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« Nous avons le vocabulaire d’une chrétienté deux fois millénaire »

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Pascal-Raphaël Ambrogi - Agnès Pinard Legry - publié le 03/01/22

Par son universalisme et la richesse de ses nuances, la langue française témoigne "d’une chrétienté deux fois millénaire, matrice de la civilisation européenne", assure à Aleteia Pascal-Raphaël Ambrogi, haut-fonctionnaire, auteur éclectique et passionné par le patrimoine linguistique français.

« Le langage, les mots et la parole sont la structure et les pierres de la « maison » des chrétiens », assure Pascal-Raphaël Ambrogi, haut-fonctionnaire, passionné par le patrimoine linguistique français et auteur du Dictionnaire culturel du Christianisme(Honoré Champion)Mais c’est aussi celle, plus largement, de tous ceux qui demeurent imprégnés de la civilisation européenne. « Le vocabulaire d’une chrétienté deux fois millénaire, matrice de la civilisation européenne, a modelé notre structure sociale, nos usages et notre langue », assure-t-il à Aleteia. « Il doit demeurer à la portée du plus grand nombre. Lui seul nous permet de lire les cathédrales et d’encourager la diffusion de la Parole ».

Aleteia : La langue française est-elle « bercée » par le christianisme?
Pascal-Raphaël Ambrogi : Le christianisme a profondément modelé notre continent. Il irrigue encore la mémoire de la France ; sa lymphe nourrit les Français qu’ils soient croyants ou non. La devise même de la République ne puise-t-elle pas ses racines dans les Évangiles ? Le langage, les mots et la parole sont la structure et les pierres de la « maison » des chrétiens ; non seulement les chrétiens, mais aussi, croyants ou non, tous ceux qui demeurent imprégnés de la civilisation européenne.

Les mots sont des indices de Dieu : le christianisme est un langage qui échappe cependant à notre monde sécularisé. Pourtant, fondement de la civilisation européenne, la religion chrétienne a forgé un vocabulaire et des concepts indispensables tant à sa compréhension qu’à notre existence et à notre culture. C’est ce qu’il importe de préserver pour le transmettre et d’expliquer pour le vivifier. Dieu aime les mots, nous dit l’archevêque de Poitiers, Mgr Wintzer. Les mots sont des indices de Dieu, nécessaires et indispensables, sur le chemin qui mène à Lui. L’usage, la reconnaissance et la mémoire de ces termes entretiennent les Français dans la fidélité à l’action de Dieu, hier et aujourd’hui. Tel est aussi le but de ce dictionnaire : entendre en parcourant ce vocabulaire l’écho du divin ! Le vocabulaire de la chrétienté a modelé nos usages et notre langue. Il doit demeurer à la portée du plus grand nombre. Lui seul nous permet de lire les cathédrales et de diffuser la Parole. 

Comment témoigne-t-elle « d’une chrétienté deux fois millénaire »?
La langue française a été le témoin de la chrétienté. Elle s’est construite et enrichie à son contact. Comme le souligne fort justement le cardinal Sarah, pour exprimer le mystère chrétien et toute sa réflexion théologique, l’Église a ciselé son vocabulaire et la définition des termes et des notions qui véhiculent sa pensée. La foi est créatrice de culture me rappelait le cardinal Poupard. Elle se dit en des mots, des expressions et des sentences forgées au long des siècles. Il ajoutait avec raison n’avoir jamais cessé de conjuguer ensemble fois et culture, fort de la conviction que le message de la Révélation chrétienne se présente toujours revêtu d’une enveloppe culturelle dont il est indissociable.

Le vocabulaire chrétien illustre ainsi plus que jamais la force d’un héritage considérable, acteur principal de la construction de notre nation et de notre vie. La France pense en chrétienne. Le christianisme structure notre société et notre langue depuis deux mille ans. Il ne se passe d’ailleurs pas un jour sans qu’il ne soit singé par de fausses spiritualités. La République y puise ses valeurs. Avant que les frontières ne fussent tracées, la terre de notre Europe fut chrétienne. L’art, l’architecture, l’organisation sociale et politique, les fêtes, la morale, le droit, nos valeurs ont pris naissance à la même source dont ont jailli Saint-Denis, Domrémy et Reims. La patrie elle-même est née du cœur d’une sainte. Le christianisme est notre matrice commune : nous sommes à son image.

