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Vaccins, pass sanitaire… “La pandémie marque un butoir à l’individualisme”

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Valentino Belloni / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Rue Sainte-Catherine, à Bordeaux (Photo d'illustration).

Agnès Pinard Legry - publié le 05/05/21

Alors que la campagne de vaccination s'accélère en France, le père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information du diocèse de Paris et enseignant au collège des Bernardins, revient pour Aleteia sur la position de l’Église concernant les grands sujets sanitaires du moment.

Alors que la pandémie de Covid-19 a franchi un nouveau seuil ces derniers jours avec plus de 150 millions de personnes infectées depuis l’apparition du virus fin 2019 et plus de 3,1 millions de décès, les pays affinent leur stratégie de vaccination. En France, Emmanuel Macron vient d’annoncer la possibilité, pour les plus de 18 ans, de se faire vacciner dès le 1er juin tandis qu’un pass sanitaire est à l’étude. Des sujets sensibles sur lesquels il est légitime de s’interroger. “Cette crise aura exacerbé les positions clivantes “pour” ou “contre”. Nous n’avons jamais eu autant besoin de certitudes”, explique à Aleteia le père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information du diocèse de Paris et enseignant au collège des Bernardins. “Or dans un tel contexte d’incertitude, la militance l’emporte aisément sur la compétence”. Entretien.

Aleteia : de quoi parle-t-on lorsque l’on souligne le caractère plus ou moins éthique des vaccins contre le Covid-19 ?
Père Laurent Stalla-Bourdillon : On signifie que “la fin ne justifie pas les moyens”. S’il est absolument nécessaire de développer des traitements pour soigner les personnes malades et des vaccins pour prévenir les contaminations, il n’est pas indifférent de connaître les circonstances qui président à l’élaboration de ces traitements. C’est là qu’intervient la question éthique. Les vaccins, oui ! Mais à quel prix ? Il va de soi que si des personnes avaient dû servir de “cobayes” pour évaluer l’efficacité des vaccins, il serait légitime de se demander à quel titre leur vie mérite d’être sacrifiée, fusse pour parvenir à un vaccin. Les processus d’élaboration des vaccins sont d’une telle complexité que le grand public ignore très généralement ce que leur mise au point a nécessité d’expériences et de matériaux. Il est fréquent que les cellules de fœtus soient utilisées en matière de recherches médicales. Le Saint-Siège a pris soin de préciser que “lorsque des vaccins contre le Covid-19 éthiquement irréprochables ne sont pas disponibles, il est moralement acceptable d’utiliser des vaccins anti-Covid-19 qui ont utilisé des lignées cellulaires de fœtus avortés dans leur processus de recherche et de production”. Il existe aujourd’hui différents types de vaccins et nous n’avons sans doute pas fini d’en voir de nouveaux. Face à cette diversité, il n’est pas rare que des personnes puissent vouloir choisir elles-mêmes en conscience. Entre des certitudes dogmatiques et les incertitudes radicales, nous sommes devant le dilemme d’une responsabilité qui doit intimement unir le choix personnel et le bien commun. Dès lors, quels principes gouvernent notre vie commune ?

Que dire à celles et ceux qui sont réticents à se faire vacciner ?
Selon un sondage réalisé par le Forum économique mondial et Ipsos auprès de près de 20.000 adultes de 27 pays, 74% des personnes interrogées déclarent avoir l’intention de se faire vacciner, contre seulement 59% en France, l’un des plus bas taux de l’étude.[1]Or selon les estimations des experts, il faudrait vacciner entre 60 et 70% de la population mondiale (4,6 à 5,4 milliards de personnes), pour stopper la pandémie. Cette crise aura exacerbé les positions clivantes “pour” ou “contre”. Nous n’avons jamais eu autant besoin de certitudes. Or dans un tel contexte d’incertitude, la militance l’emporte aisément sur la compétence. Des réticences à la vaccination sont parfois très fortes et pour des raisons aussi très diverses. Elles peuvent venir de la licéité de l’usage des vaccins dans leur mode d’élaboration comme nous l’avons évoqué. Elle peut venir de leur faible efficacité et des effets secondaires, ou encore de projections ou de fantasmes sur de possibles risques. Les enjeux économiques sont tels qu’une guerre économique s’est aussi invitée dans la pandémie. Les réseaux sociaux n’ont pas leur pareil pour accroître les troubles et l’incrédulité. L’humanité est clairement mise au défi de son unité.

