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Les fautes des pères retombent-elles sur les fils ?

MACRON RWANDA

Le président français Emmanuel Macron dépose une gerbe pour 27e anniversaire du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda, le 27 mai 2021.

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Jean Duchesne - publié le 01/06/21
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On redécouvre la réalité des transmissions intergénérationnelles. Mais comment articuler les responsabilités collectives et la liberté individuelle ?

Un joli petit séisme est en train de se produire. Un des postulats fondateurs de la « modernité » était en effet qu’il ne saurait être question d’exiger des fils qu’ils demandent pardon pour les crimes commis par leurs pères et encore moins qu’ils les réparent et expient. La devise républicaine et les droits de l’homme impliquent que le descendant d’un assassin n’est en rien coupable et n’est pas moins libre que les autres, parce qu’il est leur égal et même leur frère. Ce principe est pourtant battu en brèche des temps-ci. 

Il y a d’abord des faits d’actualité. Le président, Emmanuel Macron, a récemment reconnu la responsabilité de la France dans les massacres perpétrés au Rwanda en 1994. Par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, l’Allemagne vient de reconnaître avoir commis un génocide en Namibie avant la Première Guerre mondiale. Alger attend des excuses de Paris pour les atrocités commises pendant la guerre d’indépendance de 1954-1962. Plus généralement, tous les pays colonisateurs sont pressés de se repentir. Et les États-Unis d’Amérique sont accusés chez eux d’avoir rendu le racisme « systémique » à travers l’esclavage, puis la ségrégation et enfin des discriminations persistantes.

Et s’il y a des victimes, c’est qu’il y a des coupables, dont la postérité est également fautive, pour autant qu’elle a profité de biens et avantages mal acquis.

Tout ceci implique que les torts se transmettent de génération en génération, même si les plus jeunes ne sont pas personnellement responsables des maux causés par leurs prédécesseurs (parfois lointains). Les descendants des victimes se découvrent elles-mêmes victimes, parce que nées dans des conditions pénalisantes. Et s’il y a des victimes, c’est qu’il y a des coupables, dont la postérité est également fautive, pour autant qu’elle a profité de biens et avantages mal acquis. Du coup, chacun est enfermé dans son statut, que ses aïeux aient été persécutés ou persécuteurs. Dans cette « postmodernité », on n’est plus celui ou celle que l’on fait de soi-même, mais cela dont on hérite, avec droit à compensations si le legs est handicapant, ou bien, s’il constitue un privilège, devoir de battre sa coulpe.

Cette division de l’humanité entre victimes et coupables de naissance pose deux questions sérieuses. D’abord, peut-on incriminer des nations entières, des groupes ethniques (les Blancs…) ou sociaux (militaires, policiers, dirigeants…), voire carrément la moitié mâle de l’humanité ? Cela revient à des simplifications parfaitement abusives : d’un côté les « bons », qui ne sont généralement pas les plus forts, mais des plaignants réclamant justice, de l’autre les « méchants », qui ont imposé leur loi par la force brute. 

Beaucoup de ceux-ci n’ont certes aucune circonstance atténuante, tels les bourreaux de populations entières sous le seul prétexte de leur identité ethnique ou religieuse ou de leur classe sociale. Mais bien souvent, c’est moins net. La revendication victimaire ne rend pas innocent. Les guerres civiles et d’indépendance sont rarement « propres » et, même si n’est plus la mode, elles restent écrites par les vainqueurs, qui restent plaintifs et ne s’avèrent pas tous de vertueux démocrates. Au Rwanda, le manque de lucidité des dirigeants français de l’époque ne peut pas occulter le fait que ce ne sont pas leurs soldats qui ont tué.

