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Le Noël du chevalier de Limoëlan

ATTENTAT NAPOLÉON

Ann Ronan Picture Library / Photo12 via AFP

Anne Bernet - publié le 24/12/21

Triste histoire que ce Noël sanglant de 1800. À Paris, un attentat contre Napoléon échoue et tue des innocents. L'un de ses auteurs, le chevalier Joseph de Limoëlan, en fit pénitence toute sa vie.

Il est six heures du soir, ce 24 décembre 1800, à Paris. Depuis que Bonaparte s’est emparé du pouvoir l’année précédente, et a ouvert les négociations avec Rome en vue d’un concordat qui rétablira le culte catholique en France, le calendrier chrétien reprend peu à peu ses droits. Pour la première fois depuis des années, ce soir, les Parisiens fêtent Noël ; il y aura même quelques messes de minuit qui ne se célébreront pas tout à fait dans la clandestinité. En attendant, l’on vaque aux préparatifs du réveillon et l’on se bouscule dans les boutiques afin de faire les dernières courses.

La petite vendeuse d’oublies

Rue Saint-Nicaise, venelle tortueuse disparue lors des travaux du baron Hausmann, proche du Louvre et du Palais Royal, l’épicerie est comble. Juste à côté, profitant de la vitrine éclairée, seule source de lumière de la rue, Marianne Peusol, 14 ans, fille unique d’une marchande ambulante, propose aux passants des oublies, c’est-à-dire des gaufres. La nuit est tombée, il pleut. Il fait froid. Marianne aimerait bien rentrer chez elle mais, connaissant le dénuement maternel, elle espère gagner encore quelques sous. Alors, résignée, elle continue à proposer ses gâteaux à des gens qui ne la regardent même pas.

Arrive un livreur qui conduit une carriole déglinguée transportant une barrique, le tout traîné par une petite jument baie à l’air fatigué. Il se gare devant le porche de l’hôtel de Longueville, dans un renfoncement, là où la rue Saint-Nicaise fait un coude, et reste là, comme s’il attendait quelqu’un. Il regarde la gamine, voudrait lui dire de s’en aller, prêt à lui glisser une pièce pour qu’elle déguerpisse mais il ne le fait pas, pour ne pas attirer l’attention. Demain, la presse racontera, à tort, qu’il lui a donné un louis d’or pour qu’elle tienne la bride de la jument et qu’il l’a vouée ainsi volontairement à une mort horrible. Ce sera faux mais qu’importe, puisque, en effet, Marianne va mourir…

Que pèsent quelques vies de plus ?

L’homme n’est pas un livreur mais un officier royaliste, Pierre de Saint-Régeant, officier de Cadoudal, le chef chouan du Morbihan, en mission dans la capitale pour préparer l’enlèvement de Bonaparte, devenu un obstacle à la restauration de Louis XVIII. Hélas, l’obéissance n’est pas la vertu première de Saint-Régeant, et devant les difficultés d’un enlèvement, il a décidé de tuer le chef de l’État… Le Premier Consul a déjà échappé à plusieurs attentats, entre autres à une « machine infernale », engin explosif mis au point par des militants d’extrême-gauche. Arrêtés avant de passer à l’acte, ils ont mis beaucoup de bonne volonté à faire circuler les plans de l’engin parmi leurs codétenus, dont des royalistes. C’est ainsi que Saint-Régeant les a obtenus. L’idée est simple : faire exploser une voiture piégée quand Bonaparte, qui doit, ce 24 décembre, se rendre à l’Opéra, passera rue Saint-Nicaise.

Voilà ce que Saint-Régeant a expliqué à ses amis pour les convaincre de participer à l’attentat. Horrifiés, ils lui ont dit que l’explosion risquait de tuer des innocents… M. de Saint-Régeant se bat depuis huit ans contre la République ; il sait les atrocités dont l’adversaire s’est rendu coupable dans l’Ouest. Que pèsent les vies de quelques Parisiens en comparaison des dizaines de milliers de victimes massacrées en Vendée, en Bretagne, dans le Maine ? Bonaparte mort, le roi revenu, la religion recouvrera ses droits en France et cela vaut bien quelques morts de plus.

Neuf cadavres déchiquetés gisent rue Saint-Nicaise, dont celui de la petite marchande d’oublies.

