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Depuis les travaux du père Pierre Blet (1918 – 2009) et les premiers dépouillements d’archives, on sait que Pie XII a activement contribué non seulement à protéger les populations civiles, mais aussi à lutter contre Hitler, jusqu’à organiser des complots contre lui, dont la célèbre opération Walkyrie. Mais ses détracteurs ne désarment pas : pourquoi Pie XII est-il resté silencieux face à Hitler tout au long de la Seconde guerre mondiale ? Qua-t-il vraiment fait pour lutter contre le régime nazi ? Archives vaticanes déclassifiées, témoignages, courriers… Nombre d’éléments permettent d’étayer l’action du Pape au chevet des plus démunis en cette période trouble. C’est désormais une nouvelle enquête menée par le diacre Dominiek Oversteyns, spécialiste de cette période, qui vient dissiper le mythe qui entoure l’action de Pie XII pendant le conflit.
S’appuyant sur Le Livre de la Mémoire de Liliana Picciotto, une chercheuse juive qui a recueilli les noms de tous les Juifs italiens déportés et tués ; l'Histoire des Juifs italiens sous le fascisme de Renzo De Felice, qui retrace l'histoire de 148 couvents qui ont sauvé de nombreux Juifs, et les archives du Vatican sur Pie XII désormais ouvertes, il a croisé différentes données afin de mesurer l’ampleur de l’action de ce pape avant et après la rafle du ghetto de Rome, le 16 octobre 1943.
Selon son étude, il y avait 8.207 Juifs à Rome avant la rafle du ghetto juif. Parmi ceux-ci, 1.323 – soit 16% – ont trouvé refuge avant la rafle. Dix-huit sont allés dans les propriétés extraterritoriales du Vatican, 393 dans des villages dans les montagnes autour de Rome, 368 dans des maisons privées d'amis, 500 répartis dans 49 couvents romains différents et 44 dans des paroisses et des collèges pontificaux à Rome, détaille Dominiek Oversteyns.
Pie XII a également pu aider 152 Juifs cachés dans des maisons privées sous la protection de la DELASEM (Delegazione per l'Assistenza degli Emigranti Ebrei), l’organisation de résistance juive qui a opéré en Italie entre 1939 et 1947. L’étude souligne également que Pie XII a accueilli au moins 30 intellectuels juifs au Vatican, où ils ont travaillé et effectué leurs recherches dans les musées et archives du Vatican après avoir été licenciés de leurs institutions en raison de lois raciales. Parmi eux, Hermine Speier, qui a commencé à travailler au Vatican dès 1934 ; Fritz Volbach, embauché au Vatican en 1939, et Erwin Stuckold. Huit témoignages différents révèlent comment Pie XII a demandé à au moins 49 couvents de cacher et d'héberger des Juifs, et a déclaré que ces couvents étaient des zones extraterritoriales sous l'autorité du Vatican
Ces chiffres démontrent d’après Dominiek Oversteyns que Pie XII a agi activement en faveur des Juifs bien avant la rafle du ghetto en 1943. Ce samedi-là, à l’aube, 365 soldats nazis ont rassemblé 1.351 Juifs. Parmi eux, 61 ont été libérés immédiatement et 258 autres ont été libérés après avoir été détenus dans un collège militaire. Enfin, avant que le train ne parte de la gare Tiburtina de Rome pour Auschwitz, deux autres Juifs ont été libérés.
Un fait peu connu est que c’est Pie XII et ses collaborateurs ont pu faire libérer 249 Juifs romains ce jour-là, soit environ un cinquième de ceux qui ont été raflés. D’après les documents consultés par Dominiek Oversteyns, tôt le matin de la rafle, Pie XII a contacté l'ambassadeur allemand Ernst von Weizsäcker pour le convaincre d’appeler Berlin et d’arrêter la rafle. Mais l'ambassadeur n’a pas agi. Dans la foulée, par l’intermédiaire du père Pancratius Pfeiffer, un prêtre allemand réputé supérieur des Salvatoriens, Pie XII a contacté le général Reiner Stahel, chef de l’armée allemande à Rome, qui téléphona directement à Himmler afin de le convaincre d’arrêter la rafle à midi. Dans le même temps, le commandant SS Dannecker a reçu des instructions de Berlin pour libérer tous les Juifs engagés dans des mariages mixtes.
La rafle dans la zone centrale de la ville s'est terminée entre 11h et 11h20, tandis qu'à la périphérie de Rome, il s'est terminé vers 13h20. Sur les 1.030 Juifs déportés à Auschwitz le 18 octobre, seuls 16 seraient revenus après la guerre, selon Oversteyns.
Les Allemands ont continué à rechercher et arrêter des Juifs bien après la rafle. Du 18 octobre 1943 à janvier 1944, 96 Juifs ont été arrêtés, toujours d’après Domeniek Oversteyns. Puis, à partir du 2 février 1944, 29 Juifs furent arrêtés dans cinq collèges catholiques et 19 Juifs dans l'abbaye de San Paolo, qui était un territoire extra-territorial du Vatican. En mars 1944, la situation s'aggrave encore. Du 21 mars au 17 avril, une dizaine de Juifs ont été arrêtés et déportés quotidiennement. Et du 28 avril au 18 mai, cinq Juifs ont été arrêtés et déportés quotidiennement.
Pie XII a caché 336 Juifs dans les paroisses et les hôpitaux diocésains, a également découvert Domeniek Oversteyns. Dans le même temps, il a continué à envoyer de la nourriture et de l’aide financière à la DELASEM. Du 10 septembre 1943 au 4 juin 1944, Pie XII aura effectué 236 interventions en faveur des Juifs arrêtés à Rome et en voie de déportation. À la suite de ses interventions, 42 Juifs arrêtés ont été libérés.
En plus du canal officiel de la Secrétairerie d'État où officiait Giovanni Battista Montini, le futur pape Paul VI, Pie XII a largement utilisé le canal informel établi par le père Pfeiffer. Ce dernier, d’après les documents consultés par le diacre, s’est rendu à la Secrétairerie d’État tous les deux jours pendant les huit mois qu’ont duré l’intense persécution nazie à Rome. Lors de ces réunions, il a ainsi donné des informations sur les personnes arrêtées et pu recevoir des demandes de libération.