Lorsque Jeanne la Pucelle conduisit le "gentil dauphin" à Reims afin qu'il y fût sacré sous le nom de Charles VII, le 17 juillet 1429, la foule amassée acclame l'événement qui sauve le royaume de France par un cri unanime : "Noël ! Noël !" Cela nous semble bien étrange au cœur de l'été, et pourtant, rien d'étonnant en cela pour un homme médiéval, "Noël !" étant alors l'exclamation pour exprimer une joie hors du commun. Nous pourrions donc, comme chrétiens, utiliser nous aussi cette marque de bonheur. En y ajoutant aussi ce qui donne le ton et la couleur à tout ce mois de janvier souvent plongé dans la grisaille et la froidure : "Théophanie ! Théophanie !" Vous direz à juste titre que Noël est aussi une théophanie, la première de toute une série célébrée durant ces semaines de grâces : l'Adoration des Bergers, puis celle des Rois mages, et, pour inaugurer la vie publique de Notre Seigneur, son Baptême et le premier des miracles, celui des Noces de Cana. La Théophanie est une manifestation de Dieu, un événement extraordinaire qui révèle à tous ceux présents, l'action divine. En cela, la Théophanie qui est symboliquement la plus universelle est bien sûr l'Épiphanie qui, selon son étymologie, est la reconnaissance du caractère surnaturel de l'Enfant par les Sages qui sont venus des quatre coins de la terre connue pour L'adorer.
À la recherche de l’Étoile
Edmond Rostand, chrétien peu assidu, incroyant même d'après Anna de Noailles et "bouffeur de curés" comme l'étaient souvent les grands bourgeois de son temps, écrivit une poésie ne manquant pas de profondeur sur cette Théophanie des Rois qui continue de fasciner l'imaginaire de ceux qui sont éloignés de Dieu, car chaque homme est bien à la recherche de l'Étoile qui éclairera ses ténèbres :
Voilà un poème qui plairait à notre époque en pleine folie de "wokisme". Pourtant, le message de Rostand n'est pas une dénonciation du supposé racisme des deux autres Rois, mais bien de souligner que le Roi noir reçoit ce privilège tout simplement parce qu'il ne recherche point la Théophanie dans de savants calculs mais dans l'accomplissement charitable des gestes ordinaires quotidiens : donner de l'eau aux bêtes de la caravane. Il est d'ailleurs probable que ces dernières n'avaient jamais perdu de vue l'Étoile et qu'elles continuaient à ruminer imperturbablement pendant que les Rois se lamentaient.
La Théophanie est pour tous
La Théophanie n'est pas une nouveauté apportée par le Christ, puisqu'elle rythme l'Ancien Testament, justement pour préparer la venue du Messie. Lorsqu'Abram, pas encore Abraham, arriva dans la terre promise par Dieu, ce dernier lui apparut en lui promettant que ce pays serait à sa postérité (Gn 12, 7). Plus tard, à Mambré, Abraham, qui n'est plus Abram, reçoit la célèbre visite trinitaire des anges, sous forme d'hommes messagers, pour lui annoncer la naissance d'Isaac (Gn 18, 1-16). Deux générations plus tard, Jacob devient Israël après avoir combattu avec l'Ange, Dieu Lui-même, au gué de Jaboc (Gn 32, 22-32). Moïse sera bénéficiaire de plusieurs Théophanies, dont celle du Buisson ardent, origine de sa mission pour délivrer le peuple hébreu (Ex 3, 2-4), puis celle, terrifiante, où Dieu lui dicta ses Lois (Gn, 34). Et la liste n'est pas close. Cependant, toutes ces Théophanies utilisent des intermédiaires terrestres pour se faire connaître des hommes, même si Dieu ne se confond pas avec ces éléments : le tonnerre, les éclairs, le feu, les voix, les tremblements de terre, etc. Il faut attendre Notre Seigneur pour que la Théophanie soit la véritable manifestation visible de Dieu. Les bergers et les Rois ont vraiment vu Dieu de leurs yeux, sans trembler et sans avoir besoin de se couvrir le visage ou de retirer leurs sandales. Les animaux furent eux aussi les témoins de l'irruption de Dieu dans la vie des hommes : le bœuf placide et les moutons dissipés, eux qui étaient jusqu'alors promis aux sacrifices du temple, purent contempler l'Agneau qui serait immolé à leur place pour la suite des temps ; l'âne, monture royale de l'entrée triomphale à Jérusalem, put s'agenouiller devant le Souverain qu'il porterait un jour, lui ou un de ses petits. La Théophanie du Christ est pour tous les êtres, pour toutes les créatures. Les astres eux-mêmes en sont bouleversés d'où cette Étoile qui donne du fil à retordre aux Sages.
La première place aux misérables
La Théophanie ne se contente pas d'être un miracle ponctuel et grandiose. Dieu est toujours pédagogue et ses interventions sont pour notre instruction et notre éducation. Il nous remet ainsi à notre juste et humble place en nous faisant toucher du doigt combien nous sommes petits et dépendants, fussions-nous les Rois d'Orient. Là encore, laissons parler un poète, profondément catholique parce que profondément pécheur, Paul Verlaine :
Ainsi, l'adoration parfaite est-elle la conversion du cœur et des mœurs. La Théophanie est une pluie de grâces qui permet au pécheur de prendre conscience de ce qu'il est en comparaison de la grandeur divine qui, cependant, ne l'écrase pas mais le tire vers le haut. D'ailleurs, la Théophanie trinitaire de ce temps de Noël regroupe aussi le Baptême de Notre Seigneur, moment où le Père révèle le Fils à tous ceux qui sont présents, et les Noces de Cana, préfiguration de la Cène et du sacrifice de la Croix. Les Nations, sur le Golgotha, reconnaîtront la divinité du Supplicié par la voix du centurion (Lc 23, 47).
Les théophanies ordinaires
Demeurent aussi les théophanies ordinaires dont toute vie est riche, à condition d'ouvrir les yeux et le cœur, pour les récolter. Les solennelles Théophanies que l'Église ne cesse de célébrer à juste titre, nous donnent un avant-goût de la Parousie et nous aident à accueillir l'intervention divine dans notre existence. Nous sommes tout à la fois, les bergers pouilleux, les Rois sages et magnifiques, les foules du Jourdain et les invités de la noce villageoise, sans oublier les animaux bêlants et ruminants. Nous aimerions bien sûr être aussi éclatants que l'Étoile, et nous pourrions l'être si nous choisissions d'être des saints. Mais ceci est une autre histoire, encore à écrire.