Quelques officiers royalistes ont refusé et se sont retirés de l’affaire, sans la dénoncer, par loyauté envers leurs camarades. Parmi ces derniers, un garçon de 27 ans, Joseph de Limoëlan, originaire de la région malouine, dont le père est mort sur l’échafaud en 1793. Jeune, exalté, Limoëlan, après un premier refus, s’est laissé convaincre de participer à l’attentat, à condition de se borner à un rôle passif : installé près des guichets du Louvre, par où les voitures consulaires doivent passer, il fera signe à Saint-Régeant, et celui-ci mettra le feu aux poudres contenues dans le baril, mission suicide qui revient à sauter avec Bonaparte. Ce risque, le Breton l’accepte mais sa conscience chrétienne, que, par malheur, emporté par ses passions politiques, il n’écoute pas, aimerait éloigner la petite marchande d’oublies ; à la différence des Bleus, il n’a pas l’habitude de tuer des enfants.

Il ne barguigne pas

Le spectacle est à 8h. Le Premier Consul est en retard. Les terroristes l’attendent vers 7h et demi. En fait, Bonaparte, qui déteste l’opéra, n’a aucune envie de sortir et, quand, enfin, il se laisse convaincre de s’y rendre, exaspéré, il fait une remarque méchante à sa femme qu’il trouve mal habillée. En larmes, Joséphine doit changer de châle. Cette scène de ménage va lui sauver la vie. Énervé, Bonaparte décide de partir seul, sa femme et ses proches le rejoindront plus tard. Cette décision modifie le dispositif de sécurité autours des voitures officielles. Au lieu d’un peloton d’escorte, un seul cavalier précédera le carrosse du chef de l’État. Joseph de Limoëlan, qui fait le guet, attend le cérémonial ordinaire et, d’abord, ne comprend pas que cette voiture sans protection est la cible attendue. Il hésite à faire le signal et, quand il s’y décide, Saint-Régeant, gêné par la brume et la pluie, ne le distingue pas tout de suite ; il allume la mèche mais, à ce moment, le cavalier qui ouvre la voie au carrosse s’est déjà engouffré rue Saint-Nicaise. Devant l’obstacle que constitue la carriole, il ne barguigne pas, pousse brutalement le faux livreur, qui roule à plusieurs mètres de son véhicule. Au même instant, le chef de l’État passe à brides abattues. La bombe saute, mais la voiture du Premier Consul est déjà loin, et celui-ci sain et sauf. 

Bien des gens n’auront pas eu cette chance… Neuf cadavres déchiquetés gisent rue Saint-Nicaise, dont celui de la petite marchande d’oublies. Les autres ? Une jeune femme enceinte qui faisait les dernières courses du réveillon, deux hommes qui rentraient du travail, des passantes qui ne pourront être identifiées, auxquels s’ajoute une dizaine de blessés très graves, qui resteront infirmes le restant de leurs jours… Glorieux résultat.

« Va chercher un prêtre ! »

Cela, Saint-Régeant, qui a survécu par miracle à l’explosion, et Limoëlan le comprennent trop tard. Ils ont commis un crime horrible, pour rien. Pis encore, ils ont choisi pour ce faire le soir de la Nativité, eux qui se targuent d’être bons catholiques. D’un coup, avec l’immensité de leur faute s’impose à eux la certitude du châtiment : ils se sont damnés… Reste-t-il une chance de réparer, d’expier ? Blessé par le souffle de l’explosion, Saint-Régeant réussit à regagner le logis qu’il partage avec Limoëlan et, à son ami qui rentre, décomposé, en larmes, il lance : « Va chercher un prêtre ! » Un prêtre, à Paris, Joseph n’en connaît qu’un : son oncle, le Père de Clorivière. Ancien jésuite, devenu prêtre diocésain après la disparition de la Compagnie de Jésus, le Père de Clorivière est une grande figure de la résistance à la persécution religieuse. Dans la clandestinité, il a traversé indemne la Terreur, puis les sursauts anti-chrétiens récurrents qui ont suivi jusqu’en 1799. Lorsque son neveu, hagard, le réveille en pleine nuit, il accourt, confesse les deux terroristes repentants, sanglotant, les absout, ce qui est l’essentiel, puis, leur trouve des caches sûres.

