La rencontre émouvante entre une femme SDF et un enfant migrant sur les bords de Seine pourrait ressembler à un conte. C’est difficile à croire, mais c’est pourtant possible. Et c’est d’ailleurs le ton donné au film "Sous les étoiles de Paris", marque distinctive du réalisateur Claus Drexel qui avait déjà su entourer la misère d’humanité et de merveilleux dans son documentaire Au bord du monde, nommé pour le prix Louis-Delluc.
Mais l’histoire de ce nouveau film, avec Catherine Frot en tête d’affiche, révèle surtout deux drames vécus au quotidien par ceux qu’on ne voit plus : les sans-abri et les migrants. N’ayant malheureusement pas eu assez de temps pour rester en salle à cause du Covid-19, le film sort en DVD et en VOD. Catherine Frot nous emmène dans un périple au cœur du dénuement. Il est d’ailleurs assez rare de voir la comédienne incarner un personnage aussi fragile et vulnérable. Enveloppée dans une carapace de vêtements superposés, portant sa vie dans deux sacs en plastique et errant dans les rues de Paris d’une démarche fatiguée et usée, la comédienne est méconnaissable.
Ce qui est d’abord merveilleux dans la réalisation de Claus Drexel, c’est la simplicité des plans. Aucune esbrouffe de la part de la caméra, pas d’exploit ni de démonstration. Nous ne sommes pas non plus dans un réalisme cru, mais dans un monde où le regard se transforme au cœur de la réalité, sans la déformer pour autant. On observe Paris la nuit, convié à la lenteur et à la beauté de la solitude de Catherine Frot.
Une nuit d’hiver, un enfant migrant cherche un endroit où dormir et pénètre dans la cachette de la femme. Elle hésite mais n’a pas le cœur à le laisser geler sous la neige. Si elle reste tragique, la rencontre est assez amusante. Le personnage de Catherine Frot, Christine, s’appelle désormais "Moila", après avoir dit au jeune Suli : "Moi là, toi là", pour lui désigner là où il pouvait dormir. Accoutumée à se cacher dans ce local des bords de Seine, elle risque l’expulsion si elle ose partager son repaire offert par un éboueur sensible à sa situation. Et ce n’est pas négociable. Mais l’enfant, même si elle le rejette, continue à la suivre et à vivre avec elle. La punition tombe : ils sont tous les deux expulsés.
L’esprit d’enfance bernanosien, cet appel à l’héroïsme quand le feu initial et vital prend parti contre ce qui est usé en soi, semble alors ressurgir chez cette femme. Elle perd le seul endroit où elle pouvait être en sécurité, mais se remet à vivre un peu — jusqu’à retrouver sa propre humanité loin de ses habitudes — pour tenter de retrouver la mère du petit et prendre soin de lui.
Dans la jungle de Paris, une vie à côté de la vie s’organise. C’est la survie des sans-abri et des migrants qui partagent le même lot quotidien. Dans ce film, Catherine Frot nous ouvre à une humanité qu’on lui propose rarement d’exprimer à l’écran. C’est très touchant de la voir se démener pour ce petit, donner tout ce qu’elle peut, jusqu’aux derniers souvenirs de sa vie passée alors qu’elle ne possède plus rien. Leur lien se tisse dans un dialogue sans mots puisque le petit garçon ne parle pas français. Et, à mesure qu’elle s’attache à Suli, lui se morfond de ne pas retrouver sa mère qu’il croit parfois apercevoir.
Le réalisateur croque des scènes très poétiques pour rendre compte de la vie intérieure de ces êtres sans attaches ni identité. Le tour de force de ce film est aussi de montrer la solidarité entre les plus déshérités et l’humanité qu’ils expriment entre eux. Aucun puissant n’est ici pour aider. De la femme de ménage de l’aéroport à la prostituée, en passant par les migrants ou le responsable du nettoyage de l’aéroport où doit décoller l’avion chargé d’expulser la mère du petit, ce sont les plus cachés qui aident Catherine Frot dans sa mission.
Si l’on pensait assister à une mauvaise publicité humanitaire avec un dénouement attendu, la surprise est heureuse et largement bienvenue. Il s’agit là d’un très beau film, vraiment réussi, qui va crescendo dans l’émotion jusqu’à une fin bouleversante. Il fait réellement changer de regard sur les plus petits d’entre nous. Ce film est sans doute un grand cri envers le vieil homme et le riche en chacun de nous. Un cri biblique : "J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien." (Co 13, 2)
Sous les étoiles de Paris (2020), de Claus Drexel, avec Catherine Frot, Mahamadou Yaffa, Jean-Henri Compère, sorti en DVD et VOD le 15 juin.