L’épidémie de coronavirus — c’est son mérite caché — invite depuis deux ans chaque homme à s’interroger sur le sens de sa vie. En nous rappelant que nous sommes mortels, elle nous conduit à regarder ce qui compte vraiment pour nous : le virus qui passe nous force à tourner nos regards vers ce qui ne passe pas. La patrie, par exemple. Et l’amour. Et la transmission. Et la fierté de nos anciens. Et c’est pourquoi la Covid est en train d’enfanter silencieusement, un peu partout dans le monde, des hommes réfléchis et des peuples soucieux, qui sont aussi des nations d’écorchés vifs. Ainsi en France.
Une gaffe monumentale
Cette réalité rampante, le président Macron l’a ignorée. Il a inauguré la présidence française de l’Union européenne par une gaffe littéralement monumentale. L’objet de la gaffe, c’est notre Arc de triomphe précisément, transformé en porte bannière exclusif du drapeau européen. Symbole de la France victorieuse transcendant les régimes, la puissante silhouette de pierre voulue par Napoléon et achevé par Louis-Philippe ne gardera décidément pas un bon souvenir du quinquennat Macron : vandalisée par les gilets jaunes, rhabillée par Christo, la voilà devenue prétexte à polémique. C’est beaucoup pour un seul monument, en moins de cinq ans.
Non que la bannière européenne soit répréhensible ou inesthétique : cette couronne bleu et or en dit plus sur nos racines que tout ce que les historiens peuvent raconter, et elle est belle à regarder.
Pourtant l’intention macronienne, j’en suis persuadé, n’était nullement maléfique. Le président de la République a cru bien faire en suspendant à la voûte de notre Arc de triomphe, au-dessus du soldat inconnu, la bannière européenne pour saluer la présidence française. Il n’a pas vu de problème, et c’est tout le problème. Non que la bannière européenne soit répréhensible ou inesthétique : cette couronne bleu et or en dit plus sur nos racines que tout ce que les historiens peuvent raconter, et elle est belle à regarder. Elle est la version textile et colorée de l’Hymne à la joie. Elle murmure des choses inavouables : elle raconte que nous sommes consacrés à la Vierge Marie, reine des anges, reine du Ciel, reine de France aussi. À son sujet, la vérité est sortie en gros sabots, comme souvent, de la bouche en cœur de Jean-Luc Mélenchon en personne. En 2017, le député avait déposé un amendement visant à retirer le drapeau européen de l’Assemblée nationale au motif qu’il était un symbole marial et chrétien. Jean-Luc Mélenchon comprend toujours tout !
Deux France
Mais la bannière européenne, si respectable soit elle, et si jolie, n’est pas notre drapeau national. Elle ne représente pas la Nation. Le geste macronien était d’une incroyable désinvolture. En arborant le drapeau bleu et or, le président a lancé à son opposition affamée une friandise inespérée. Immédiatement après que le drapeau européen a été installé sous l’Arc de triomphe, la droite a donné de la voix : un vrai concert d’oies du Capitole. Le président avait trahi la patrie, ni plus ni moins. Il avait commis un sacrilège. Il avait déshonoré le soldat inconnu. Il avait profané l’Arc de triomphe. Et, de leur côté, les macronistes ne sont pas restés dans la nuance. À Valérie Pécresse qui demandait, paisiblement, que la loi constitutionnelle soit appliquée et que le drapeau tricolore, seul drapeau français, soit au minimum arboré à côté de la bannière européenne (qui n’est pas un drapeau national, et pas non plus un chiffon rouge), les macronistes ont répliqué qu’elle cédait à une pulsion d’extrême-droite. Mondialistes contre populistes, la vieille rengaine reprenait du service. Éric Ciotti en a déduit une conclusion définitive : « Emmanuel Macron n’aime pas la France. » Terrible accusation. Mais qui le sait ? Emmanuel Macron aime la France, sans doute, mais la France qu’il aime n’est pas celle que la plupart des Français ont appris à aimer, et qu'il semble ignorer. La France de M. Macron est un espace économique ; la France d’Éric Ciotti ou de Valérie Pécresse est une personne de chair et de sang. Valérie Pécresse, patriote éprouvée, et calme, sut tenir sa ligne et garder la tête froide dans cet épisode bas de gamme. Elle a opportunément rappelé qu’en déconstruisant notre Histoire, on mutilait notre être.
L’ignorance est une faute
Pour finir, le président de la République a fait retirer nuitamment la bannière bleue avant qu’un référé du juge ne le lui demande, et tout est rentré dans l’ordre jusqu’à la prochaine polémique. Il n’y avait eu chez le Président ni machiavélisme, ni haine de la France : de l’ignorance, seulement. À ce degré, l’ignorance, en politique, est toujours une faute. Cet épisode sera vite oublié. Il est une occasion de nous rappeler que nous, Français, avons toujours eu une relation difficile avec notre drapeau. Nos trois couleurs n’ont pas toujours fait consensus. Henri V le sait qui, par amour de l’étendard blanc d’Henri IV, a un jour changé le cours de notre histoire politique. Le sujet du drapeau est trop sensible pour qu’on l’agite sans réfléchir.