Cela n’empêchera pas Saint-Régeant de se faire arrêter, un mois après. Courageusement, il prendra sur lui toute la responsabilité de l’attentat, et finira sur l’échafaud le 20 avril avec un autre de ses complices. Quant à Limoëlan, et bien que la police de Fouché l’ait identifié presque immédiatement pour l’un des terroristes, il demeure introuvable, au point que, bientôt, elle le prétendra mort et fera passer pour lui un noyé repêché dans la Seine. Ce prétendu suicide mettra un terme aux recherches. Il est vrai que Mme de Limoëlan, la mère de Joseph, qui ne partage pas les convictions politiques de feu son époux et de leur fils, est une vieille relation, sinon une amie, du puissant ministre de la Police… Assez proche de lui peut-être pour qu’il l’aide à sauver la tête de son enfant.

La colère du roi

En fait, ceux qui croient mort le chevalier de Limoëlan ne se trompent pas tant que cela. Le Père de Clorivière a installé son neveu dans l’une de ses planques, les vastes souterrains qui circulent sous l’église Saint-Laurent, fermée au culte depuis bientôt dix ans, où personne ne s’aventure jamais. L’endroit, sombre, humide, sinistre, ressemble à un tombeau où Joseph serait descendu vivant. De temps en temps, son oncle vient le voir et lui apporter un peu de nourriture, juste de quoi ne pas mourir de faim, régime de pénitence auquel le garçon, prostré, se soumet. Il lui apporte les nouvelles aussi, qui ne sont pas bonnes… L’attentat a provoqué un scandale international et entraîné des condamnations unanimes : de Rome, de l’Église de France, du roi car Louis XVIII s’est écrié qu’il en « anathématisait les auteurs », de Cadoudal, qui, en Bretagne, est entré dans une colère rouge en apprenant l’épouvantable et stupide initiative de ses lieutenants. Quant aux résultats, ils sont pis encore : jamais Bonaparte n’a été plus populaire, jamais le clergé n’a été si prompt à le présenter en sauveur de la France et de la foi. En plus, dans l’Ouest comme à Paris, la police a réussi à arrêter presque tous les militants royalistes, et a abattu plusieurs hauts responsables chouans, dont le frère et le meilleur ami de Cadoudal. 

Personne, parmi ses ouailles ou ses dirigés ne sut jamais pourquoi ce prêtre édifiant, aimé, vénéré même, chaque soir de Noël, quand il montait à l’autel pour célébrer la messe de minuit, pleurait à chaudes larmes.

Joseph de Limoëlan a tout loisir de méditer sur les résultats d’un plan qui devait les couvrir de gloire… Il a tellement honte, il éprouve envers ses actes un tel mépris, une telle horreur que l’idée lui vient, par instants, de quitter sa cachette et de se rendre à la police, de payer pour ses crimes, lui aussi. Une seule chose le retient : une peur atroce, malgré l’absolution reçue, d’être damné faute d’avoir assez expié. Pour un chrétien, il existe d’autres solutions que le suicide, car se livrer en serait un. Le père de Clorivière le lui fait peu à peu comprendre.

La messe en larmes

Dans quelques semaines, quand le souvenir de la rue Saint-Nicaise se sera un peu effacé, Limoëlan, muni de faux papiers au nom d’un certain chevalier de Clorivière, quittera Paris et rentrera en Bretagne, puis, de là, il s’embarquera pour les États-Unis. Entré au séminaire, il sera ordonné prêtre en 1807. D’abord curé de la paroisse catholique de Charleston, où il subira toutes les avanies réservées aux papistes par une majorité protestante hostile, répondant immanquablement à ceux qui le plaignent : Never mind… « cela n’a pas d’importance », il deviendra ensuite l’aumônier et le directeur du couvent de la Visitation de Georgetown. Il y mourra en odeur de sainteté le 29 septembre 1826 à l’âge de 58 ans.

Personne, parmi ses ouailles ou ses dirigés ne sut jamais pourquoi ce prêtre édifiant, aimé, vénéré même, chaque soir de Noël, quand il montait à l’autel pour célébrer la messe de minuit, pleurait à chaudes larmes. C’est que le chevalier de Limoëlan, le cœur brisé et contrit, offrait le saint sacrifice pour ses victimes, leurs proches… et le pardon de ses propres péchés.

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