Le cœur d’un pauvre est plus ouvert à la détresse des autres que le cœur de ceux qui ne manquent de rien. La veille de la publication du rapport de la Ciase, le père de Sinety voudrait que l’Église s’applique cette leçon à elle-même.
Il a les phrases courtes, comme ceux qui savent que la vie ne tient qu’à un fil. Pas le temps de se perdre dans des digressions sans fin ou des discours un peu cuistres. Il a de la culture, et même de l’humour, mais il n’a tout simplement pas de temps à perdre. Non qu’il soit sur le point de signer quelque contrat mirobolant ou de conclure une négociation complexe. Il y a bien longtemps qu’il n’a pas mis les pieds dans un bureau, bien longtemps aussi qu’il n’a pas tapoté nerveusement le clavier d’un ordinateur. Depuis dix ans qu’il vit dans la rue, il sait que même si le soleil se lève chaque matin et disparaît dans la nuit, chaque minute est précieuse. Il le sait jusqu’à l’ivresse de la bouteille amante et traîtresse. Il le sait tant il est resté, assis sur un bout de trottoir, à regarder ceux qui ne le regardent pas, à écouter ceux qui ne l’écoutent pas, à quémander à ceux qui ne savent plus mendier.
Il dit : « Il faut aimer les autres » et il ajoute « sans oublier les gars qui sont à la rue ». Il regarde fixement le tabernacle, comme s’il s’adressait à la Présence que la lumière indique et que le coffre ne suffira jamais à enfermer : « Je veux faire de mon mieux pour aimer les autres. » Il se souvient qu’il fut d’abord un enfant d’une famille « respectable » comme on dit pour désigner ceux qui ne manquent pas. Il y a été scout : à l’évocation de ce souvenir il sourit, magnifique : « Et même chef ! » Et les mots qu’il prie ressemblent fort à cette Promesse qu’il a jadis prononcée : « De mon mieux. » Le voici qui sort de l’église, emporté par les tourbillons de pluie et par le soir qui vient. Il disparaît dans la ville, portant la lumière devant laquelle il se confiait quelques instants plus tôt.