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D’année en année, les rapports de la Cour des comptes se suivent et se ressemblent. Ce 14 décembre, l’auguste institution financière a ainsi établi que malgré « une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne de l’OCDE, la performance du système scolaire français tend à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés ». On aurait presque pu le deviner. Quant aux préconisations, elles sont du même ordre que l’analyse : froides et techniques. On apprend qu’il suffirait, pour améliorer « l’efficacité du système », de « faciliter le parcours de l’élève », de « rénover le cadre du métier d’enseignement », de « renforcer les marges d’autonomie des établissements », de « mieux évaluer la performance et l’évaluer ». Il ne manquait que cette petite goutte d’eau technocratique pour faire déborder le vase : évaluer l’évaluation, comme on fait ailleurs des synodes sur la synodalité. L’école ne mérite-t-elle pas mieux que d’être soumise au filtre déformant d’une simple gestion comptable ?
Le professeur, cet artisan
L’école ne mérite-t-elle pas mieux que d’être soumise au filtre déformant d’une simple gestion comptable ? D’abord en posant sur le beau métier d’enseignant un regard qui sache considérer à nouveaux frais sa nature artisanale. À l’heure de l’intelligence artificielle, qui offre quelques précieuses facilités mais aussi de nombreux pièges, la transmission scolaire appelle une parole incarnée, un professeur en chair et en os, capable de se tromper et de se fâcher mais aussi de s’appliquer, de s’émerveiller et d’enthousiasmer ses élèves. Artisan, le professeur l’est par son sens de l’observation, par le coup de main acquis à force d’expérience mais aussi par sa capacité d’adaptation. Au contraire de l’expert, sûr de ses procédures qu’il applique de manière standardisée, par rationalisme ou parce que c’est la mode, le professeur-artisan donne la priorité à la relation au groupe et à l’élève et ajuste sa parole et son cours à la réception qui en est faite. La novlangue technocratique, les modes pédagogiques mais plus encore la multiplication des protocoles par temps de Covid ont contribué à l’assèchement de la relation pédagogique, privée de visages et soumise à l’assaut d’écrans inopérants. Les évaluations post-confinements offrent un sérieux démenti à l’illusion de « la continuité pédagogique ».
L’autorité au service de la transmission
L’enjeu de l’école est pourtant immense. Il n’engage rien moins que la possibilité de la transmission. Ce relais entre les générations justifie l’autorité du professeur. Comme le montre bien Hannah Arendt dans la Crise de la culture, les élèves ont besoin d’adultes capables d’assumer le monde. Certes ils ne le réclament pas d’eux-mêmes et des contraintes nouvelles comme la société de consommation et son corollaire, l’individu-roi, viennent entraver cette relation de transmission. Il faut compter aussi avec l’absence d’éducation dans de nombreuses familles et ses conséquences désastreuses. Mais le jeu en vaut la chandelle. Si je tiens ferme pour que cette élève, qui résiste à toutes les règles de civilité depuis septembre, se soumette à la règle commune, quitte à passer par la sanction ou l’exclusion, c’est parce son bien personnel et le bien commun sont en jeu.
La question du sens
En réalité, et c’est sans doute ce qui échappe à la Cour des comptes, l’école est bien davantage que l’antichambre du Marché. Voilà pourquoi elle appelle un regard plus profond. Ce qui se joue, au fond, dans la relation pédagogique, c’est la question du sens. Je ne nie pas que notre métier ait été prolétarisé et malmené par d’absurdes complications administratives. Mais en dépit de toutes ces contraintes, nous avons entre les mains la plus belle mission du monde : dévoiler à nos élèves, à travers l’exercice rigoureux et patient de nos disciplines respectives, le sens du monde et de leur existence. Les élèves les plus fragiles comme les plus doués sont appelés à expérimenter cette aventure conjointe de l’intelligence et du cœur qui excède largement les attentes utilitaristes que nous faisons peser sur l’école, pour un gain somme toute fragile.
S’agit-il simplement de faire nos heures et que chacun retourne à son confortable anonymat ? Ou bien de transmettre ensemble la question du Bien, du Beau, du Vrai et d’engendrer ainsi des libertés nouvelles capables de prendre en charge la responsabilité du monde ?
Transmettre ou Disparaître, Manifeste d’un prof artisan, Salvator, septembre 2021, 168 pages, 18,80 euros.