Dans un livre d’entretiens paru il y a quelques années, un évêque et un sociologue avaient défini trois comportements principaux résultant du « changement d’époque » que nous connaissons : le déni des réalités, avec l’illusion de dompter le cours de l’histoire ; le rétropédalage associé à une réitération de solutions passéistes ; enfin le risque d’accompagner le mouvement, incertain par essence, mais en faisant le pari de l’inventivité.
Un rêveur audacieux
Ces trois types de réactions face aux mutations actuellement en cours sont aisément repérables dans les commentaires politiques, géopolitiques, économiques, sociaux et culturels dont nous abreuve à toute heure la société de l’information. Ils peuvent également servir de grille analytique pour situer tel ou tel discours politique, mais aussi pour discerner nos attitudes personnelles face à des événements déstabilisant nos manières habituelles de vivre, de penser, et de croire. Enfin, toutes les institutions traditionnelles civiles ou religieuses, tremblantes sur leurs bases, sont-elles aussi traversées par ces trois options contradictoires qui opposent leurs vues sur la façon de régler les crises diverses qui les secouent : sanitaires, systémiques, migratoires, écologiques, démographiques, etc.
Un leader d’aujourd’hui saurait-il agiter des rêves capables d’enfoncer le scepticisme ambiant et de régénérer de l’espérance ?
Ce « changement d’époque » n’est pas, à première vue, propice à placer à la barre des collectivités humaines des « princes » proposant de rêver à un autre monde. Les faits sont têtus. Et ils le sont d’autant qu’on ne sait pas lire, ou qu’on n’ose plus lire l’avenir. « Il n’y a pas d’autre politique qui vaille que les réalités ! », rugissait de Gaulle quand on attaquait sa politique. C’est ainsi en adepte de cette « realpolitik » tricolore qu’il scella une paix constructive avec l’Allemagne, l’ennemi héréditaire, ou qu’il s’opposa à l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Europe, qu’on appelait alors le Marché Commun, parce qu’elle préférait le grand large au continent… Mais ce fut aussi le même homme qui, le 18 juin 1940, tandis que la France avait perdu la guerre, son honneur et sa souveraineté et qu’Hitler avait conquis l’Europe, fit le pari que la France sortirait vainqueur du conflit et retrouverait sa grandeur. Visionnaire fulgurant de génie certes ! Mais aussi quel rêveur audacieux, lui qui adolescent, s’imaginait en sauveur de son pays !
En gardien des rêves de Dieu
Un leader d’aujourd’hui saurait-il agiter des rêves capables d’enfoncer le scepticisme ambiant et de régénérer de l’espérance ? Il en est au moins un qui ne cesse d’oser rêver à ciel ouvert et à voix haute : le pape François. Ce n’est pas le moindre paradoxe que l’Église catholique soit guidée par un rêveur au moment où elle affronte une des crises systémiques les plus importantes de son histoire ! Depuis son élection au siège apostolique, François émet des rêves, plus ou moins bien captés et compris par le clergé et le laïcat. Il rêve ainsi d’une « Église pauvre et pour les pauvres » ; il rêve d’une « Europe sainement laïque où l’Église et les gouvernements nationaux, soient distincts mais pas opposés » ; il rêve d’une Église synodale affranchie du cléricalisme et de l’élitisme ; il rêve d’une l’humanité prenant soin de la Création et de la dignité de chaque personne.
Comme son modèle, saint Joseph, le pape François parle en « gardien des rêves de Dieu ». « Nous ne sommes pas faits pour rêver des vacances ou de la fin de semaine, rappelait-il dans un tweet en novembre 2020, mais pour réaliser les rêves de Dieu en ce monde. Il nous a rendus capables de rêver afin d’embrasser la beauté de la vie. »
Le thème des prochaines Semaines sociales
« Osons rêver l’avenir » sera le thème des rencontres des Semaines sociales de France qui auront lieu les 26, 27 et 28 novembre prochains en ligne pour tous et en présentiel à Versailles. Depuis 1904, les Semaines sociales proposent des rencontres, des temps de formation et de débat auxquels participent des hommes et des femmes qui, par l’action et la réflexion, cherchent à contribuer au bien commun, en s’aidant de la pensée sociale chrétienne. « Il y a un temps pour tout » dit l’Ecclésiaste. Le temps est venu de tirer des enseignements de la pandémie et des autres ébranlements de notre maison commune. Des conférences, des ateliers interactifs sur la consommation, la ville, les relations intergénérationnelles, la science, etc., mais aussi des temps de prière et de méditation, jalonneront ces trois jours de partages. Les participants de ces rencontres auront ainsi la possibilité de réaliser un rêve du pape François : être des interprètes — et qui sait ? — des acteurs des rêves de Dieu pour le monde des humains. Pour notre monde.