord dans ce silence divin.

Un point de convergence

L’homme affamé, toujours en quête du point de rencontre entre l’esprit et la vérité, découvre que le silence, plus que la parole, est le lieu de convergence. Louis Lavelle parlera du silence comme de ce métal en fusion qui jaillit lorsque parole et lumière s’unissent : “Il y a au Paradis une musique silencieuse qui est celle du chœur des anges et dont on peut dire qu’elle confond la louange de Dieu avec sa vision. Ainsi il existe sans doute un point de convergence de la parole et de la lumière où chacune prête à l’autre ce qui lui manque, la parole, l’activité créatrice, et la lumière, la signification éternelle” (La Parole et l’Écriture).

En refusant le silence, l’homme occidental contemporain passe à côté non seulement de tout vrai dialogue possible avec un autre, avec les autres, mais aussi de toute intimité avec Dieu.

Il est possible, probable même, que l’homme occidental contemporain ne soit plus prêt — alors qu’il en est toujours capable — à accepter que le silence soit l’arbitre de sa vie intérieure. En le refusant, il passe à côté non seulement de tout vrai dialogue possible avec un autre, avec les autres, mais aussi de toute intimité avec Dieu. Voilà pourquoi, même catholique, il méprise ou néglige tous les exercices de piété qui font d’abord appel à sa capacité de silence. Le Chemin de croix est une des gemmes pour cet apprentissage de la contemplation active, celle qui, par le silence, incorpore aux souffrances du Christ. Station après station, le fidèle, avec l’aide de tous ses sens, essaie d’être présent à la scène, non point par l’action ou la parole, mais par la méditation silencieuse qui répond au silence du Sauveur emporté dans le chaos, le bruit, l’épouvante, bref tout ce que le monde est capable de produire de pire lorsqu’il ne veut plus accueillir le silence.

Le tiers présent

Si nul homme n’est une île, il n’empêche qu’il est d’abord une solitude que même la présence des autres ne peut combler, puisque chacun est logé à la même enseigne. Le dialogue et la rencontre ne sont rendus possibles que par l’intervention d’un tiers qui se faufile entre les deux êtres : le silence. Cela est particulièrement visible dans les très vieux couples qui n’ont plus rien à se dire et qui, pourtant, sont en communion parfaite car ils ont laissé ce tiers silencieux les unir. Ce qui apparaît comme diminution pour les esprits pressés et agités que nous sommes, est en fait richesse que nous devrions envier et imiter. Notre Seigneur, durant son ministère parmi nous, n’a pas cessé d’enseigner ses Apôtres et ses disciples en ce sens, tout en demeurant bien souvent incompris.

Combien de fois préfère-t-Il se taire ou utiliser peu de mots, là où les puissants et les bavards de ce monde auraient saoulé les foules de paroles creuses et inutiles ! Max Picard souligne combien le silence permet aux êtres de découvrir en eux ce qui leur permet d’échanger et qui ne vient pas d’eux mais d’une source supérieure : “Quand deux hommes s’entretiennent il y a toujours un tiers présent : le silence ; il écoute. […] Les paroles sont prononcées comme à partir du silence, comme à partir de ce tiers ; à celui qui écoute, il est donné plus qu’il n’en peut venir de celui-là même qui parle. Celui qui parle en tiers dans une semblable conversation, c’est donc le silence” (Le Monde du silence).

Des écouteurs greffés sur notre cerveau

Le Christ prêchant a reproché aux cœurs durs et aux hommes aveugles de ne pas comprendre ce qu’Il enseignait, ceci malgré les paraboles : “C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce que voyant, ils ne voient point, et qu’écoutant, ils n’entendent ni ne comprennent” (Mt 13,13). Ceci faisant écho à la parole du Père au peuple choisi et infidèle : “Écoute peuple insensé, qui n’a point de cœur, vous qui ayant des yeux, ne voyez point ; des oreilles, et n’entendez point” (Jr 5, 21). Dans notre expérience ordinaire, n’est-ce pas ce que nous touchons du doigt lorsque nous reprochons à l’autre, souvent à un enfant, de ne pas nous écouter, de rêver tandis que nous parlons ? Celui qui n’est pas capable d’entendre et d’écouter est celui qui, intérieurement, est tout encombré de mots, de bruit, de sons : le silence a été chassé et donc ce qui a pris sa place encombre l’âme et l’étouffe. Nous sommes les parfaits représentants de cette génération constamment branchée sur des flots de paroles et de bruits, des écouteurs greffés sur notre cerveau, incapables de laisser une unique minute de silence balayer les scories déposées par toute cette fureur. Comment, dans ce cas, être sensible au silence dramatique de la Passion… Comment prendre conscience que cette Passion nous renvoie aussi à notre propre mort à venir, moment où, quelles que soient les furies extérieures, nous serons seuls dans le silence de Dieu pour franchir la porte étroite…

Dieu seul apprend le silence

Le silence est le signe de l’harmonie au sein du désordre, extérieur ou/et intérieur. Le héros qui demeure droit et silencieux devant le peloton d’exécution fait à juste titre notre admiration parce qu’il est l’harmonie malgré le fracas des armes et les vociférations des ennemis. À plus forte raison Notre Seigneur, l’Ecce Homo, dont l’impassibilité n’est pas indifférence et mépris vis-à-vis de ses persécuteurs, mais qui, par son silence, maintient dans ce monde de haine, la possibilité de la charité. Le Malin nous fait parler, toujours trop. Dieu seul nous apprend le silence, si étranger à notre nature abîmée par le péché originel. Si Adam et Ève avaient su tenir leur langue, étaient demeurés silencieux face au Serpent rusé et beau parleur, nous n’en serions pas là. Louis Lavelle voit d’ailleurs l’état paradisiaque comme enveloppé de silence : “Qui peut douter qu’au Paradis les esprits jouissent d’eux-mêmes en communiquant avec Dieu et avec les autres esprits dans la ferveur d’un parfait silence” (La Conscience de soi).

Notre bavardage humain sans fin fait écran à l’irruption du divin dans notre vie. Ce n’est pas par hasard si la tradition monastique et ascétique insiste tant sur le silence comme condition d’accès à une connaissance de Dieu plus nourrissante. Notre Seigneur nous redit ce qu’il ordonna à la mer déchaînée : “Silence, calme-toi. Et le vent cessa, et il se fit un grand calme” (Mc 4, 39). Toutes les tempêtes ne sont pas extérieures. Les plus dangereuses sont intérieures. Le silence du Christ en sa Passion peut nous aider à retrouver le calme propre à l’âme en paix.

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Passion du christPrièresilence
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