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Dans la tête de Kirill, le Patriarche de Moscou

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Ramil Sitdikov / Sputnik / Sputnik via AFP

Kirill, le Patriarche de Moscou.

Sylvain Dorient - publié le 10/03/22

Le patriarche Kirill de Moscou, Primat de l’Église orthodoxe russe, fait des déclarations stupéfiantes concernant la guerre en Ukraine. Sans prétendre sonder les cœurs et les reins, comment comprendre ce qui le pousse à tenir des propos si radicaux ? Décryptage.

« Ce qui se passe aujourd’hui… ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. » Dimanche 6 mars, le Patriarche Kirill de Moscou délivrait un sermon dans lequel il décrivait un Occident en décrépitude morale, qui a abandonné ses racines chrétiennes et contre lequel la Russie mène une guerre existentielle. Selon ce prisme, la guerre menée en Ukraine est une action défensive pour protéger la Russie du déferlement atlantiste. 

L’ensemble du sermon du patriarche Cyrille est visible ici. Le Patriarche y déploie une cosmologie qui effraie par sa radicalité. Elle s’accorderait avec les thèses d’un Alexandre Douguine, l’écrivain russe qui voit dans la Russie le bastion de la civilisation continentale. En opposition à ce bloc, orthodoxe et musulman, l’Occident, là où le soleil se couche, représente le déclin.

Pourtant, le Patriarche Kirill de Moscou ne rencontrait-il pas le pape François le 12 février 2016 ? Il s’agissait d’un rendez-vous historique, placé sous le signe de la concorde et de la bonne volonté réciproque, une première depuis le Grand Schisme de 1054 ! Auparavant, le 16 août 2012, l’homme avait entamé une visite historique de trois jours en Pologne et signé avec l’épiscopat catholique polonais un appel à la réconciliation. Et encore avant, en 1984, il s’était courageusement opposé à l’intervention soviétique en Afghanistan.

Un ensemble de positions qui ne collent pas avec la posture contemporaine du même homme qui divise le monde en deux, entre le bastion de la chrétienté et l’Empire du mal. Pourtant, avant même la crise de 2022, le Patriarche de Moscou affirmait que l’Ukraine était une partie de la Russie et s’est fermement opposé à l’autocéphalie du Patriarcat de Kiev. À l’image d’un Vladimir Poutine qui lors de sa première élection comme président du gouvernement en 1999, apparaissait comme un modéré, Cyrille semble avoir abandonné progressivement toute bonne volonté à l’égard de l’Occident. 

La Marque de la Bête

Dans la suite de son sermon, il donne un indice qui permet de distinguer les pays frappés du sceau de l’infamie, qui ont cédé aux sirènes du mondialisme occidental corrompu :

« Il existe aujourd’hui un tel test pour la loyauté de ce gouvernement, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », le monde de la consommation excessive, le monde de la « liberté » visible. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrible – c’est un défilé gay. Les demandes faites à beaucoup pour organiser une parade gay sont un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des gens ou des pays rejettent ces demandes, alors ils n’entrent pas dans ce monde, ils lui deviennent étrangers. »

Extérieurement, on peut s’interroger sur la raison pour laquelle le Patriarche évoque la Gay pride qui n’a pas de rapport évident avec le conflit ukrainien. Certains esprits critiques pourraient y voir seulement une facilité. Connaissant le conservatisme de son auditoire, il s’assurerait à peu de frais l’adhésion en dénonçant une pratique honnie. Mais il est plus probable que le Patriarche soit sincèrement choqué par ces manifestations. Il s’en explique par la suite : « Le Seigneur, condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais pas au fait qu’à travers une personne pécheresse et son comportement, le péché devient une norme de vie, une variation du comportement humain – respecté et permis. »

Et ce sermon, malgré ses accents apocalyptiques, mérite que l’on s’y attarde, car il résonne avec un une vision du monde largement partagé dans son pays. Le sermon d’un Cyrille, les actions d’un Poutine, reflètent assez largement la volonté d’un peuple russe qui a le sentiment de vivre en État de siège. Selon Statista, portail en ligne de statistique allemand, 70% des Russes approuvaient les actions de Vladimir Poutine en février 2022 ; c’est-à-dire juste avant l’invasion de l’Ukraine. 

La catastrophe des années 1990

Les Russes ont largement le sentiment d’avoir été dupés par les Occidentaux après la chute de l’URSS en 1991. Aux yeux de beaucoup d’entre eux, la décennie qui a suivi représente la plus grande catastrophe de l’Histoire. Avec l’ère Eltsine, le pays a été en proie au libéralisme sauvage, mis sous la coupe de truands, anéanti sur le plan international. Le peuple russe a le dos large, il a supporté une succession de crises, de dictatures et de terreurs inouïes durant le XXe siècle, en revanche il ne peut pas supporter que son pays soit humilié. 

Il n’est donc pas faux de qualifier l’actuel nationalisme russe de « revanchard », mais ce sentiment dangereux ne sort pas du néant. Les États-Unis comme l’Europe donnent des gages aux théoriciens de l’affrontement des civilisations. Pour reprendre l’exemple de l’Otan, l’adhésion à cette organisation relève de la souveraineté des États qui la demande, et il est normal qu’elle soit proposée, acceptée, par des pays de l’ancien Pacte de Varsovie. Mais comment ne pas comprendre que cette organisation, qui fut à l’origine pensée pour faire barrage à l’URSS, soit perçue comme hostile par l’actuelle Russie ? De la même façon, l’attitude européenne qui s’aligne systématiquement sur les positions américaines encourage les Russes à envisager l’Occident comme un bloc homogènement hostile. 

Le syndrome de la forteresse assiégée

En fin de compte, l’aspect le plus effrayant du sermon de Cyrille de Moscou est peut-être l’auditoire auquel il le destine : il ne s’adresse qu’aux chrétiens orthodoxes russes. Comme si les autres ne pouvaient plus être raisonnés, comme si la force était devenue le seul recours possible contre eux. 

Ce biais peut être compris dans un pays qui vit le syndrome de la forteresse assiégée, persuadé qu’il est menacé dans son existence. Ceux d’entre nous qui ne participent pas à ce conflit n’ont pas de telles excuses. Sans chercher à justifier qui que ce soit, ne peut-on pas essayer de comprendre le point de vue de nos frères russes orthodoxes ? Ne serait-ce pas la meilleure façon d’identifier l’authentique adversaire, celui qui veut à toute force, diviser l’humanité ? Depuis la relative sécurité de nos pays Occidentaux ne pourrait-on pas, à tout le moins, éviter de jeter de l’huile sur le feu qui brûle en Ukraine ?

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OrthodoxesPatriarche KirillRussie
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