Traditionnellement, l’Église se méfie un peu des trop vieux, trop grands, trop beaux arbres. Elle se souvient qu’autrefois, surtout dans les régions de culture celtique, dépourvues de temples, les cultes païens se sont déroulés à leur pied et sous leur feuillage. En dépit des apparences, la coutume a longtemps perduré. Expéditif, saint Martin, lancé dans sa grande campagne d’évangélisation des Gaules, les faisait purement et simplement abattre, quitte à encourir la fureur des populations locales attachées à leurs chênes, hêtres ou frênes sacrés.
Suivant les conseils de saint Grégoire le Grand, recommandant de christianiser plutôt que de détruire, le catholicisme, dans la mesure du possible, a ensuite préféré user de méthodes plus douces et remplacer les survivances des cultes païens par celui de la Vierge et des saints. Cela explique les innombrables sanctuaires campagnards dont le nom renvoie au monde végétal. Cela ne doit pas déplaire à Notre Dame puisque, à Scey dans le Doubs, Elle est apparue, en 1803, dans un chêne où sa statue était autrefois vénérée, comme, en 1917 à Fatima, elle est venue se poser sur un chêne vert de la Cova de Iria. Faut-il supposer que, même dans une région aussi profondément catholique que les Mauges, cette partie de l’Anjou au cœur de la Vendée militaire dont la résistance armée à la déchristianisation révolutionnaire, et le martyre sous les sabres des colonnes infernales, sont restés légendaires, de vieux usages venus de la nuit des temps existaient encore au mitan du XIXe siècle ?
Un arbre remarquable et un autel de granit
Pas fatalement, et l’initiative du père Louis Lamoureux, en 1856, peut relever d’une pieuse fantaisie personnelle. De passage au village de Villedieu-la-Blouère, aujourd’hui sur la commune de Beaupréau, peut-être dans le cadre d’une de ces missions alors très à la mode, destinées à ramener au cours d’un véritable marathon de cérémonies, confessions, messes et communions, les populations à une meilleure pratique religieuse, ce jésuite s’avise de l’existence dans le bourg d’un arbre « remarquable » et c’est le moins que l’on puisse dire. Ce chêne est alors âgé, disent les spécialistes, d’au moins mille cinq cents ans, voire davantage et, quoiqu’une fissure si énorme que quarante-cinq adultes peuvent s’y tenir debout, fende en deux son tronc, l’arbre se porte bien, se couvrant chaque printemps de feuillage et chaque automne de glands.
Le père Lamoureux connaît-il le chêne d’Allouville, en Normandie, cet arbre vénérable qui abrite pas moins de deux chapelles, l’une au niveau du sol, l’autre dans les branchages ? C’est assez probable puisque l’idée lui vient d’installer pareillement un sanctuaire dans le chêne angevin, mais, si celui de Normandie honore Marie, celui de Villedieu honorera son très chaste époux. Encore une fois, se manifeste la dévotion des jésuites envers saint Joseph. À défaut des autorités civiles, il faut en référer au curé du lieu. Ce bon abbé Louis Peltier ne voit aucune objection à voir transformer le chêne en chapelle et, le 24 août 1856, un autel de granit est installé à l’intérieur du tronc, surmonté d’une statue de Joseph.
En pleine nuit, les cierges mettent le feu au chêne ; l’incendie est éteint de justesse, l’arbre sauvé.
Quelques jours suffisent pour attirer des pèlerins de tous les environs ; la réputation de piété des Mauges n’est pas usurpée. Les bonnes gens ne se contentent pas de venir prier, il leur faut aussi, sinon les dévotions ne seraient pas complètes, allumer un cierge devant la statue, et c’est la catastrophe ! En pleine nuit, les cierges mettent le feu au chêne ; l’incendie est éteint de justesse, l’arbre sauvé. Bientôt, pourtant, un nouveau péril le menace : les dévots, désireux d’emporter un souvenir de leur pèlerinage, prennent l’habitude d’arracher des morceaux d’écorce, de sorte que le tronc pelé et dénudé est exposé aux maladies et aux champignons. Le chêne millénaire va-t-il périr stupidement ?
Le plus vieux de France
L’évêque d’Angers, Mgr Angebault, désolé à la perspective d’une telle issue, intervient en 1866 et, sous prétexte d’agrandir considérablement la chapelle, fait protéger l’arbre. Peu à peu, une vraie chapelle apparaît qui prend son aspect définitif en 1899. La statue de saint Joseph qui s’y trouve reçoit les honneurs du couronnement en 1906.
En 1956, le centenaire du pèlerinage draine encore des foules considérables. Bien que, au fil des ans, cette ferveur ait un peu baissé, Saint-Joseph du Chêne demeure, en Anjou, un sanctuaire aimé et visité. Beaucoup, venus par curiosité admirer l’arbre gigantesque et toujours vert, certainement le plus vieux de France, et peut-être d’Europe, ne repartent pas sans avoir salué son hôte.