Jeudi matin, trois postulants à l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour et Marine Le Pen, qui, à eux trois, représentent presque la moitié des intentions de vote, n'étaient pas assurés de recueillir les 500 signatures d’élus nécessaire à leur candidature. Si Jean-Luc Mélenchon a finalement franchi le seuil fatidique, il en manque encore moins d’une centaine pour Marine Le Pen et Éric Zemmour.
Cette affaire fait, à juste titre, beaucoup de bruit. Certains parlent de déni de démocratie, comme le président du Sénat, et d’autres, comme le juriste Frédéric Rouvillois, de risque de « séisme ». Et comme toujours en ce genre de cas, chacun y va de son projet de réforme. Un sujet lourd, qui demanderait à être traité à froid, est donc condamné par imprévoyance à être débattu dans l’urgence et sous la pression des évènements : cela aussi est inquiétant. On ne fait rien de bon sous la pression des circonstances. Qu’en est-il au fond ?
Recenser des candidats représentatifs
À l’origine, en 1958, la « présentation des candidats » à l’élection présidentielle (appelée couramment « parrainage » ou « signatures ») consistait à imposer que 50 élus au moins, figurant dans le collège électoral des grands électeurs du président de la République (qui à cette époque n’était pas élu au suffrage universel direct mais par un collège formé des parlementaires, des maires et d’autres élus locaux), annoncent au Conseil constitutionnel leur intention de « présenter » un candidat. Cette procédure était dictée par le bon sens : il s’agissait de recenser des candidats représentatifs. Quand le Président a été élu au suffrage universel, après la réforme de 1962, le système de parrainage a été maintenu, et le nombre de parrains porte à 100. Le but restait le même.
Mais l’expérience a montré que les candidats à la présidence de la République devenaient au fil du temps de plus en plus nombreux : 6 en 1965, 7 en 1969, 12 en 1974. Des candidats marginaux ou fantaisistes, comme Marcel Barbu qui se livra à des pitreries à la télévision, apparaissaient. En 1976, le nombre de signatures nécessaire est donc porté à 500, dans le but avoué de réduire l’inflation des candidats. C’est ainsi qu’en 1981, par exemple, Jean-Marie Le Pen n’obtient pas ses 500 signatures et doit renoncer à se présenter. On parle alors, déjà, de procédure antidémocratique. Michel Jobert, Roger Garaudy, Charles Pasqua, et d'autres, ont dû renoncer à se présenter faute d'un nombre suffisant de parrainages. L’humoriste Coluche, crédité de 16% d’intentions de vote en 1981, décide de renoncer avant d’avoir obtenu ses 500 signatures.
Le système a changé de nature
En 2016 enfin, une loi organique rend obligatoire la publication de l’identité des élus qui ont présenté un candidat. Cette fois, le système a changé de nature. La pression est devenue forte sur les maires notamment, qui ne sont jamais pressés de se fâcher avec leurs électeurs et aspirent volontiers, au moment des enjeux nationaux, à la prudence. Et c’est ainsi qu’en 2022 la question des parrainages est une nouvelle fois posée, et encore une fois présentée comme une procédure anti-démocratique.
Rendre le parrainage obligatoire ou aléatoire comme certains le réclament est une idée absurde : s’il existe un droit de parrainage pour les maires, c’est précisément afin de leur permettre de le refuser à un candidat qu’ils ne souhaitent pas voir concourir.
Que faire ? D’abord rappeler que le système de parrainage a été mis en place dans le but précisément d’éviter l’inflation des candidatures à la présidence de la République. Rendre le parrainage obligatoire ou aléatoire comme certains le réclament est une idée absurde : s’il existe un droit de parrainage pour les maires, c’est précisément afin de leur permettre de le refuser à un candidat qu’ils ne souhaitent pas voir concourir. Avoir le droit de parrainer, c'est avoir le droit de refuser de parrainer. Expliquer comme le fait le président de l’Association des maires de France que « parrainer n’est pas soutenir » est un argument assez peu opérant parce que très subtil. Un maire, surtout dans une petite commune, devra toujours se justifier de son parrainage auprès de ses électeurs.
Le parrainage citoyen
On ne peut pas non plus supprimer complètement les parrainages, sauf à voir défiler à la télévision 20, 30 ou 100 candidats. Ce serait pour le coup une vraie crise de la démocratie. Il reste à trouver un autre système : le parrainage citoyen, sur le mode autrichien, serait un exemple. Ce ne sont plus des élus, mais des électeurs qui présentent le candidat. Il nous reste à espérer que, passée l’élection, le sujet ne soit pas perdu de vue.