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Rigaud et le portrait du moine qui ne voulait pas être peint

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Aliénor Goudet - publié le 06/07/21
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Armand Jean Le Bouthillier de Rancé (1626-1700), abbé de la Trappe, refusait que l’on fasse son portrait par souci d’humilité. Ainsi, le duc de Saint-Simon et le peintre Rigaud durent faire preuve de ruse afin de pouvoir immortaliser le visage du moine.

Soligny-La-Trappe, 1696. Une belle lumière éclaire le cabinet de l’abbé de Rancé. Le silence habituel qui règne à l’abbaye de la Trappe offre un calme studieux et idéal. Pourtant, Hyacinthe Rigaud ne tient pas en place. Qu’est-ce qui lui a pris d’accepter ce travail ? 

Ce ne sont pas les clients qui manquent au premier peintre d’Europe. La cour et la noblesse lui fournissent bien assez de travail. Mais le voilà déguisé en officier et s’apprêtant à se faire passer pour un étranger pour observer un modèle qui ne souhaite aucunement être peint. 

Rigaud doit bien admettre que l’abbé de la Trappe l’intrigue. Il doit être fort admirable si le duc est prêt à employer la ruse pour immortaliser cet homme. Tout ce que le peintre sait de lui, c’est qu’il est à l’origine des réformes strictes de l’Ordre cistercien. Ce qui est surprenant venant de cet ancien libertin. Grâce à lui, la Trappe est devenue un lieu de vertu et de prière hors du commun. L'abbaye attire beaucoup d’ecclésiastiques. Et l'abbé de Rancé est un théologien sans égal, paraît-il.   

Peut-être est-ce pour cela que Rigaud a accepté. Pour avoir la chance d’apercevoir cet illustre personnage qui ne sort jamais de son abbaye. Ou bien peut-être est-ce le défi de devoir peindre de mémoire seulement. Quoiqu’il en soit, il ne peut plus reculer. 

La porte s’ouvre enfin et Rigaud se redresse, retenant son souffle. Le moine est un septuagénaire vêtu d’un habit blanc et d’un capuchon. Il avance lentement, traînant derrière lui le poids des années. Selon le duc, il ne sort guère plus de l’infirmerie de l’abbaye. Pourtant, son sourire traduit une indéniable sérénité.  

Rigaud salue à son tour brièvement l’abbé, en prenant soin de montrer son bégaiement. Celui-ci doit lui servir d’alibi pour ne point avoir à parler sans que son modèle ne se doute de quoi que ce soit. 

Alors que le duc et l’abbé entament une conversation, Rigaud s’éloigne quelque peu pour commencer son observation. Le visage de l’abbé de Rancé semble se transformer lorsqu’il parle. La sagesse qui émane de lui n’est pas uniquement celle d’un vieillard, mais celle d’un philosophe. Pourtant, les paroles élaborées ne sont aucunement tournées vers lui. Jamais Rigaud n’a entendu quelqu’un parler aussi bien en parlant si peu de lui-même. 

Les traits de l’abbé s'accordent parfaitement avec ce qu’il dégage. Son sourire montre la satisfaction d'une vie bien vécue. Ses rides, elles, rapportent les souffrances et les pénitences traversées au cours de cette vie. Dans ses yeux vifs brillent l’intelligence et la présence d’une belle âme. Rigaud sait d’avance qu’ils seront les plus durs à reproduire.

La session dure trois quart d’heure. Celle du lendemain également. Le surlendemain, elle ne dure qu’une demi-heure. Après chaque visite, Rigaud se jette sur sa toile à cœur joie pour reproduire ce visage si riche. 

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Si l'abbé a trouvé curieuse l'expérience, il ne s’est douté de rien. Le visage fini, Rigaud prend au crayon le portrait d’un autre moine dans le même habit avant de repartir à Paris pour compléter son portrait. Le résultat émeut aux larmes le duc de Saint-Simon. 

Rigaud achève la toile en 1697. Il en est si fier qu’il en fait plusieurs copies, malgré l’exclusivité demandée par son client. Mais le duc se console songeant que d'autres pourront connaitre l'illustre abbé.

Rongé de culpabilité, il finit par avouer son larcin à l’abbé de Rancé dans une lettre. Ce dernier lui répond. 

C’est Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, qui rapportera les faits dans ses Mémoires. La toile se trouve aujourd’hui à l’abbaye de la Trappe, à Soligny-la-Trappe.

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