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Japon, 1597, une moisson sanglante au “florissant jardin de Dieu en Asie”

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Behrouz MEHRI / AFP

Dans le musée des vingt-six martyrs du Japon, à Nagasaki.

Anne Bernet - publié le 21/02/22

Il y a 425 ans, mourraient les premiers martyrs du Japon, dont des enfants qui subiront le supplice de la croix. Dans leur sang naîtra l’Église nippone qui survivra sans prêtres durant deux siècles et demi.

Après le passage de tant de pays et de provinces à la Réforme, l’Église en Europe est affaiblie. Comme s’il était nécessaire de compenser les pertes éprouvées par Rome, les missionnaires, au mitan du XVIe siècle, s’ingénient à gagner au catholicisme un maximum d’âmes dans des régions lointaines qui, jamais, n’ont entendu parler du Christ. L’immense chantier américain s’ouvre sous la protection de l’Espagne puis de la France, mais c’est l’Asie surtout qui attire les évangélisateurs. La Tradition, et il semble qu’elle dit vrai, affirme que l’apôtre Thomas, après l’Inde, a poursuivi sa route jusqu’en Chine et jeté les bases de plusieurs chrétientés, œuvre continuée cinq cents ans plus tard par des chrétiens de Perse fuyant la persécution. Que peut-il rester de ces églises lointaines coupées de la catholicité ? C’est l’une des questions auxquelles les missionnaires en partance pour l’Extrême Orient aimeraient répondre…

Le mystérieux Japon

Il est, en tout cas, une destination où l’on est sûr qu’aucun chrétien n’a jamais posé le pied : le mystérieux et très fermé archipel nippon. François-Xavier y débarque en 1549. Après quelques mécomptes dus à la jalousie du clergé bouddhiste, Il parvient à s’imposer grâce au statut diplomatique que lui a conféré le roi de Portugal. Si les résultats ne sont pas aussi spectaculaires qu’en d’autres endroits, où le saint s’est littéralement fatigué le bras à force de baptiser les foules, ils restent d’autant plus honorables que les Japonais ne sont pas gens à s’engager à la légère et savent se montrer fidèles, quoiqu’il en coûte, à leurs choix. Environ 500 personnes réclament le baptême dont un poète chanteur très célèbre qui sera le premier jésuite asiatique. Sa conversion en attire d’autres mais, en 1551, François-Xavier, qu’Ignace de Loyola vient de nommer Provincial des Indes orientales, doit retourner à Goa. Il ne reviendra jamais et mourra, le 3 décembre 1552 au large de la côte chinoise, en vue de cet Empire du Milieu qu’il espérait tant conquérir au Christ. “Je prie Dieu de me faire la grâce d’ouvrir la route pour d’autres, même si je ne puis aboutir à rien par moi-même”, murmure-t-il en son agonie.

Sa mort pourrait sonner le glas des fondations japonaises mais elles sont exemplairement solides. Quinze ans après, la catholicité japonaise compte 150.000 fidèles, particulièrement nombreux dans les districts d’Omura, Sakai et Nagasaki. En 1579, ils sont 200.000 et près de 300 lieux de culte ont été bâtis. À Rome, les papes parlent de l’Empire du Soleil levant comme du « florissant jardin de Dieu » asiatique. En 1592, le premier évêché est fondé à Fudai. Les catholiques sont un demi-million. Tous les espoirs semblent permis. Hélas, en très peu de temps, tout va très mal tourner… 

La pierre d’achoppement du mariage

Si l’anarchie qui désole un Japon éclaté en dizaines de principautés a favorisé l’expansion catholique, la reprise en main du pays par un homme fort, Hideyshi, change la donne. Lorsqu’il s’est emparé du pouvoir, en 1582, il n’était pas hostile au christianisme, mais, comme à d’autres Asiatiques, la monogamie chrétienne lui semble intenable, moins par goût de la débauche que par impossibilité de renoncer aux alliances claniques et diplomatiques indispensables que concrétisent de nombreuses épouses et concubines, gages du soutien de leurs familles… Il serait politiquement dangereux, car l’acte passerait pour une déclaration de guerre, de renvoyer ces femmes ; d’ailleurs, Hideyshi n’a aucune envie de se séparer d’elles. C’est sur cette question que sa conversion a achoppé. Et l’affaire prend mauvaise tournure lorsque le nouveau maître du Japon se heurte au refus de deux grandes familles converties de lui accorder l’une de leurs filles en concubinage. Dès lors, le catholicisme devient une religion à abattre.

