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Le loisir de l’âme

femme contemple une oeuvre d'art
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Benoist de Sinety - publié le 06/06/21
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On s’est beaucoup préoccupé du négoce lors de ces derniers mois : comment le soutenir, comment le préserver, comment le faire renaître des cendres du confinement et de ses conséquences ? On a sûrement bien fait. Mais à force de ne parler que de commerce, que de profits, que de fric en fait, on n’a rien réglé sur le fond.

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Il fut un temps, un temps fort éloigné sans doute de celui que nous traversons, où le loisir ne se limitait pas à la satisfaction de pulsions commerciales, festives voire hystériques. Un temps où l’on était invité à déployer le meilleur de ses facultés et à édifier son jugement, de manière désintéressée, sans rechercher l’utilité matérielle. « Donner du sens à l’existence en laissant libre cours à sa curiosité, au seul plaisir de connaître et de comprendre », comme l’écrit l’historien Jean-Miguel Pire.

L’antique Grèce et la Rome des Anciens prônait donc cet otium qui, s’il n’a pas d’équivalent dans notre vocabulaire, désigne le loisir non dans la forme paresseuse que nous lui donnons aujourd’hui, mais comme un appel à l’étude, à la recherche, comme le « temps que l’on consacre à s’améliorer soi-même, à progresser pour accéder à une cohérence et à une compréhension du monde plus grandes ». À l’inverse du negotium qui désigne les activités productives, profitables comme le commerce par exemple, l’otium, sans doute parce que moins « utile » économiquement, semble désormais en passe d’être relégué au rang des concepts sympathiques mais désuets voire franchement ringards. 

On s’est beaucoup préoccupé du négoce lors de ces derniers mois : comment le soutenir, comment le préserver, comment le faire renaître des cendres du confinement et de ses conséquences ? On a sûrement bien fait. Mais à force de ne parler que de commerce, que de profits, que de fric en fait, on n’a rien réglé sur le fond. Comme si l’humanité se confondait avec les taux boursiers — lesquels d’ailleurs se portent insolemment bien — ou le volume de l’épargne. On a bien, pour la figure de style et parce que les puissants aiment à se montrer lettrés, fait la grâce d’ouvrir les librairies en incitant les gens à s’y rendre. Mais finalement n’était-ce pas d’abord par souci là aussi de commerce plus que d’autre chose ? Qui par exemple, s’intéresse à prôner la gratuité, le don ? Qui encourage l’homme à réfléchir sur lui-même et à se laisser bousculer par les grandes questions existentielles qui bruissent au fond de lui, ou par l’étonnement d’une nature qui ne cesse de se déployer sous ses yeux ? Inviter à la contemplation, à la réflexion, à la recherche… Y encourager, en rappelant haut et fort que là est d’abord la grandeur de l’être, plutôt que dans sa capacité à contracter et à s’enrichir ?

Combien sombrent dans le néant d’un monde qui ne se compose que d’un travail pénible ou ingrat et le trou noir de l’écran allumé ?

Il y a là un enjeu majeur, plutôt que de laisser nos esprits s’engluer dans la boue de Netflix ou des jeux souvent assez débiles qui nous fixent, l’œil vide, devant les écrans de nos téléphones. Non qu’il faille rejeter la série télé ou les scores de Candy Crush, mais tout de même : ne sommes-nous condamnés qu’à cela ? Bien sûr, certains rétorqueront qu’il faut faire la part des choses et qu’eux-mêmes peuvent tout à fait passer de l’un à l’autre, du divertissement à l’otium, sans encombre et joyeusement. Mais pour les quelques-uns qui en ont les moyens culturels, intellectuels, sans parler de l’aisance matérielle, combien sombrent dans le néant d’un monde qui ne se compose que d’un travail pénible ou ingrat et le trou noir de l’écran allumé ?

En 2000, en route vers les JMJ de Rome, nous faisions étape à Florence avec quelques jeunes de quartiers plutôt défavorisés comme on dit de nos jours. Visite au couvent de San Marco : en haut de l’escalier, l’Annonciation de Fra Angelico. Je m’y arrête avec le groupe. Quelques minutes de regards en silence devant l’infini qui se fait homme. Puis nous repartons. Une heure plus tard, ayant terminé le tour des cellules, je reviens à cet endroit. J’y retrouve l’un des jeunes qui n’avait pas bougé. Depuis plus d’une heure il était là, scrutant intensément la peinture, les visages, les couleurs, et pénétrant ainsi une dimension jusque-là inconnue. À mon arrivée, il me dit juste ces mots : « Que c’est beau… ». Rien d’autre ne pouvait sortir de ses lèvres et ses yeux ne demandaient qu’à demeurer en haut de ces marches, en ce lieu, devant cela. Il avait sans doute perdu une heure aux yeux de beaucoup. Mais il savait lui, qu’en une heure, il avait vu la porte de la vie s’entrouvrir pour toujours.

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