L’extrême incertitude dans laquelle se trouvent les responsables politiques comme les scientifiques quant à la suite de la pandémie se répercute dans l’opinion publique qui se tient sur la réserve. S’il est certain que nous sommes dans une situation totalement inédite au regard de la rapidité de la production des vaccins et de la rapidité d’une vaccination de masse, il demeure que tous les vaccins élaborés ont pour incontestable objectif d’immuniser contre les formes les plus graves de la maladie. La confusion sur les effets secondaires ne devrait pas occulter l’immense progrès que représente la vaccination.  Le Saint Siège rappelait à ce titre dans sa note de décembre 2020, que “ceux qui, pour des raisons de conscience, rejettent les vaccins doivent s’efforcer d’éviter de devenir des vecteurs de transmission de l’agent infectieux et adopter un comportement approprié.  En particulier, ils doivent éviter tout risque pour la santé des personnes qui ne peuvent être vaccinées pour des raisons cliniques ou autres et qui sont les plus vulnérables”. Nous sommes livrés à une sorte d’intranquilité permanente qui appelle une “clairvoyance pour discerner ce qui est important” (Ph 1, 9-10) et résister au pessimisme résigné.

La pandémie marque un butoir à l’individualisme. Elle a pour effet de faire apparaître notre interdépendance et de rendre tous solidaires les uns des autres.

Concernant l’accès universel au vaccin… En quoi est-ce une nécessité ? Que dit l’Église ?
La réflexion éthique, rappelle le Comité consultatif national d’éthique, “doit respecter les principes qui fondent l’éthique médicale et les droits fondamentaux de toute personne, notamment l’égalité, l’équité, le respect des principes d’autonomie et de consentement, de bienveillance et de non-nuisance, le rapport entre bénéfice collectif et risque individuel, de justice pour déterminer les conditions d’accès”.[2] La pandémie marque un butoir à l’individualisme. Elle a pour effet de faire apparaître notre interdépendance et de rendre tous solidaires les uns des autres. Aucun pays ne peut se désintéresser de la situation sanitaire de ses voisins. Nous le voyons aujourd’hui avec la situation dramatique que connait l’Inde. La collaboration et le partage seront des clés de sortie de l’épidémie. Nous sommes bien face à l’urgence de ce que François appelle l’amitié sociale dans sa dernière encycliqueFratelli tutti.

Dans une telle situation, il est probable que certains puissent chercher à tirer profit de la situation. Mais alors, certains seront toujours mieux lotis et d’autres toujours plus pauvres. La pandémie est aussi une mise à l’épreuve de la responsabilité des dirigeants des nations d’œuvrer ensemble. Quelle conscience avons-nous de l’unité de la famille humaine ? Quel immense défi ! “Il existe un impératif moral” disait le pape François en septembre 2020 “pour l’industrie pharmaceutique, les gouvernements et les organisations internationales de veiller à ce que les vaccins qui sont efficaces et sûrs d’un point de vue sanitaire, ainsi qu’éthiquement acceptables, soient également accessibles aux pays les plus pauvres et sans frais pour eux. Sinon, le manque d’accès aux vaccins deviendrait une raison supplémentaire de discrimination et d’injustice qui condamne les pays pauvres à continuer de vivre dans le dénuement sanitaire, économique et social”[3].

Les chrétiens sont les gardiens d’une espérance qui ne sera pas déçue. La mort, que l’on tenait à distance, a fait son retour comme par effraction dans nos sociétés.