Jusque-là, le Japon a été chasse gardée des jésuites, désormais familiers du pays et de ses mœurs, avec lesquelles ils savent assez bien composer ; on le leur reprochera, telle une trahison du message évangélique. Et puis, en Europe, d’autres ordres religieux s’irritent de ce monopole qui les prive de la gloire d’une mission prometteuse. Des cordeliers espagnols obtiennent, avec l’appui de leur roi, le droit de se rendre au Japon. Arrogants, maladroits, à chaque difficulté, ils ne savent opposer qu’un argument, le pire : “Le roi d’Espagne viendra vous conquérir comme il a conquis l’Amérique ; nous autres missionnaires sont là pour lui préparer la voie.”

Tous les missionnaires arrêtés

Un tel langage irrite fortement le pouvoir nippon et l’incite à se débarrasser d’une catholicité aux allures de cinquième colonne… Pour ne rien arranger, afin de protéger les intérêts commerciaux qu’ils imaginent dans l’affaire, les rois d’Espagne, patrons des missions, s’opposent à toute ordination de prêtres japonais, afin de réserver la direction de ces églises à des missionnaires espagnols supposés acquis aux intérêts de la couronne… Cela signifie qu’en cas d’expulsion du clergé européen, les catholiques japonais se retrouveraient abandonnés à eux-mêmes et privés des sacrements, ce qui équivaudrait presque à coup sûr à les voir disparaître. Or, en cette année 1596, ces difficultés deviennent inévitables. 

Excédé, Hideyshi donne ordre d’arrêter tous les missionnaires présents au Japon mais, preuve qu’il établit encore une différence entre jésuites et cordeliers, seuls ces derniers sont arrêtés. Ils sont six fils de saint François incarcérés dans les geôles japonaises : le père Pedro Batista, supérieur ; le père Martin de l’Ascension, 30 ans, parlant assez bien le japonais pour prêcher avec succès ; le père Francisco Blanco ; le frère Felipe de Las Casas, longtemps déshonneur de sa riche famille, débauché, défroqué après une première et éphémère conversion, puis revenu au couvent, âgé de 23 ans et dernier arrivé au Japon ; les frères lais Gonzalès Garcia et Francisco de San Miguel. Pour faire bonne mesure, dix-sept laïcs japonais, qui vivent à la Mission, ou la fréquentent assidûment, sont arrêtés avec eux : Michel Cozaki et son fils aîné, Thomas, 14 ans ; Côme Tachegia ; Jean Kimoia ; Paul Ibarki et son frère, Léon Carasumo, interprète des missionnaires, comme Thomas Dauki et Paul Suzuki ; deux médecins, Joachim Saccakibara et François de Meako. D’autres, de plus humble condition, n’ont laissé qu’un prénom, Ventura et Gabriel, Mathias, qui n’était pas l’homonyme recherché par les autorités mais qui se livre spontanément, déclarant : “Je ne suis pas celui que vous voulez mais moi aussi, je suis chrétien et ami des pères.” 

« Dieu me donnera le courage »

À cette liste s’ajoutent, outre le jeune Thomas Cozaki, un autre enfant de chœur, Antoine, 13 ans, et Louis, 11 ans, qui revendiquent, avec une hardiesse d’adultes, la gloire d’un martyre que tous voudraient leur épargner. Deux autres catholiques, Pierre Sukégiro et François Fahelenté, sont arrêtés quelques jours plus tard, coupables d’avoir secouru les prisonniers ; ce sont « les saints surajoutés ». Dans la foulée, contrairement aux ordres de la capitale, le préfet de Meako décide l’arrestation des jésuites de sa ville. Ils sont trois, et Japonais : Paul Miki, membre de la haute noblesse, Jean de Goto, 19 ans, et Jacques Kisai, catéchiste qui, à 64 ans, fait figure de grand vieillard.

L’on tente en vain de convaincre les enfants d’abjurer ; les parents d’Antoine, quoique chrétiens, ne peuvent supporter les tortures infligées à leur enfant et le supplient d’abjurer, car il n’a pas l’âge d’endurer de telles souffrances et pourra toujours confesser le Christ quand il sera adulte

Le 2 janvier 1597, selon la coutume, les prisonniers, exhibés à travers la ville sur des chars, en signe d’infamie réservé aux plus grands criminels, ont le bout de l’oreille coupé. L’on tente en vain de convaincre les enfants d’abjurer ; les parents d’Antoine, quoique chrétiens, ne peuvent supporter les tortures infligées à leur enfant et le supplient d’abjurer, car il n’a pas l’âge d’endurer de telles souffrances et pourra toujours confesser le Christ quand il sera adulte ; le petit garçon les regarde et dit d’un ton de reproche : “Cessez vos conseils et n’exposez pas notre sainte foi aux moqueries des païens ! Dieu me donnera le courage nécessaire pour soutenir cette lutte !” Rien ne le fera faiblir. La foule, émue aux larmes, entoure les martyrs ; des gens hurlent qu’ils sont chrétiens et veulent mourir avec les autres.