Une sagesse péniblement acquise au XXe siècle ne confond plus les États et les peuples. Après la Première Guerre mondiale, l’erreur a été d’appauvrir et humilier les vaincus, ce qui a été une au moins des causes de la Seconde. Après celle-ci, au contraire, et même si les motifs n’étaient pas purement nobles (puisqu’il s’agissait aussi de contrecarrer l’expansionnisme stalinien), les Allemands et les Japonais n’ont pas été trop pénalisés et seuls les chefs qui les avaient entraînés dans la guerre ont « payé » (certains des principaux en se suicidant sans attendre d’être condamnés), si bien que des réconciliations ont pu avoir lieu.

Des gouvernants peuvent être désavoués par leurs successeurs, voire déclarés criminels par des tribunaux, mais pas des nations entières, ni des races, ni des catégories socio-professionnelles.

Dans ces conditions, si un chef d’État ou un ministre admet les torts de son pays, c’est un peu comme lorsqu’un organisme est reconnu fautif en tant que « personne morale » sans qu’il y ait lieu de culpabiliser ses membres. En l’occurrence, cela n’a toutefois pas de valeur juridique, avec peine et réparations à la clé. La portée est symbolique, afin que la vérité panse, autant qu’il est possible, des plaies que le déni ne refermera jamais. Des gouvernants peuvent être désavoués par leurs successeurs, voire déclarés criminels par des tribunaux, mais pas des nations entières, ni des races, ni des catégories socio-professionnelles. Et, dans le cas des dirigeants de la France il y a 27 ans, ce serait totalement exorbitant au vu du fait massif qu’au Rwanda, ce sont des Africains qui en ont massacré d’autres.

Le décalage dans le temps pose cependant la deuxième question annoncée : reste-t-on responsable des erreurs et méfaits de ses prédécesseurs ? Dans sa logique de promotion des libertés individuelles, la « modernité » l’a refusé. C’est ce qui est actuellement remis en cause. Il n’y a pas seulement les excuses et restitutions réclamées par les colonisés aux colonisateurs, car certains anciens oppresseurs, comme l’Allemagne en Namibie, reconnaissent eux-mêmes leurs torts, et la France au Rwanda concède avoir failli non par action, mais par omission. 

C’est ainsi, avec le principe de fautes collectives et anonymes, celui des transmissions intergénérationnelles qui est à nouveau accepté. Et cette perspective ouvre à l’avenir aussi bien qu’au passé : de même qu’on est tributaire des générations antérieures, on est collectivement responsable vis-à-vis des suivantes : c’est par exemple pour nos enfants et les enfants de nos enfants qu’il faut respecter l’environnement et sauvegarder les équilibres écologiques de la planète.

L’hostilité aux héritages a été pour une bonne part liée au rejet de la Bible, où l’on peut lire que « la faute des pères retombe sur les fils jusqu’à la troisième et la quatrième génération » (Ex 20, 5) et que « les dents des fils sont agacées quand les pères mangent des raisins verts » (Éz 18, 2) — ce qui paraît injuste. Mais il est malhonnête d’isoler ces paroles des discours dont elles font partie. Dans l’Exode, le message est que les enfants souffrent si leurs parents, en péchant, ne leur transmettent pas les dons libérateurs reçus de Dieu, qui cependant les offre jusqu’à la millième génération. Et chez Ézéchiel, toute la prophétie vise à démentir le dicton populaire qui condamne les fils pour les errements des pères, et insiste au contraire sur la rétribution de chacun en fonction de sa fidélité personnelle aux commandements divins.On voit donc que la Révélation exalte la liberté et donc la responsabilité individuelle tout en soulignant la réalité des transmissions intergénérationnelles. Celles-ci sont positives aussi bien que négatives, et Dieu veille à ce que les bonnes — grâce à l’action de l’Esprit saint dans son Église — soient infiniment plus durables (jusqu’à mille générations) que les mauvaises (pas plus de trois ou quatre). Il y a là un équilibre et une espérance qui sont précieux en cette heure de contradictions où d’un côté chacun se voit soumis à toutes sortes de déterminismes historiques, tandis que de l’autre des avancées technologiques et manipulations de l’humain autorisent des satisfactions immédiates qui occultent l’avenir aussi bien que le passé.

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