Quel rôle l’Église et les catholiques doivent-ils jouer auprès des malades ?
Il me semble que si la pandémie a bouleversé nos existences, l’essentiel de la vie, au fond, n’a pas changé : il s’agit toujours de vivre sous la conduite de l’Esprit saint et de concevoir l’amour dont Dieu nous aime, d’aimer notre prochain et de nous préparer à la rencontre de Dieu. Personne ne reste en ce monde, car ce n’est pas un monde où l’on reste mais un monde où l’on passe. Cette vie reste une “Pâque” quelles que soient les évènements historiques que nous rencontrons. La vie est essentiellement un devenir. Nous ne sommes pas des vivants qui allons vers la mort, mais des mortels qui allons vers la vie ! Les chrétiens sont les gardiens d’une espérance qui ne sera pas déçue. La mort, que l’on tenait à distance, a fait son retour comme par effraction dans nos sociétés. Tant de personnes ont perdu des proches ou des amis dans des circonstances dramatiques ! La peine se double de la douleur indicible de n’avoir pu être présent à l’heure de la mort, de n’avoir pu se dire à-Dieu. Nous manquons cruellement d’une parole de sens sur la mort. Qui, sinon les chrétiens, peut restaurer la paix dans les âmes ? Notre confiance dans le Seigneur est un bien pour tous, sa parole est source de paix : “Je vais t’instruire, te montrer la route à suivre, te conseiller, veiller sur toi” (Ps 31,8).

La première responsabilité des chrétiens reste de se faire proche de tous ceux qui sont éprouvés matériellement, mais aussi psychiquement, affectivement.

La pandémie a aussi créé des situations d’extrêmes précarités, elle a mis en difficulté de très nombreuses personnes. La première responsabilité des chrétiens reste de se faire proche de tous ceux qui sont éprouvés matériellement, mais aussi psychiquement, affectivement. Seules de nouvelles solidarités permettront au corps social de ne pas de se déliter. Il revient aux chrétiens d’en être les acteurs. Plus que jamais l’amour s’annonce en aimant, et la tendresse de Dieu s’énonce dans l’attention gratuite et le partage généreux. L’Église devra sans doute être plus présente, afin que personne ne puisse lui dire “où étiez-vous lorsque nous étions dans l’épreuve ?”.

Craignez-vous la mise en place d’un passeport vaccinal ?
Il est trop tôt à ce stade pour apprécier les intentions des autorités politiques et les effets d’un éventuel passeport vaccinal, sachant qu’une consultation intitulée « Que pensez-vous du passeport vaccinal ? » a été menée sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental. Les résultats rendus public le 16 mars ont dévoilé une très forte majorité de Français défavorables, soit plus de 72%.[4] Les motifs d’opposition sont les atteintes aux libertés privées, les incertitudes pesant sur l’efficacité et la sûreté du vaccin et le risque de discrimination, entre les citoyens.

Nombreux sont ceux qui alertent déjà sur les possibles discriminations et sur la perte de libertés. Cette perspective emporte avec elle la pire vision d’une société de surveillance. Les nouvelles technologies rendent de formidables services mais elles posent en même temps, la question de la confidentialité des données. L’utilisation des applications de tracing se modifie pour devenir un pass.  Nous voyons combien la sécurité prime la liberté, et combien il est difficile pour l’État de résister à la tentation d’avoir recours à des technologies de contrôle. Imperceptiblement, le pouvoir de traçage se mue en droit de passage. A contrario, la mise en place d’un tel passeport, selon des modalités qui resteront alors à préciser et conformes au principe d’égalité, permettra sans doute de restaurer des capacités de déplacements actuellement très compromises. La question se pose alors en ces termes : “Jusqu’où sommes-nous solidaires ou dépendants des choix des autres pays ?” Ce qui implique aussitôt une autre question “que sommes-nous prêts à accepter ?”. La consultation des Français devrait logiquement s’imposer pour éviter les ressentiments.

[1] Les pays où l’intention de vaccination contre la COVID-19 est la plus élevée sont la Chine (97 %), le Brésil (88 %), l’Australie (88 %) et l’Inde (87 %). Ceux où elle est la plus faible sont : la Russie (54%), la Pologne (56%), la Hongrie (56%) et la France (59%).
Trois adultes sur quatre dans le monde auraient l’intention de se faire vacciner contre la COVID -19, mais est-ce réellement suffisant ? > Communiqués de presse | Forum Économique Mondial (weforum.org)

[2]Enjeux éthiques d’une politique vaccinale contre le Sars-CoV-2 | Comité Consultatif National d’Ethique (ccne-ethique.fr)

[3]Pape FrançoisDiscours à des volontaires et amis du « Banco farmaceutico », 19 septembre 2020.

[4] Les enseignements généraux de la consultation parmi les 110 507 participants à la consultation :
67,1% se déclarent très défavorables ;
20,2% se déclarent très favorables ;
5,6% se déclarent défavorables ;
5,1% se déclarent favorables ;
2% se déclarent mitigés.

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Covid
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