Le nouveau film du réalisateur Bruno Dumont ne ressemble en rien à ses précédents, comme de coutume. Il devait initialement s’inspirer de l’ouvrage de Charles Péguy Par ce demi-clair matin, mais sans doute a-t-il voulu poursuivre à sa manière la réflexion de l’écrivain. À travers France, Bruno Dumont s’empare de l’actualité dans ce qu’elle a de plus clinquant et de plus perturbant. Son héroïne, France de Meurs — interprétée par Léa Seydoux — est l'archétype d’une frange de la population française bercée par les réseaux sociaux, bombardée par l’information et déconnectée de sa vie privée ; son nom, le symbole de ce phénomène grandissant. L’on pense tout de suite à Molière pour l’aspect satirique et à La vie est un songe de Calderon pour la mise en regard du réel et de l’illusion.
Journaliste adulée et brillante pour une chaîne d'information en continu, France mise tout sur l’apparence de son personnage, la mise en scène de ses reportages et à ses tenues toujours sophistiquées. Qu’elle se trouve en conférence de presse d’Emmanuel Macron ou à bord d’une barque pleine de migrants, son image seule importe. Son acolyte et assistante, à la grossièreté assumée, n’est autre que l’humoriste Blanche Gardin. Elle veille à ce que chaque mot, chaque action et chaque événement de la vie de la journaliste soit l’occasion d’un buzz ou d’être toujours plus aimée du public. Toujours un mot à la bouche pour faire basculer plus avant la bulle des médias et des réseaux sociaux dans le cynisme.
La vie publique de France — fondée sur le jeu — semble plus réelle que sa vie quotidienne : son appartement ressemble à un musée, sa vie de famille est quasi inexistante, avec un mari et un fils avec lesquels ses liens sont très distants, elle n’a pas de véritables amis mais uniquement des relations professionnelles. Et si l’on ne croit pas à son bonheur, on ne croit pas non plus au bienfait du psychanalyste qu’elle consulte mécaniquement chaque semaine. Peu à peu, elle prend conscience de la représentation superficielle de son métier. Elle pleure facilement, sans jamais chercher à comprendre pourquoi. C’est un événement très anodin qui va faire basculer l’héroïne : elle renverse un scooter en voiture. Dès lors, elle ne cessera d’offrir des cadeaux au jeune homme (assez peu reconnaissant), et de l’argent à ses parents, en guise de réparation. Comme si cela lui faisait du bien de devenir humaine. Elle n’a pourtant pas le dixième de cette attention envers ses proches. C’est en tout cas cet accident qui la précipite en cure d’un mois en Suisse, là où les célébrités viennent soigner leur déprime.
La progression du personnage de France nous perd et la rend tout à la fois insaisissable et touchante. On la croyait insensible et détestable, elle devient vulnérable, même amoureuse. On la croyait tout à son métier, on la découvre un peu perdue. Ne sachant plus si elle doit continuer à présenter son émission, elle ne parvient pourtant pas à laisser son costume de côté. Quitter la scène pour le réel serait bien trop brutal. C’est sans doute la violence de la contiguïté de deux scènes, à la fin du film, qui force à comprendre ce que le cœur de France de Meurs est devenu. On ne sait pas s’il est vide ou meurtri, habitué à jouer ou à côté. Quand elle débarque dans un coin du Nord de la France, perdu en pleine campagne, chez la femme d’un monstre violeur et meurtrier, elle recommence d’être humaine. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de penser à elle quand la femme déclare : « Je n’aurais jamais cru avoir vécu avec un monstre toutes ces années ». Qui est-elle donc vraiment? « Qui voulez-vous être vraiment ? », nous demande le réalisateur. Un être entier qui met son coeur dans sa vie, ou bien ne le garde que pour les événements, les gros titres tragiques ? Le spectateur est le seul à avoir la clé de la résolution de l’histoire, avec toutes ses contradictions et ses leurres. Du moins doit-il s’efforcer de la trouver pour ne pas avoir envie de crier, seul face à l’absence de dénouement et au gouffre abyssal qu’il laisse.
France, de Bruno Dumont, avec Léa Seydoux, Blanche Gardin et Benjamin Biolay, 2h13, au cinéma le 25 août.