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À Notre-Dame de Guingamp, une Vierge noire venue de la nuit des temps

Vierge noire de Guigamp

© MATTES René / hemis.fr / hemis.fr / Hemis via AFP

Anne Bernet - publié le 28/10/21

L’historienne Anne Bernet achève son pèlerinage des sanctuaires marials pour le mois du Rosaire à Notre-Dame du Bon Secours de Guingamp (Côte d’Armor), où se trouve l’une des plus antiques Vierges noires de France. Mais d’où viennent ces étranges représentations de la Vierge Mère, venues de la nuit des temps ?

Voilà peu, la statue de procession de Notre-Dame de Bon Secours, patronne de la ville de Guingamp, échappait de justesse à une tentative d’incendie, des voisins, alertés par la fumée sont intervenus à temps pour éteindre le feu. Les vandales qui se sont ainsi attaqué à elle, savaient-ils s’en prendre à l’un des plus antiques symboles religieux de Bretagne ? Si la dévotion rendue sous cette appellation à Notre-Dame de Bon Secours est bien datable du XIVe siècle, et même précisément de l’an 1360, année où Charles de Blois, époux de l’héritière de Bretagne, Jeanne de Penthièvre, bâtit sous ce vocable à Guingamp une église en l’honneur de Marie, d’abondance embellie et remaniée par la suite, tous les spécialistes s’entendent à dire que le lieu est sacré depuis la nuit des temps. Notre-Dame de Bon Secours, en effet, appartient à la catégorie, rare et précieuse, des « Vierges noires », elle en est même l’unique exemple existant en Bretagne et, avec Notre-Dame d’Avesnières, à Laval, l’une des seules de l’Ouest.

Toutes ont cependant un point commun : leur visage et leurs mains, couleur chair à l’origine, ont été volontairement noircis, plus rarement peints et l’on ne peut attribuer le phénomène à une trop longue exposition à la fumée des cierges. De là

Ces Vierges noires — on en compte, selon les estimations, entre 90 et 160 en France, les spécialistes contestant parfois le titre à certaines images — sont des statues, le plus souvent en bois mais pas toujours, puisque quelques-unes sont de pierre ou de métal, figurant Notre-Dame soit assise, dans la pause dite du « trône de la Sagesse », soit debout, tantôt seule, tantôt l’Enfant Jésus dans les bras. Toujours magnifiquement habillées d’étoffes précieuses, ces images, si on les dépouille de leurs riches ornements, révèlent dessous des corps informes, masse à peine esquissée pour leur donner vague apparence humaine, ou espèce de marionnette ou de grêle poupée, à l’instar de Notre Dame de Rocamadour.

Parce que beaucoup furent taillées dans des bois exotiques, tel le cèdre pour Notre-Dame du Puy, que l’on dit avoir été rapportée de Terre Sainte par saint Louis, on leur attribue souvent, à tort ou à raison, une origine orientale. Toutes ont cependant un point commun : leur visage et leurs mains, couleur chair à l’origine, ont été volontairement noircis, plus rarement peints et l’on ne peut attribuer le phénomène à une trop longue exposition à la fumée des cierges. De là ce nom de « Vierges noires ».

Trop aimée, trop puissante

Le clergé a toujours accepté cette étrangeté, la rattachant aux paroles du Cantique des cantiques que l’Église applique à Notre Dame : « Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem » (Ct 1, 5). Est-ce, cependant, la seule explication ? L’on peut en douter. Pour les spécialistes, les Vierges noires seraient des représentations très anciennes de la Virgo paritura, la Vierge qui sera mère, que les druides, au demeurant lecteurs d’Isaïe dans la version grecque des Septante, vénéraient autrefois dans la forêt des Carnutes, à l’emplacement où s’élève aujourd’hui la cathédrale de Chartres, où la statue est une Vierge Noire. Cette Vierge Mère, principale divinité d’un culte immémorial, qui existait bien avant l’arrivée des Celtes en Europe de l’Ouest, nommée Dana, Anna, Bélisama selon les lieux, était aussi la souveraine du royaume des morts, des marais, portails de son domaine, et du monde souterrain. Associée à ce monde d’en dessous et de ténèbres, elle était pour cela représentée avec des traits noircis.

Partout en Gaule, les évangélisateurs l’avaient rencontrée sous un nom ou un autre, en général à proximité d’une source sacrée réputée soigner tous les maux humains, et la stérilité des femmes. Trop aimée, trop puissante, elle était impossible à éradiquer et les chrétiens, sagement, ne s’y essayèrent pas. Ils conservèrent le lieu de culte, les usages christianisables, les dates des célébrations, mais substituèrent à la déesse noire, Notre-Dame, la véritable Vierge qui enfanta, qu’annonçaient les Écritures et qu’attendaient les druides, ou sainte Anne sa mère.

Dédié à la « Bonne Mort »

Il ne fait aucun doute qu’un tel lieu de culte existait depuis des millénaires à Guingamp lorsque Charles de Blois fit élever, non loin d’une fontaine manifestement liée au sanctuaire, à l’emplacement de la chapelle seigneuriale du XIe siècle, la basilique de Bon Secours dont le pèlerinage estival, solidement encadré, canalisa partiellement les dévotions populaires, qui restaient un peu trop proches du culte de la fécondité primitif… Autre signe qui ne trompe pas quant aux racines religieuses du lieu, l’Église fit de Bon Secours un sanctuaire spécialement lié à la « bonne mort » et aux âmes du Purgatoire, façon habile de détourner d’antiques croyances liées à l’autre monde. Les évêques de Saint-Brieuc tolérèrent également la coutume des trois feux que l’on allumait la nuit précédant le pardon, toujours fixé au premier dimanche de juillet, donc proche du solstice d’été, date traditionnelle des tantad, les brasiers du « feu père ».

Tout cela entraînait bien, il faut l’avouer, quelques débordements populaires, facilités par les festivités nocturnes et la trop grande promiscuité des pèlerins… À Guingamp comme ailleurs, les recteurs désabusés pouvaient soupirer en considérant leurs jeunes ouailles : « L’on s’en va deux au pardon, l’on s’en revient trois ! » Ce n’est pas trop grave quand cela finit par un mariage mais, dans les autres cas…

Les honneurs du couronnement

Bon Secours, qui draine des dizaines de milliers de pèlerins, est riche. Cela attira sur le sanctuaire la hargne des révolutionnaires. Ils firent main basse sur le trésor accumulé, entre autres des bijoux offerts pour des grâces reçues, puis ils s’en prirent à la vénérable statue, la Vierge noire polychrome que l’on dit avoir été ramenée de Marseille, qui trône au sommet de son porche. Elle fut précipitée brutalement au sol, et la tête de la Vierge noire s’y brisa. Des témoins de la scène, horrifiés, en recueillirent pieusement les morceaux, qu’ils restituèrent au clergé. En 1805, restaurée, Notre-Dame de Bon Secours retrouve sa place parmi les statues des douze apôtres qui lui constituent une garde d’honneur. Pie IX lui accorde les honneurs du couronnement en 1857. En 1944, elle échappe aux bombardements américains qui frappent le transept.

Même si la statue victime des pyromanes n’est pas celle de la Vierge Noire, mais l’image que l’on sort pour la procession du pardon, le geste vient s’inscrire dans une liste déjà longue d’incendies volontaires allumés dans des lieux de culte catholiques. Et il témoigne de la profonde ignorance de ceux qui, par haine ou par bêtise, s’en prennent au symbole même de l’amour maternel.

Tags:
BretagneVierge Marie
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