Le supplice de la croix

Ordre est donné de transférer les prisonniers vers Nagasaki, voyage interminable en ce glacial hiver japonais par des routes enneigées. Il faut un mois aux confesseurs pour arriver à destination et, en chemin, ils opèrent tant de conversion que les bonzes se plaignent de la publicité faite à la religion interdite. Enfin, le 4 février 1597, ils arrivent à destination. Là, deux jésuites espagnols encore sur place parviennent à les approcher et à les confesser, puis promettent de leur apporter le viatique le lendemain. En fait, ils ne pourront tenir cette promesse tant les autorités sont pressées de se débarrasser des chrétiens.

Puisque les chrétiens vénèrent un Dieu crucifié, ils périront, eux aussi, sur la croix. Il ne s’agit pas, toutefois, de l’atroce et interminable supplice que les Romains avaient emprunté aux Perses, mais d’une adaptation locale, nettement plus expéditive : les condamnés sont ligotés sur la croix, la nuque prise dans un collier de fer, puis l’instrument de torture est planté en terre et, aussitôt, les bourreaux les transpercent de plusieurs coups de lance. Ces différences ne changent rien à la puissance symbolique de cette mort et, pour ces chrétiens fervents, avoir été jugés dignes de périr sur la croix est un honneur qu’ils n’abdiqueraient à aucun prix. Aux officiels qui, saisis de pitié, essaient de le convaincre d’abjurer, le petit Antoine répond, dédaigneux : “La mort ne me fait pas peur ; je méprise vos promesses et cette vie. La croix sur laquelle vous m’attacherez est ce que je désire plus que tout par amour pour Jésus qui a voulu mourir sur elle afin de nous sauver.” Louis, le benjamin, répond aux juges qui l’implorent de se sauver en abandonnant la foi interdite : “Ce n’est pas à moi de me faire païen mais bien plutôt à vous de vous faire chrétien car il n’existe pas d’autre moyen de se sauver !” et, en arrivant sur la colline, au-dessus de Nagasaki, qui deviendra le Mont des Martyrs, l’enfant demande laquelle des croix est la sienne et, quand on la lui désigne, il court vers elle et l’embrasse avant de s’y étendre spontanément.

Éclaboussés par le sang du martyr

Un à un, les martyrs sont ligotés sur les croix qui se dressent sur la colline. Antoine, rayonnant de joie, se tourne vers le père Pedro Batista, crucifié près de lui, et demande qu’il entonne le psaume, Laudate, pueri, Dominum ! — Enfants, louez le Seigneur — mais le cordelier est en extase, inconscient de ce qui l’entoure, et même de la présence de l’enfant ; alors, Antoine entonne seul le chant, d’une voix qui ne tremble pas et qui émeut tant les bourreaux qu’ils attendront le Gloria Patri pour lui porter le coup mortel. Les derniers mots du père Miki, qui prêche le Christ jusqu’à son dernier souffle, sont pour pardonner à ceux qui le tuent et implorer pour eux les grâces de conversion.

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Au pied de la croix du père Jean de Goto se tiennent ses parents, mais, si ceux du petit Antoine, le cœur brisé, ont conjuré leur enfant de se sauver, ceux du jeune jésuite tiennent un tout autre langage : “Mon fils, soyez ferme jusqu’au bout et supportez la mort avec joie car vous la subissez pour la cause de notre sainte foi. Soyez assuré que votre mère et moi sommes prêts à en faire autant.” C’est éclaboussés par le sang du martyr qu’ils se retireront, certains qu’il n’a pas failli et ne les a pas déshonorés. Selon l’usage, les cadavres resteront attachés sur les croix, mais ils attireront tant de monde, et opéreront tant de conversions que le gouverneur sera obligé de les faire retirer. Ainsi débute le long calvaire de l’Église nippone. Il durera plus de deux siècles et demi. Jamais plus l’on ne qualifiera le Japon de “florissant jardin de Dieu en Asie” mais, fortifiées par le sang des martyrs, quelques chrétientés survivront jusqu’au retour des missionnaires, avec pour seuls réconfort le baptême et le rosaire. Les premiers prêtres qui rencontreront ces survivants en croiront à peine leurs yeux.

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