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Présidentielle : l’éclairage des “principes non-négociables”

Femme glissant son bulletin de vote dans l'urne

© Shutterstock

Charles Vaugirard - publié le 02/04/22

Historien, spécialiste de la pensée politique du bienheureux Frédéric Ozanam, Charles Vaugirard présente les principes moraux "non-négociables" qui constituent les murs porteurs de la société, et qui peuvent éclairer les électeurs dans leur choix politique.

L’élection présidentielle approche et la question du discernement des électeurs revient sur le devant de la scène. L’Église ne donne pas de consignes de votes, mais la doctrine sociale de l’Église donne des points de repère pour conduire sa vie dans la Cité. En premier lieu, elle donne un éclairage sur les fondations du politique dans une démocratie. Pour cela, nous avons deux sources très pertinentes : la Note doctrinale de la congrégation pour la doctrine de la foi du 24 novembre 2002, et l’œuvre du bienheureux Frédéric Ozanam qui participa à la première élection au suffrage universel direct le 23 avril 1848. 

Frédéric Ozanam a livré une réflexion importante pour la vie dans la cité démocratique contemporaine. Saint Jean-Paul II, dans l’homélie de sa béatification en 1997, a qualifié celui-ci de “précurseur de la doctrine sociale de l’Église”. Toute sa pensée politique repose en effet sur l’Évangile et la philosophie catholique. Il a actualisé ce corpus dans le contexte de la société démocratique émergeant au XIXe siècle. Cette pensée est très précieuse car elle délivre une vision chrétienne de la démocratie et décrit ce qui constitue les fondations d’une démocratie dans le sens chrétien du terme. La démocratie chrétienne n’est pas relativiste : selon Frédéric Ozanam, elle repose sur la notion de vérité et de bien commun. Il considère que le véritable souverain est d’abord Dieu, puis qu’il délègue au peuple. “Une autre doctrine [chrétienne]reconnaît la souveraineté du peuple comme la plus imposante manifestation temporelle de la souveraineté de Dieu. Au-dessus des peuples, elle voit une justice éternelle qui les juge. Leurs décrets ne créent donc pas le droit, ils le promulguent ou le transgressent” écrivait-il.

Ainsi, la démocratie n’est pas le pouvoir de décider ce que le peuple veut à la majorité, mais une recherche du bien commun tous ensemble. Le bien préexiste à l’intention du législateur. Par le dialogue, le débat, le peuple recherche ce qui est vrai, bien et beau. Ce principe s’appelle la loi naturelle et se découvre par notre conscience. Ainsi, il existe une vérité qu’il faut chercher. C’est le contraire d’une philosophie relativiste où tout se vaut et tout peut être décidé par un vote à 50% plus un. 

La lutte contre le relativisme a été le grand combat du pape Benoît XVI. En ce sens, il s’inscrivait dans la suite de Frédéric Ozanam qui mettait en garde les futures démocraties sur le danger relativiste, et prônait une démocratie chrétienne reposant sur la loi naturelle. “Si les chrétiens sont tenus “de reconnaître la légitime multiplicité et diversité des options temporelles”, ils sont également appelés à s’opposer à une conception du pluralisme marquée par le relativisme moral, qui est nuisible pour la vie démocratique elle-même, celle-ci ayant besoin de fondements vrais et solides, c’est-à-dire de principes éthiques qui, en raison de leur nature et de leur rôle de fondement de la vie sociale, ne sont pas “négociables”” disait le cardinal Ratzinger en 2002. On y retrouve donc la thèse d’Ozanam soutenant que le relativisme n’est pas un fondement de la démocratie mais au contraire une menace pour celle-ci. 

Des points de repère concrets

Dans la note de 2002, le cardinal délivre des points de repère concrets, des indicateurs du bien commun. Il a dressé une liste de principes dits “non-négociables” car ils sont des fondements d’une société humaine. Cette liste n’est pas exhaustive et se base à la fois sur des grands principes permanents mais aussi sur le contexte actuel. Voici la liste de ses principes : 