Avez-vous quelques exemples de mots directement inspirés de la foi chrétienne?
Les textes réputés fondamentaux du christianisme, les sources chrétiennes, patrimoine de l’Europe, ont contribué à fonder notre civilisation. La plupart de nos représentations sont imprégnées de culture chrétienne. La langue, la littérature lui empruntent leurs origines. Les connaître, c’est mieux nous connaître.

Cette langue reflète une société active ; elle joue un rôle primordial dans le parcours de formation intellectuelle et spirituelle des individus.

Des mots usuels, des expressions populaires et fort nombreuses, toujours si familières, trouvent leur origine dans les prières récitées chaque jour, dans la Bible, l’Ancien et le Nouveau Testament, toutes ces sources d’une richesse infinie qui ont si profondément donné forme à notre culture, nos pensées et nos expressions. Le lavabo, le dimanche, le tollé, un capharnaüm, un judas, parmi tant d’autres, en attestent. Au fil des siècles, d’innombrables expressions idiomatiques, toutes inspirées de l’Écriture sont venues peupler nos conversations. Nous sommes toujours depuis deux mille ans pauvres comme Job, aux cent coups ou pris à nos propres pièges.

La langue française est-elle aujourd’hui en danger?
Une langue communément compréhensible, facteur d’harmonie sociale, d’expansion culturelle, une unité linguistique préservée constituent le socle de notre identité en France et dans le monde. Cette langue reflète une société active ; elle joue un rôle primordial dans le parcours de formation intellectuelle et spirituelle des individus. Cet ensemble si riche, outil précieux mis gracieusement à la disposition des Français par l’École est pourtant aujourd’hui moqué, perturbé et combattu ; sa grammaire, les règles formant le système qui nous est propre ; sa syntaxe, qui permet l’édification du discours selon les règles de la grammaire ; son lexique qui meurt abandonné ou trahi.

C’est pourtant la grammaire qui pense, et elle n’est pas « négociable », pas plus que la connaissance du latin dont la perte nous coupe des racines par lesquelles notre langue se réinvente depuis un millénaire, et la jouissance de tous les mots de la langue qui nous permettent encore de dire le monde en français. Au rythme des restrictions et des dégradations lexicales, de l’appauvrissement grandissant du patrimoine commun que représente le français, par défaut de transmission et de maîtrise, il ne faudra pourtant pas plus d’une génération pour que notre langue se dégrade en un mélange d’anglais et de français dépouillé de son rapport à l’écrit. Dès lors, cette dernière ne se distingue plus des autres langues et consacre la chute culturelle des Français dans un abîme mercantile et servile, sans fond.

Qu’encourage, que stimule en nous la langue française?
La langue française favorise notre inscription dans la communauté nationale et dans l’Église. Les langues, les cultures et les religions sont inséparables. Or elles sont menacées par l’émergence d’une langue anglo-américaine, approximative et déformée, en rupture avec toute culture. Cette redoutable évolution peut cependant représenter une chance pour le français et la Foi. Une langue communément compréhensible est un facteur indispensable d’harmonie sociale, culturelle et spirituelle. C’est par la fréquentation des grands textes, à la lumière de la Foi, que l’on pourra éclairer l’avenir de notre langue. Cette dernière joue un rôle primordial dans nos parcours de formation. Elle favorise notre inscription dans la communauté nationale et dans l’Église. 

On retrouvera le chemin de la Foi en retrouvant celui du français.

La langue s’appauvrit du fait des erreurs de ceux qui la malmènent. C’est ainsi que la pensée perd de sa force, délayée dans l’imparfait, les substitutions à notre vocabulaire de vocables inutiles et les altérations irrémédiables de la syntaxe. Extirpons de l’âme collective le désir d’une langue et de la perception de la Parole. Des enseignements furent oubliés, des vocables sont morts de n’être plus employés : notre avenir est pourtant dans les mots. On retrouvera le chemin de la Foi en retrouvant celui du français.

Comment habiter chrétiennement notre langage?
La connaissance, l’usage et la préservation des mots de la Foi mènent à la Parole : pour faire Église, les chrétiens ont emprunté aux mots leur vigueur et leur sens. Les cultures et les sociétés humaines furent formées à la lumière de l’Évangile, guide du génie humain épanoui au cœur des arts et des lettres.

