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Au lycée, le violentomètre et l’amour sans mesure

LYCEE

© Damien Meyer / AFP

Henri Quantin - publié le 10/02/21

Quand tout est permis, la "relation amoureuse" se réduit à du consommable autorisé ou dangereux sur l’échelle de la méfiance.

Son nom est le « violentomètre ». Il est placardé un peu partout depuis deux ans dans certains lycées, notamment en Île-de-France, où il affiche son objectif : « Lutter contre les violences faites aux jeunes femmes. » C’est une sorte de règle graduée de 1 à 24. On ne sait si le chiffre a été réfléchi, en lien avec les 24 heures d’une journée ou les 24 lettres de l’alphabet grec, mais il invite à une vigilance de chaque instant, de l’alpha à l’oméga ou de la première à la dernière heure.

Vigilance bienvenue

De 1 à 6, vous êtes dans le vert : « La relation est saine. » De 6 à 16, vous passez à l’orange, de plus en plus foncé : « Il y a de la violence. » De 17 à 24, vous basculez — ou plutôt tu bascules, puisqu’on est censé s’adresser ainsi à des jeunes — dans le rouge : « Tu es en danger. » Toute relation d’une jeune fille avec un jeune homme — le spectre de la discrimination homophobe est soudain sacrifié aux besoins de la cause — se situe donc entre : « Il respecte tes décisions, tes désirs et tes goûts » (case 1) et « Il te menace avec une arme » (case 24).

VIOLENTOMETRE

Une telle frise n’est pas sans intérêt, en ce qu’elle appelle la jeune fille à une vigilance bienvenue face aux pressions dont elle peut faire l’objet. Fort légitime d’inviter à « dire stop » quand « il fouille tes textos, mails, applis » (case 12) ou qu’« il insiste pour que tu lui envoies des photos intimes » (case 13). Très louable aussi, bien sûr, d’appeler à « se protéger et demander de l’aide » quand « il te pousse, te tire, te gifle, te secoue, te frappe » (case 20).

La morale en chiffres

Une gêne vient à l’idée qu’une telle liste révèle que tout cela ne va pas de soi. Il faut croire que ces évidences ne sont pas transmises par les familles. Que penser du degré de violence d’une société qui jugerait bon d’afficher partout : « Il est interdit de violer et d’assassiner » ? Le violentomètre exhibe les fragments d’une morale oubliée et interdite ; il brandit les traces d’une vertu devenue folle d’avoir été refoulée. Loin de toute leçon de vie un peu unifiante, loin de tout discours sur le corps qui engage, il faut désormais tout mesurer, dans un monde de la statistique et du taux de croissance. La morale interdite s’est métamorphosée en règle graduée. Une attitude mesurée ne désigne plus une forme de tempérance, mais un double-décimètre. Quand on n’a plus de maître intérieur, on sort le mètre à mesurer.

Le problème est que même la « relation saine » trouve sa place dans ce « violentomètre », comme si elle n’était que prélude à un dérapage futur, de même qu’un feu vert passera forcément à l’orange puis au rouge.

De la même façon, la parole interdite s’est réfugiée dans la pétition, comme si le nombre pouvait faire loi en tout domaine : pétition pour la messe, pétition pour défendre les chatons stérilisés. Le nombre de signatures reflète-t-il l’importance des enjeux ? Doit-on désormais vivre avec une règle et une calculatrice dans sa poche. Mon chéri, tu es en train de passer de la case 6 à la case 7 ! L’amour est dès lors réduit à un code de la route, que l’homme est par ailleurs seul soupçonné de pouvoir enfreindre. Il n’est pas certain que la case 9 (« Il est jaloux et possessif en permanence ») exclue absolument le pronom personnel féminin, mais l’essentiel n’est pas là, sans doute. On admettra bien volontiers que la violence, physique du moins, est plus souvent masculine que féminine.

Profiter sans risque

Le problème est que même la « relation saine » trouve sa place dans ce « violentomètre », comme si elle n’était que prélude à un dérapage futur, de même qu’un feu vert passera forcément à l’orange puis au rouge. En outre, si les cases oranges sont unifiées par l’impératif « dis stop » et les rouges par « protège-toi », le sous-titre commun à toutes les cases vertes déclare : « Profite. » Tel est donc le sens donné à une relation saine. On est dans un hédonisme individualiste peu compatible avec un véritable respect de l’autre. « Aime et fais ce que tu veux ! », disait saint Augustin, découvrant que l’Amour du Christ est à la fois plus exigeant et plus libérateur qu’un code de conduite. « Profite, mais sois vigilante ! » crie notre temps. Faudrait-il vivre toute relation en mesurant son profit ?




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Devant cet appel à mesurer la violence contre les jeunes femmes, on repense à un refrain aussi stupide que dangereux, entonné par Jacques Dutronc et Étienne Daho dans une soirée Sidaction, à l’époque où la pensée unique avait imposé un programme également unique sur les six chaînes principales de télévision : « Le plaisir n’a pas de mesure. Tous les goûts sont dans la nature. Tous les goûts sont dans ma nature. » Qui ne voit que cette contre-leçon de morale libérait toutes les violences, tant il peut y avoir du plaisir à humilier et dominer. De même, une société qui appelle chacun à « se lâcher » ne peut guère s’étonner que certains ne puissent plus « se retenir ».

L’ère du soupçon

Le violentomètre dans les couloirs des lycées manifeste encore une autre contradiction. D’un côté, on exige des professeurs une bienveillance de chaque instant, ancrée dans le présupposé vaguement rousseauiste que l’homme est naturellement bon ; de l’autre, on placarde ces appels à la vigilance, qui repose sur un soupçon vis-à-vis du sexe, qu’on dénoncerait comme un moralisme rigoriste dans la bouche d’un prêtre. Ainsi de la case 15 : « Il t’oblige à regarder des films pornos. » Jamais aucun discours, dans l’Éducation nationale, ne s’en prendra aux méfaits du film porno en lui-même — morale de curé ! —, mais, sous l’angle du féminisme, il redevient nécessaire de dire « stop ».

En somme, le violentomètre rappelle le péché originel refoulé, mais un péché originel qui, au lieu d’unir hommes et femmes dans la lucidité sur leurs faiblesses, qu’ils sont appelés à dépasser ensemble, décrète au contraire que le monde se divise entre des hommes coupables et des femmes innocentes. Ceux qui admettent une telle ère du soupçon sélectif, tout en continuant à vanter la « libération » sexuelle, risquent d’attendre longtemps que le feu rouge repasse au vert.


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Tags:
ÉducationFemmesHommesviolence
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