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Bref éloge de la grimace

eleve classe

© 4 PM production - shutterstock

Henri Quantin - publié le 09/06/21

Sous le masque qui protège nos visages, se cachent parfois des émotions muettes qui sont des appels à l’aide. Comment communiquer sans grimaces ?

Quand on s’interroge sur ce que le port du masque fait perdre à nos relations, on déplore spontanément l’effacement du sourire. L’isolé regrette cette éphémère marque de sympathie que lui offrait l’inconnu qui patientait avec lui dans une file d’attente ; le timide se sent démuni, privé du signe d’encouragement que lui adressait l’interlocuteur intimidant. Le professeur, de son côté, s’attriste de ne plus pouvoir savourer cet indice qu’il y a au moins un élève dans la classe pour se réjouir de l’entendre. Pourtant, dans le cadre de l’enseignement, le sens d’un sourire n’est pas toujours aisé à identifier : à côté du sourire réellement approbateur de l’élève qui a perçu le second degré d’une remarque légèrement provocatrice, il y a le sourire sur commande du faux-jeton ou le sourire béat de l’endormi. Instruit par le spectre de son père, de la duplicité de son oncle assassin, Hamlet juge bon de noter sur ses carnets qu’ « on peut sourire, et sourire, et être un traître ». En somme, l’élève qui sourit sans masque peut très bien rire sous cape.

Précieuse grimace, qui signale un désaccord, témoigne d’un agacement, révèle un rejet.

Relation pédagogique

La grimace est généralement moins trompeuse, en ce qu’on ne peut guère la mettre au service de la flagornerie. C’est pourquoi, plus encore que les sourires de compréhension, ce sont les grimaces expressives qui manquent au professeur, lorsqu’il est contraint de parler à des élèves masqués. Précieuse grimace, qui signale un désaccord, témoigne d’un agacement, révèle un rejet : moue dubitative, bouche ouverte mimant un cri silencieux, dents serrées d’une crispation sur un sujet douloureux. Sans ces grimaces, le cours serait peut-être plus paisible, mais il aurait sûrement moins de relief. À tort ou à raison, le professeur pourrait repartir persuadé d’avoir été entendu, mais il aurait ainsi raté de très riches réactions muettes. Peut-on vraiment instaurer une relation pédagogique fine avec des visages masqués ?

Appel à l’aide

« Lorsque le Seigneur tire de moi, par hasard, une parole utile aux âmes, dit le curé de Torcy de Bernanos, je la sens au mal qu’elle me fait. » C’est aussi vrai pour celui qui parle que pour celui qui écoute. Le professeur ne connaît bien sûr que rarement une situation d’une telle portée. Il n’empêche que l’onde de choc d’un texte lu en cours ou même d’un rapprochement, fait en passant, avec la vie quotidienne, se devine parfois sur un visage qui cesse d’être lisse. Cela peut être imperceptible et sans intention. Cela peut être manifeste et fait pour être vu. Je pense à une hypokhâgneuse qui grimaçait dès qu’un mot lié de près ou de loin au christianisme était prononcé. Comme il s’agissait d’un cours sur la littérature du XVIIe siècle, la grimace était fréquente. Au milieu des visages, indifférents ou concentrés, pour lesquels le sermon sur la mort de Bossuet n’était qu’un « objet d’étude », la mimique de dégoût tranchait. Défi fanfaron au professeur dont nul n’ignorait la foi, ce visage déformé était aussi un appel à l’aide. Il va de soi que cet appel grimaçant n’aurait pas pu être formulé à haute voix devant une classe entière.

Bien au-delà de cet exemple particulier, il est donc légitime de lutter pour clore la période déjà trop longue de l’enseignement sans visage, dans sa version masquée et sa version par écrans interposés. Plutôt qu’un appel insistant à sourire à la caméra, on gagnerait à adresser aux élèves impassibles ce conseil inhabituel : « Grimacez, vous n’êtes pas filmés ».

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