Le christianisme qui a modelé la France irrigue sa mémoire. Pourtant, en ce XXIe siècle, hommes, cultures et Évangile cohabitent et s’opposent. Dans ce gouffre vit l’homme égocentrique, esclave consentant de ses désirs et de leur assouvissement, de l’hédonisme et de l’indifférence au beau, au bien et à l’autre. La sécularisation, a écrit le pape Benoît XVI, se présente comme une organisation du monde sans référence à la Transcendance ; elle a forgé une mentalité où Dieu est absent de l’existence et de la conscience humaine. Cette sécularisation a dénaturé la vie des croyants, dès lors seuls au monde, conditionnés par la culture de l’image et des réseaux qui imposent leurs modèles mercantiles et esclavagistes, et leurs sollicitations contradictoires, dans la négation de Dieu et de la personne humaine. Dans cet environnement sinistré, le lexique chrétien redécouvert permet d’ouvrir à nouveau la voie qui mène à la Parole.

Avez-vous quelques conseils à donner pour, justement, habiter chrétiennement notre langue?
Réapprenons à parler comme on doit écrire. Extirpons de l’âme collective le désir d’une langue. Réveillons celui qui sommeille en nos enfants pour nourrir leurs rêves, leur donner le goût de la nuance, l’envie de la subtilité, le désir de comprendre, de partager et de transmettre. Un vocabulaire ample, c’est la vie et ses horizons qui s’élargissent au gré des mots et d’une pensée vivifiée pour le plus grand bien de l’imaginaire cultivé en chaque être. Des enseignements furent oubliés, des vocables sont morts de n’être plus employés : notre avenir est pourtant dans les mots !

Les mots sont au service du sens et de la nuance. La langue est un outil au service des esprits libres : la richesse du vocabulaire est gage de cette liberté, et tout particulièrement celui de la chrétienté, Dieu n’est-il pas, nous rappelait Étienne Gilson, « la seule protection de l’homme contre les tyrannies de l’homme » ? Il nous importe aujourd’hui de connaître et de comprendre ces mots de la Foi, ceux qui éclairent la pensée fondatrice de la civilisation française, et qui forment l’abécédaire de la spiritualité, de l’histoire et de l’actualité chrétiennes. Retournons aux sources toujours vivantes de notre civilisation, car en perdant le sens des mots, on perd progressivement le sens de la vie.

Quelle place occupent les mots dans notre foi?
La place de la Parole et des Écritures est fondamentale dans la liturgie catholique. Il suffit pour s’en convaincre de lire le prologue de l’Évangile selon Saint-Jean : « Au commencement était le verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ». Le lexique chrétien trace le chemin de la vie : la foi, créatrice de culture, se dit en des mots, des expressions forgées au long des siècles. Le message de la Révélation se présente revêtu d’une enveloppe culturelle dont il est indissociable. Les mots de la Foi forment l’abécédaire de la spiritualité, de l’histoire et de l’actualité chrétiennes. 

La France pense en chrétienne : les sources chrétiennes ont contribué à fonder sa civilisation. La langue, la littérature lui empruntent leurs origines.

Retournons aux sources toujours vivantes de notre civilisation, car en perdant le sens des mots, on perd progressivement le sens de la vie. Les mots sont au service au service des esprits libres : la richesse du vocabulaire est gage de cette liberté, et tout particulièrement celui de la chrétienté. Il illustre plus que jamais la force d’un héritage considérable. Comment imaginer comprendre notre littérature sans la connaissance du pavement chrétien que représente ce vocabulaire ? Il est au moins autant « agissant » que le socle antique ô combien davantage célébré ! La France pense en chrétienne : les sources chrétiennes ont contribué à fonder sa civilisation. La langue, la littérature lui empruntent leurs origines. Les connaître, c’est mieux nous connaître nous-mêmes : on devient Français en étant imprégné par le christianisme, on le demeure en ne le reniant pas ; on renoue avec notre héritage culturel et linguistique en le reconnaissant. 

Propos recueillis par Agnès Pinard Legry

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Dictionnaire culturel du Christianisme, Pascal-Raphaël Ambrogi, Honoré Champion, mars 2021, 37,9 euros.

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