« Face à ces exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer, les chrétiens doivent en effet savoir qu’est en jeu l’essence de l’ordre moral, qui concerne le bien intégral de la personne. Tel est le cas des lois civiles en matière d’avortement et d’euthanasie (à ne pas confondre avec le renoncement à l’acharnement thérapeutique qui, même du point de vue moral, est légitime), qui doivent protéger le droit primordial à la vie, depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle. De la même manière, il faut rappeler le devoir de respecter et de protéger les droits de l’embryon humain. De même, il faut préserver la protection et la promotion de la famille, fondée sur le mariage monogame entre personnes de sexe différent, et protégée dans son unité et sa stabilité, face aux lois modernes sur le divorce : aucune autre forme de vie commune ne peut en aucune manière lui être juridiquement assimilable, ni ne peut recevoir, en tant que telle, une reconnaissance légale. De même, la garantie de liberté d’éducation des enfants est un droit inaliénable des parents, reconnu entre autres par les déclarations internationales des droits humains. Dans cette même ligne, il faut penser à la protection sociale des mineurs et à la libération des victimes des formes modernes d’esclavage (que l’on pense par exemple à la drogue et à l’exploitation de la prostitution). On ne peut exclure de cette liste le droit à la liberté religieuse et le développement dans le sens d’une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, du principe de solidarité humaine et de la subsidiarité, qui veut que “les droits de toutes les personnes, de toutes les familles et de tous les groupes, et que l’exercice de ces droits, soient reconnus”. Enfin, comment ne pas voir dans ces exemples le grand thème de la paix. Une vision irénique et idéologique tend parfois à donner un sens profane à la valeur de la paix, tandis que, dans d’autres cas, on se limite à un jugement éthique sommaire, oubliant la complexité des raisons en question. La paix est toujours “œuvre de la justice et effet de la charité ; elle exige le refus radical et absolu de la violence et du terrorisme, et elle requiert un engagement constant et vigilant de la part de ceux qui ont une responsabilité politique » (Note doctrinale, n. 4).

Des principes indissociables

Nous pouvons donc extraire de ce texte dix principes non-négociables : 1- le droit à la vie de la conception à la mort naturelle, 2- la protection de la famille (avec mariage monogame, hétérosexuel et stable), 3- la liberté d’éducation des enfants, 4- la protection des mineurs, 5- la liberté religieuse, 6- L’économie est au service de l’homme et du bien commun, 7- la justice sociale, 8- le principe de solidarité, 9- le principe de subsidiarité, 10- la paix. Dix principes qui sont des points de repères et qui ne sont pas exhaustifs. Ainsi, nous pouvons ajouter l’écologie, que Joseph Ratzinger évoque à travers l’environnement comme une réalité du bien commun, et qui a depuis fait l’objet de l’encyclique Laudato si

Depuis quelques années, une fake news a circulé, présentant les “points non négociables” au nombre de trois. Les trois premiers principes de la “liste Ratzinger”, la protection de la vie, la famille et la liberté parentale d’éducation, seraient les seuls points non négociables de la doctrine sociale de l’Église. Il s’agit d’une mauvaise interprétation car il y en a dix, non exhaustifs, et le cardinal rappelait dans cette même note qu’il ne fallait ne pas isoler un point de doctrine au détriment des autres (n. 4, 3). On peut comprendre la fake news dans le sens où ces trois points sont très importants et qu’il est difficile d’avoir autant de points de repères. Cette « infox » était liée au fait que ces points étaient présentés comme des repères pour le vote. Or la Note doctrinale de 2002 concerne l’engagement des chrétiens dans la cité démocratique, pas seulement le vote. 

Les murs porteurs de la société

Alors comment lire ce texte ? D’abord en regardant son esprit : il dessine les murs porteurs d’une société. La protection de la vie humaine (points 1 et 10), la famille comme cellule de base de la société (points 2, 3 et 9), la liberté tant des personnes que des groupes de personnes (points 3, 5, 6 et 9), le service et la protection de l’homme, en particulier du plus faible (points 1, 4, 6, 7, 8 et 10). Nous pourrions presque retrouver ici le triptyque « Liberté, égalité, fraternité » que Frédéric Ozanam décrivait comme l’avènement temporel de l’Évangile. La liberté tempérée par l’égalité et avec la fraternité qui engage ces personnes libres et égales dans une relation de service réciproque et d’amitié. Ce sont ces murs porteurs que la pensée catholique en démocratie, d’Ozanam à Ratzinger, voit comme liés à la loi naturelle. Nous ne pouvons en aucun cas abattre le moindre de ces murs au risque de voir la société s’écrouler, cela ne peut faire l’objet d’aucune négociation. Bien au contraire, les chrétiens doivent se battre pour qu’ils tiennent. 

Évidemment, il n’est pas aisé de choisir un candidat en tenant compte de ces critères. Aucun des aspirants à l’Élysée ne les respecte tous parfaitement. Les chrétiens sont appelés à voter en conscience, en tenant compte de ces points de repères et de l’imperfection des candidats. La politique est l’art du meilleur possible, il faut tenir compte du réel. Il faut aussi rappeler que l’élection présidentielle n’est pas la seule élection : un mois après se tiennent les élections législatives. La proximité géographique des députés permet un contact direct avec les candidats et il ne faut pas hésiter à leur faire des propositions allant dans le sens des principes de la doctrine sociale de l’Église. Plus que le simple fait de voter, les chrétiens sont aussi appelés à s’engager pour la cité : aussi bien les textes d’Ozanam que la Note du cardinal Ratzinger sont destinés à éclairer les chrétiens dans leurs engagements politiques. Et ces élections législatives auxquelles on pense moins peuvent être l’occasion pour les chrétiens d’agir pour le bien commun.

Tags:
ÉlectionsFrédéric OzanamPolitique
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